Les hommes politiques espagnols sont de véritables matadors. Avant qu'un débat n'éclate sur le port du voile intégral, des municipalités ont commencé à préparer des textes pour l'interdire. Ils veulent porter l'estocade à la polémique de la Burqa avant que le show ne commence. Après la décision prise par la municipalité catalane de Lérida d'interdire le port de la Burqa dans les installations municipales, d'autres mairies ont sauté sur l'occasion pour instaurer une interdiction du voile intégral. La décision adoptée avec une majorité écrasante la semaine dernière interdit l'accès aux édifices municipaux à toute personne drapée du voile intégral. Cinq autres municipalités ont marché sur les pas de Lérida. Pour damer le pion à leur rivale, les municipalités de Reus, El Vendrell, Tárrega, Tarragone et Cervera ont décidé d'instaurer ladite interdiction. Manière de prouver à leurs électeurs qu'eux aussi savent se montrer intransigeants vis-à vis de ces pratiques relevant de l'islamisme intégriste. Tout cela se passe en Catalogne, qui a jadis vécu des incidents de port du voile islamique dans ses écoles mais devant lesquels le gouvernement régional a réagi avec sagesse. La Catalogne est connue par une forte concentration de Marocains, la première communauté étrangère dans cette autonomie. Comme l'explique un journal catalan, ce sont les représentants municipaux d'El Vendrell comme celui de Reus qui ont présenté les motions pour décréter lesdits arrêtés. Dans le cas de la municipalité d'El Vendrell, c'est le CIU, une fédération de partis politiques catalans de centre-droit, un groupe qui gouverne en minorité, qui est le chef de file de cette action. Pour atteindre son objectif, il compte sur l'appui d'un parti décrit comme xénophobe «Plataforma per Catalunya »(PXC). Le PP a offert volontiers son appui. La formation politique de l'opposition a déjà présenté un projet de loi pour interdire le port de la Burqa non seulement dans les édifices municipaux mais aussi dans les lieux publics espagnols. Dans la présentation de son projet, le parti a déclaré que ces tenues sont contre la légalité et la dignité des femmes. La municipalité de Reus compte une population de 20% d'immigrés. Cette donne sociale a fait dire au porte-parole du CIU que de nouvelles normes de convivialité doivent être installées. Le PP a appelé les partis de la gauche à rallier sa cause pour faire face à ce phénomène qui selon lui commence à envahir la société espagnole. Pour sa part, le gouvernement municipal de Reus, gouverné par le PSC, le parti des socialistes de Catalogne a écarté toute concrétisation de ces requêtes qui selon lui manquent de priorité dans un moment où le pays affronte une crise économique sans précédent. La guerre du populisme Après que le port de la Burqa est devenu passible d'amende en France, le débat s'est intensifié et a pris des tournures d'attaques à l'encontre de la communauté musulmane en Espagne. Certains ont trouvé dans cette décision le bon filon pour tirer à boulets rouges sur le voile intégral et par ricochet sur les musulmans. Le seigneur de l'opportunisme, le Parti Populaire, s'est frotté les mains devant une telle aubaine. D'ailleurs le PP catalan a présenté un projet de loi d'interdiction, non seulement au parlement de l'autonomie mais aussi au Sénat espagnol. Selon le parti de l'opposition, le voile intégral est une méprise de la femme et va à l'encontre des principes d'égalité du genre, comme a indiqué son leader en Catalogne, Alicia Camacho. Le maire de Lérida, la première municipalité espagnole qui a donné le coup d'envoi de cette polémique, a justifié cette décision par le besoin d'identifier la personne. La première proposition parlait d'une interdiction du port du voile intégral sur la voie publique, mais finalement c'est l'interdiction dans les établissements appartenant à la mairie comme les bibliothèques, les pavillons sportifs, les administrations, les centres éducatifs et civiques qui a été retenue. La communauté musulmane a déclaré son intention de saisir le Tribunal constitutionnel et l'Union européenne. Marocains, persona non grata L'association Watani regroupant la communauté musulmane a indiqué, par la voix de son porte-parole Mourad Elboudouhi, que cette norme est exagérée, précisant qu'une loi ne se fait pas pour trois femmes qui portent la Burqa. Dans le cas catalan, l'initiative «antiBurqa » est alimentée par des velléités xénophobes, comme l'a bien résumé El Pais. Des manœuvres électorales pour décrédibiliser la gouvernance en Catalogne. Le PP et les partis xénophobes attribuent cette montée en flèche de l'islamisme radical aux dirigeants qui administrent cette région. Lesquels ne sont pas en mesure de faire face à cette nouvelle mode vestimentaire selon leurs détracteurs. «Le monde civilisé et démocratique est en général contre la Burqa (...) mais qu'il soit prioritaire ou pas, qu'il soit un écran de fumée ou un vrai problème, le débat sur le port de la Burqa est dans la rue », écrit El Pais. Sur le site arabophone andalusspress, les Marocains d'Espagne, qui se sentent les premiers visés par ces agissements, sont tous convaincus que le Parti Populaire et ses consorts surfent sur cette vague pour chasser les musulmans de l'île ibérique, sinon leur rendre la vie plus difficile qu'elle ne l'est en ces moments de crise. Sorte de «croisade des partis politiques», comme a titré El Pais. Fort malheureusement, ce discours discriminatoire trouve déjà des adeptes. Sur le journal électronique 20minutes.es, un lecteur de Barcelone a envoyé une lettre publiée sur la page web où il dit que « si les musulmans ne sont pas d'accord avec les normes de notre pays, personne ne les oblige à rester ». Et d'ajouter : «Je considère une effronterie que ceux qui viennent de l'extérieur veulent que les citoyens du pays s'adaptent à eux au lieu que ça soit eux qui s'adaptent à nos mœurs», fulmine ce Catalan.