Le traitement des déchets, il est évident, constitue un réel problème. Cela d'autant que le pays est inscrit dans une dynamique de sensibilisation et d'ancrage d'une stratégie nationale de protection de l'environnement. Devant cela, un arsenal juridique est certes en construction, mais force est de noter que ni les usages ni la prise de conscience ne suivent forcémement. Une option pour le recyclage La loi relative à la gestion des déchets est entrée en vigueur depuis décembre 2006, dans le but de couvrir tous les aspects liés au volet environnemental de traitement des déchets. Pour autant, aujourd'hui, l'intérêt est davantage focalisé sur les déchets ménagers et, depuis quelques temps, les déchets industriels. Dans cet état de fait, les déchets résultant des chantiers de construction et de démolition semblent totalement échapper à cette loi. Même les statistiques disponibles ne traitent ce volet à aucun moment. L'on sait que les déchets ménagers s'élèvent annuellement à 6,5 million de tonnes et se situent à 1,5 million de tonnes pour le secteur industriel. Les secteurs de construction et de démolition n'entrant pas dans le champ de ces évaluations, «le tonnage des déchets qu'ils dégagent est estimé à quelque 4 à 5 millions de tonnes par an si l'on ne prend en considération que les constructions autorisées», souligne Hassan Chouaouta, président de l'Association marocaine des experts en gestion des déchets environnement (AMEDE). Selon la définition de la loi 28-00 régissant la gestion des déchets et leur élimination, les déchets de construction peuvent être composés de briques, de béton, de bois, de matériaux de revêtement, de plastique, d'aluminium, d'acier, de matériel électrique, de matériaux d'isolation et de plomberie, d'emballages ou autres matériaux qui peuvent être récupérés, recyclés ou réutilisés. Ce processus permet ainsi de produire des matières premières ou des produits réutilisables contribuant de la sorte à réduire ou à éliminer l'impact négatif de ces déchets sur l'environnement. La définition est là, mais la réalité est tout autre. En effet, «les autorités ont mis l'accent sur les déchets ménagers et les déchets dangereux pour lesquels plusieurs projets ont été lancés», souligne Chouaouta. Or, les déchets de construction ou de démolition constituent un enjeu majeur. D'abord, parce qu'ils sont importants en termes de quantité et, en second lieu, car les matériaux qu'ils contiennent peuvent facilement être recyclés et réutilisés. Cependant, l'absence d'obligation légale à l'égard des promoteurs immobiliers ou des constructeurs pour gérer à bon escient ce type de déchets, ainsi que l'absence de dispositif pour la mise en place de décharges dédiées entrave la bonne marche de ce chantier. Les professionnels et les autorités sont certes conscients de cette problématique, mais aucune action réelle n'est encore entamée. Même l'initiative de la mise en place d'opérateurs spécialisés dans la revalorisation de ces déchets est tributaire d'une aide financière, vu le coût exorbitant en l'absence d'infrastructure nécessaire pour leur implantation. En attendant, les promoteurs immobiliers pourront jouer la carte de la prévention. Plusieurs pistes En fait, le meilleur traitement des déchets est celui qui consiste à ne pas en produire. Pour ce faire, il faut agir en amont, au niveau de l'architecture. «Il faut par exemple éviter le surdimensionnement, offrir une flexibilité des espaces pour s'adapter aux usages futurs, prévoir le démantèlement lors de la conception et la mise en œuvre, ce qui permettrait au moins de réduire les déchets», précise un architecte. Dans un second registre, les promoteurs pourront opter pour leur réemploi. Il s'agit d'un procédé de traitement des déchets qui propose de réutiliser tels quels des éléments de construction, sans passer par le broyage et la manufacture de ceux-ci. Les choix écologiques sont importants, mais il existe un certain nombre de limites. Entre autres, il y a lieu de souligner, la peur du secteur de la construction pour qui le réemploi est associé à une économie sans croissance, en plus de la perception des emplois, qui, trop souvent, sont considérés comme réservés à une main-d'œuvre sous qualifiée. Cependant les solutions pour construire selon des normes durables tout en préservant la nature, existent déjà. Seule la volonté de concrétiser les choses manque pour asseoir un nouveau secteur, très porteur sous d'autre cieux. Les régions sont aussi responsables La loi 28-00 réglementant la gestion des déchets précise que le territoire de chaque région doit être couvert par un plan directeur régional de gestion des déchets industriels, médicaux et pharmaceutiques non dangereux et des déchets ultimes, agricoles et inertes. Il détermine les objectifs à atteindre en matière de taux de collecte et d'élimination de ces déchets. Il désigne également les sites appropriés pour l'implantation des installations d'élimination et de stockage en tenant compte des orientations des documents d'urbanisme. Il doit par ailleurs prévoir un inventaire prévisionnel de cinq et dix ans, des quantités à collecter et à éliminer selon leur origine, leur nature et leur type et un programme d'investissement de même durée comprenant l'évaluation des coûts de réalisation des décharges contrôlées et des installations de traitement, de stockage, de recyclage ou de valorisation de ces déchets ainsi que la réhabilitation des décharges non contrôlées. Et il doit aussi préciser les moyens financiers et humains nécessaires et les mesures à prendre en matière d'information, de sensibilisation et de conseil. Ce texte entré en vigueur fin 2006 précise que le délai de rigueur pour disposer de ces plans est de cinq années à compter de la publication, autrement dit à fin décembre de l'année en cours, une date qui correspond à une nouvelle configuration de nos régions et probablement à une accélération de ce chantier si les élus y sont sensibilisés. Sous d'autres cieux En Belgique par exemple, les déchets ménagers représentent la dernière classe «après les déchets industriels, les déchets du secteur tertiaire, ainsi que les déchets de construction et terres de déblai», souligne Mireille Verboren, conseillère à la Fédération des entreprises de gestion de l'environnement en Belgique (FEGE). Ainsi, au moment où les déchets ménagers s'y élèvent à 5 millions de tonnes, les déchets du secteur tertiaire atteignent 12 millions de tonnes et les déchets industriels 30 millions de tonnes. Quant aux déchets de construction du plat pays, ils sont de l'ordre de 13 millions de tonnes et ceux des démolitions, de 30 millions de tonnes. « Les collectivités doivent désigner des lieux d'entreposage et d'élimination de ce type de déchets»: Hassan Chouaouta, Président de l'Association marocaine des experts en gestion des déchets et en environnement Les Echos quotidien : Quel enjeu constituent aujourd'hui les déchets de construction et de démolition ? Hassan Chouaouta : Aujourd'hui, le problème qui se pose pour les déchets de construction est celui des coûts. Si un producteur de déchets de construction, n'en a pas l'obligation de la prise en charge et une désignation d'un endroit auquel il peut les acheminer, on n'ira pas loin. Quand on produit des déchets, il y a un coût de stockage, de collecte, de transport jusqu'à un site d'entreposage, puis à un site final, où l'on procédera au tri et ensuite au broyage pour en déduire des sous-produits qui peuvent être utilisés soit dans la stabilité dans les routes et pistes ou même dans les chantiers, et malheureusement cela a un coût. Si l'on prend par exemple celui de broyage en Europe, c'est l'équivalent de 400, 500 ou 600 DH la tonne. Au Maroc nous n'avons pas encore ce réflexe. Quand un auto-constructeur amasse l'équivalent de trois tonnes de déchets, il fait appel aux services d'un petit transporteur qui l'en décharge pour un coût dérisoire de 50 DH et s'en débarrasse, le plus souvent sur le littoral quand il y a une route côtière ou les terrains vides dans la ville. Ce sont des pratiques qui se propagent avec l'absence de l'intervention des autorités locales. Les contrevenants sont obligés de verser une amende de 200 à 10.000 DH selon les dispositions de la loi, sauf que, malheureusement, les mécanismes d'application de ces dispositions sont toujours absents. Quel rôle les promoteurs immobiliers peuvent-ils jouer dans ce schéma ? Il faudra que le promoteur immobilier mette en place dans son cahier des charges des dispositions qui obligent l'entrepreneur à utiliser, réutiliser ou au moins éliminer ces déchets en respectant l'environnement. En revanche, les collectivités doivent désigner des lieux d'entreposage et d'élimination de ce type de déchets, sinon, au moins les utiliser comme remblais dans les carrières. D'ailleurs, il y a un projet dans le pipe destiné à la réglementation de gestion des carrières et de leur réhabilitation. Que faut-il faire pour remédier à cette situation ? En l'absence d'un mécanisme institutionnel et d'obligation des producteurs de ces déchets de les livrer et les acheminer à ces entreprises qui réutilisent ces matériaux, ainsi que des mécanismes financiers pour pouvoir couvrir en partie le coût de ces déchets, l'alternative est que l'Etat rachète le produit recyclé et valorisé de cette société pour l'utiliser dans la stabilisation des routes. En l'absence de ces mécanismes, on n'avancera pas. Les recycleurs ont tout intérêt à se positionner sur ce créneau. D'une manière générale, le recyclage au Maroc pour quelques types de produits, notamment le plastique, l'aluminium, la ferraille, même les os et le pain, se pratique dans l'informel. Certes, il n'est pas structuré, mais est organisé par l'offre et la demande. Si l'on veut faire de même avec les déchets de construction, il va falloir créer un marché et assurer des mécanismes de commercialisation des produits valorisés de sorte à assurer la demande. Une fois ces mécanismes mis en place, les opérateurs qui veulent se positionner sur la valorisation de déchets trouveront un intérêt au même titre que les producteurs de ces déchets.