La croissance africaine est tirée essentiellement par les économies des Etats anglophones, notamment le Nigeria et l'Afrique du Sud. Zoom sur les raisons du dynamisme de ces économies que les investisseurs marocains tardent encore à percer. Le royaume commerce assez intensément avec les pays d'Afrique anglophone, mais peine encore à y imposer le label «Maroc S.A.», contrairement à la percée en cours dans les Etats francophones. Pourtant, la vingtaine de pays du continent, ayant adopté l'anglais comme langue officielle, constitue le moteur de l'économie africaine au Sud du Sahara. Hormis la Côte d'Ivoire et les riches Etats francophones de l'Afrique Centrale (Gabon, RD Congo), tous les autres pays, anciennement colonisés par la France, apparaissent comme des «nains» face aux Etats anglophones, beaucoup plus dynamiques économiquement. Les derniers indices de compétitivité économique publiés annuellement par le World Economic Forum (WEF) sont là pour le confirmer. Dans le top 5 africain, tous sont anglophones, à l'exception du Maroc (4e), qui talonne l'Île Maurice, l'Afrique du Sud, le Rwanda et se place devant le Botswana. Côté échanges commerciaux également, la part des pays anglophones dépassent de très loin celle des économies francophones. À eux seuls, les géants sud-africains et nigérians en représentent plus du quart. Ces dernières années, un autre Etat anglophone de la région ouest-africaine fait également parler de lui. Le Ghana, puisque c'est de lui qu'il s'agit, affiche des indicateurs économiques très encourageants et est en phase de damer le pion à ses voisins francophones régionaux, comme la Côte d'Ivoire et le Sénégal. Chez les analystes et autres spécialistes des questions africaines, on explique ce dynamisme des Etats anglophones par plusieurs facteurs. L'héritage colonial continue encore de déterminer les destinées des Etats africains. «Les pays anglophones ont hérité le pragmatisme du système anglo-saxons», rappelle Alioune Gueye, P-DG d'Afrique Challenge, basé à Casablanca. «Dans les pays francophones, une bonne partie de la formation a été orientée pour avoir des juristes et autres littéraires alors que chez les voisins de culture anglo-saxons, on retrouve plus une formation plus concrète : scientifiques, ingénieurs, etc», ajoute Alioune Gueye. Un autre facteur est également évoqué, et qui a trait au processus de peuplement de certains pays majoritairement anglophones en Afrique de l'Est notamment. «Il s'agit le plus souvent de populations ayant des origines indiennes, donc de la même famille que certaines populations asiatiques. Cette proximité culturelle a favorisé les échanges entre ces deux zones géographiques», ajoute notre expert. À cela, s'ajoute l'avantage de communiquer avec la langue internationale la plus parlée au monde : l'anglais. Pr. Mustapha Machrafi Université Mohammed V-Rabat «Il faut s'adapter à la culture des affaires de ces pays» Pour le professeur Mustapha Machrafi, spécialiste des questions africaines, faire des affaires en Afrique et particulièrement en Afrique anglophone nécessite une adaptation à la culture des affaires dans ces pays, mais aussi aux institutions, et contraintes propres à chaque secteur et à chaque pays. Les ECO : Qu'est-ce qui différencie l'Afrique anglophone de l'Afrique francophone ? Mustapha Machrafi : D'un point de vue de la culture des affaires dans ces deux groupes de pays il y a des différences clairement identifiables. Les différences de cultures des affaires peuvent aussi varier d'un pays à un autre au sein du même groupe que l'on se situe en Afrique Australe, Centrale ou de l'Ouest. Les différences peuvent exister aussi dans le degré de l'intégration régionale et des communautés économiques régionales. En effet, un certain nombre de pays d'Afrique ont ce qu'on appelle une monnaie commune le Franc CFA. Le fait d'avoir une même monnaie facilite la régulation institutionnelle. Les structures économiques et les institutions diffèrent également entre Afrique anglophone et Afrique francophone. Par conséquent, cela détermine le degré de compétitivité des économies. Quelles est la principale force de l'Afrique anglophone ? Il ne faut pas considérer l'Afrique anglophone comme un tout homogène. Certains pays anglophones connaissent des défaillances institutionnelles énormes et des problèmes socio-économiques insurmontables, comme la pauvreté, le chômage, l'absence de la démocratie, un niveau de développement humain très faible, des problèmes d'urbanisation, des infrastructures faibles, etc. Nous pouvons donner l'exemple du Libéria ou de la Sierra Leone. Ce dernier est l'un des pays les plus pauvres de la planète. Si nous prenons des pays comme le Malawi ou le Zimbabwe nous pouvons trouver les mêmes problèmes d'enclavement dont souffrent certaines économies africaines. Cependant, il faut noter que certaines économies, comme celle de l'Afrique du Sud, du Ghana, du Nigeria, du Kenya ou du Botswana sont des économies fortes soit à cause du développement d'un tissu industriel fort, ou la possession de ressources énergétiques et des ressources naturelles, ou l'inscription dans un processus de gouvernance avec des institutions relativement efficace. De toute façon, les forces des économies de l'Afrique anglophone nous pouvons les trouver chez les pays de l'Afrique francophone. Toutefois, la langue peut faciliter l'intégration des économies dans d'autres groupements politiques et économiques au niveau mondial qui peuvent avoir un impact sur la compétitivité. Sur le plan politique, est-ce que le système hérité de la colonisation a toujours un impact sur le système des institutions ? Il est vrai que la colonisation a eu une influence sur les structures politiques des Etats africains. Après les indépendances, les Etats africains ont hérité d'institutions politiques et institutionnelles qui ont essayé de changer, de modifier ou supprimer... etc. La construction des systèmes politiques a une influence sur la consolidation de l'Etat comme institution en Afrique. Certains pays ont essayé de construire un système politique opposé à celui hérité de la colonisation, d'autres ont essayé de garder des instituions et de les transformer, alors que d'autres Etats sont toujours en quête d'institutions politiques et de la construction d'un système des institutions. Il ne faut pas non plus croire que le système des institutions est uniquement déterminé par «les institutions de la colonisation». Des civilisations africaines ont bien existé avant la colonisation et ont su développer des formes institutionnelles vernaculaires adaptées à leur contexte. Il faut aussi être prudent au niveau de tout déterminisme de la colonisation que ça soit au niveau économique, politique ou culturelle. Economiquement parlant, comment jugez-vous l'évolution de ces pays ? Sur le plan économique il y a des pays comme l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, le Ghana ou le Botswana qui ont su s'inscrire sur des sentiers de croissance et développer des institutions relativement efficaces malgré les accidents de parcours que peuvent présenter, dans certains cas, l'alternance au niveau du pouvoir. Ce groupe de pays a réussi par exemple à assainir leur situation macroéconomique et leurs entreprises sont présentes dans les autres pays de la région. Néanmoins, des problèmes d'exclusion, de pauvreté de chômage, de création d'emploi, d'inégalités sont aussi flagrants. Le contraste est clairement observable comme dans les autres parties du continent. Comment le Maroc peut-il réussir à percer ces marchés ? Il faut noter que certains pays africains expriment une réelle attente par rapport aux investissements marocains. Le Maroc peut percer s'il arrive à déceler les opportunités (qui sont multiples) dans chaque marché et au niveau de chaque niche. Bien sûr faire des affaires en Afrique et particulièrement en Afrique anglophone nécessite une adaptation au niveau de la culture des affaires dans ces pays, des institutions, des contraintes propres à chaque secteur et à chaque pays. Certains pays africains sont déjà implantés sur ces marchés et par conséquent des barrières peuvent exister pour les nouveaux entrants marocains. Une stratégie prudente, active et efficace est nécessaire. Pour cela, il faut conjuguer les efforts de tous les acteurs marocains qui ont des intérêts dans ces marchés.