La Banque mondiale (BM) présente aujourd'hui son rapport régional sur le marché de l'emploi dans la région MENA. En exclusivité, le chef de la pratique globale macroéconomie pour la région MENA nous livre les principales conclusions du rapport. Ce document, intitulé «Emplois ou privilèges, libérer le potentiel de création d'emplois dans la région MENA», a été présenté hier à HEM Casablanca avec la participation de Jamal Belahrach, président de la commission emploi et relation sociale à la CGEM. Les ECO : La création d'emplois au Maroc relève d'une nécessité. Mais «d'où» proviendront-ils ? Auguste Kouame : Le Maroc et les autres pays de la région devront créer des emplois, beaucoup d'emplois, notamment pour les jeunes et les femmes qui sont particulièrement touchés par ce manque d'opportunités pour intégrer le marché du travail. Mais d'où ces emplois proviendront-ils? Le rapport de la Banque mondiale sur l'emploi ou les privilèges constate que les jeunes entreprises, les start-up et les entreprises à forte productivité sont celles qui génèrent le plus d'emplois dans les économies à croissance rapide, ainsi que dans la région MENA. Cependant, la région dispose de peu d'entreprises de ce type: au Maroc, entre 2004 et 2012, l'on a recensé seulement 0,96 entreprise à responsabilité limitée pour 1.000 personnes en âge de travailler.. En outre, les entreprises qui survivent connaissent une faible augmentation de leur productivité. Pourquoi existe-t-il si peu de jeunes entreprises et start-up au Maroc et dans la région MENA ? Et qu'est-ce qui explique cette faible productivité ? Il existe des politiques à travers la région qui peuvent entraver la création et le développement de jeunes entreprises, telles que des mesures anticoncurrentielles ou des freins bureaucratiques ou juridiques à la création d'entreprises. Les restrictions au commerce des services dans des secteurs tels que l'électricité, les transports ou les TIC par exemple réduisent souvent les performances et la productivité des entreprises. Enfin, la mise en œuvre discrétionnaire des règles et lois peut décourager les entreprises non-privilégiées. Une concurrence plus ouverte, un système fiscal offrant les mêmes coûts et avantages à toutes les entreprises, ainsi qu'une mise en œuvre non-discriminatoire des politiques augmenteraient les créations de nouvelles entreprises et d'emplois. Vous démontrez dans ce rapport le fait que ces politiques néfastes pour la création d'emplois correspondent en réalité à des privilèges, mais à qui profitent-ils ? Il est important de noter que la question des privilèges existe partout dans le monde. Pour ce qui est des données du rapport relatives à la situation des privilèges au Maroc, nous ne disposons pas de données ou d'informations qui permettraient de réfuter ou de prouver que certaines politiques correspondent à des privilèges, mais à travers des études de cas dans des pays comme la Tunisie ou l'Egypte, on a relevé l'existence de privilèges qui ont sapé le rôle des entreprises dans la création d'emplois. Le rapport a recueilli des données en Tunisie et en Egypte couvrant la période précédant ce qui est communément appelé le «Printemps arabe». L'analyse de ces données montre que certaines politiques mises en œuvre en Tunisie et en Egypte au cours de cette période concédaient des privilèges à une minorité d'entreprises connectées à l'entourage des dirigeants qui étaient en place. Ces politiques préservaient les entreprises connectées de toute concurrence et lésaient une majorité de travailleurs, de consommateurs et d'entrepreneurs. Aujourd'hui, les transitions en cours en Egypte et en Tunisie offrent une opportunité de réformer les politiques publiques et leur mise en œuvre en faveur d'une plus grande concurrence afin de dynamiser les investissements et la création d'emplois. Comment ces politiques peuvent-elles être réformées et, surtout, comment peut-on s'assurer du fait qu'elles créeront des emplois et non des privilèges ? Les conclusions de ce rapport établissent une feuille de route pour aider les gouvernements à concrétiser leurs objectifs de création d'emplois, à commencer par la réforme des politiques qui freinent, des obstacles bureaucratiques ou juridiques à la création de jeunes entreprises. Ces réformes devraient chercher à stimuler et garantir la concurrence tout en assurant des règles de jeu commerciales équitables et justes. Ces réformes devraient également assurer la mise en place d'une administration compétente, juste et redevable, chargée de la mise en application des règles d'une libre concurrence sous l'autorité d'une instance indépendante statuant sur les questions de la concurrence. En outre, le processus d'élaboration des politiques doit être transparent et permettre à la société civile de partager ses avis sur les lois proposées mais aussi d'accéder aux informations sur les intérêts commerciaux et les marchés, etc. Le rôle de la société civile est également fondamental dans le suivi et l'évaluation des politiques de concurrence et pour s'assurer du fait que ces politiques participent à la création d'emplois et non de privilèges.