Il porte sur une superficie totale de 4 080 ha. 17 km2 ont été grignotés sur Dar Bouazza pour intégrer la zone urbaine. 113 plaintes déposées par les promoteurs et particuliers auprès des services concernés. Ambiance tendue ce mercredi 15 décembre au siège de Dar Al Khadamate (maison des services) de Casablanca. Une dizaine de personnes attendent leur tour pour accéder à une salle de 14 m2 située au deuxième étage. Simples résidents, propriétaires ou représentants d'entreprises immobilières qui possèdent des terrains relevant du territoire de la commune de Hay Hassani, et bien sûr les inévitables intermédiaires, viennent s'enquérir, selon la loi, du projet de plan d'aménagement dévoilé au grand public depuis un mois. Il s'agit du premier sur les 33 que comptera le Grand Casablanca à la suite de l'adoption du schéma directeur d'aménagement urbain, depuis fin 2007 déjà. Très attendus, les plans d'aménagement accusent un gros retard sur le calendrier prévu et l'inquiétude des intéressés qui risquent de voir leur terrain être situé en zone verte ou se transformer en zone villa au lieu de zone immeuble n'a fait que croître depuis deux ans. Retour à Dar Al Khadamate. Dans la salle où le projet est dévoilé, un des bureaux accueille un registre destiné à être alimenté par les remarques et réclamations des citoyens et entreprises concernés par les mesures du projet. Ce 15 décembre est le dernier jour pour présenter les requêtes. Les personnes s'estimant lésées par le nouveau plan avaient donc 30 jours pour venir enregistrer leur requête et la maison des services a vu défiler des centaines de personnes. Quelque 70 dossiers ont été déposés ici à Dar Al Khadamate et 43 autres ont été enregistrés au niveau de la commune de Hay Hassani. Par la suite, toutes les requêtes seront examinées avant l'adoption de la mouture finale du plan. Le projet apporte beaucoup de nouveautés. D'abord, devant l'ampleur des besoins en réserve foncière pour l'extension et l'urbanisation de Casablanca, le territoire légal de la commune de Hay Hassani se trouve étendu de 17 km2 grignotés sur le territoire de la commune de Dar Bouazza. Avec cet élargissement, la superficie totale sur laquelle porte le plan d'aménagement de Hay Hassani est désormais de 4 080 ha, la plus grande de tous les arrondissements de la métropole. Il se décompose également en plusieurs zones d'habitation, mais l'on voit que le souci a été de réduire la densité urbaine pour les terrains non encore bâtis. Ainsi, peu de R+5, mais plutôt des R+4 et R+3, plusieurs zones villas maintenues en l'état ou ajoutées et une ceinture verte obligatoire. Un terrain de 2 ha transformé en zone verte Certes, il ne s'agit là encore que d'un projet, mais dans les grandes lignes il est presque définitif. Il faudra attendre un mois avant la sortie de la copie finale. Entre-temps, le Conseil de la ville de Casablanca devait tenir une réunion pour en débattre vendredi 24 décembre courant. En attendant, tous ceux qui sont directement concernés par le plan et qui sont venus déposer leurs requêtes ont une seule hantise : perdre totalement ou partiellement leur terrain. Le projet de plan d'aménagement fait des heureux mais aussi des mécontents. «Nous attendions la publication de ce projet depuis plusieurs années et avec impatience tellement il allait être décisif pour nous», raconte un couple de retraités qui a investi il y a une trentaine d'années «le fruit de son travail» dans un terrain de 2 ha. Aujourd'hui, l'annonce des dispositions de ce projet de plan tombe comme un couperet. La totalité du terrain est programmée «zone de ceinture verte». Autrement dit, il n'a plus aucune valeur car toute forme de construction est interdite. La colère est visible sur le visage du couple qui, en déposant ses remarques parmi les premiers, n'a pas cessé de revenir presque chaque jour au centre pour se rapprocher des responsables afin de faire entendre ses doléances. «Nous avons tout investi dans ce terrain et c'est le seul bien qu'on comptait laisser à nos enfants», confie avec amertume l'épouse dont le visage est visiblement marqué par cette affaire. A l'instar de ce couple de retraités, certains se sont vu provisoirement «dépossédés» de leurs terrains pour des projets programmés d'équipements publics. Bien qu'en cours d'étude, le projet de ligne à grande vitesse (LGV) fera certainement aussi des mécontents puisque son trajet est programmé loin de la voie ferrée actuelle. Le groupe Addoha parmi les mécontents D'autres sont appelés à céder une partie de leurs biens à la communauté. Il en est ainsi des héritiers de cette grande famille qui s'est installée ici depuis le début des années 70. Après la mort de leurs parents, les cinq enfants ont aménagé des villas dont les superficies vont de 900 à 2 000 m2. Selon le projet de plan d'aménagement, la plupart seront contraints de céder des parcelles pour l'aménagement d'espaces collectifs. «On a programmé le passage d'une voie de 30 mètres de large qui va, si le plan est ainsi adopté, passer sur la piscine de ma maison et du coup je perdrais le tiers de la superficie», s'alarme un des héritiers qui résidaient de manière permanente dans cette région depuis plus de 30 ans. Idem pour sa sœur dont le terrain de 1 500 m2 sera amputé de 900 m2 à cause de la même voie. Un autre propriétaire qui n'a pas encore construit son terrain de 1,5 ha doit se contenter de 2 000 mètres carrés, le reste ayant été affecté au passage d'une voie de 40 m. Seule consolation pour lui, la parcelle qui lui reste est programmée E2 réservée à la construction de maisons multifamiliales (R+2). Mais le registre des doléances n'a pas reçu que les plaintes de particuliers. De grands groupes immobiliers figurent parmi les plaignants. C'est le cas du groupe Addoha qui possède deux grandes parcelles dans cette région. L'entreprise a ainsi avancé ses objections essentiellement sur un terrain de près de 5 ha et sur lequel le plan prévoit deux types de projets : une partie est réservée à la zone ceinture verte et une autre à la construction de villas de grandes superficies (D5S). Ce qui n'arrange pas les affaires du groupe qui, lui, préfère plutôt développer les grands programmes de masse faciles à commercialiser et plus rentables surtout tels que les immeubles et les villas de petite taille. D'ailleurs, au sein de la profession de promoteurs, le mécontentement est perceptible. La Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) qui a longuement bataillé pour la publication de ce plan en raison de la rareté du foncier à Casablanca se dit pour le moins surprise par les dispositions du projet. «Le zoning projeté est de nature à renchérir le coût du foncier et donc à compromettre davantage l'accès au logement même pour les couches sociales moyennes, de même que le logement social a été lui totalement exclu de cette zone», fait remarquer Youssef Iben Mansour, président de la FNPI. Autre reproche : les projections programmées dans cette zone qui abritera un Pôle urbain de Casa-Anfa sont aux antipodes de ce projet immense et moderne. « Tout autour de ce programme qui va accueillir une grande concentration de cadres et employés, on a prévu des quartiers de maisons multifamiliales de R+2 qui ne peuvent pas faire face à la demande croissante d'hébergement de cette population nombreuse», se plaint M. Iben Mansour. Le même constat est soulevé par les responsables de la commune de Hay Hassani qui ont accueilli ce projet avec étonnement. «Notre arrondissement est appelé à recevoir ce pôle doté d'une urbanisation et d'une architecture conçues par des experts d'une renommée internationale avec des tours de plus de 20 étages mais les concepteurs du projet de plan d'aménagement prévoient des quartiers à R+1 limitrophes à ce pôle moderne», s'insurge Mohamed Najib Ammor, président de la commune. Comme tous les responsables techniques de cet arrondissement, il ne comprend pas comment «on n'a pas pensé au moins à harmoniser le plan entre le pôle et son voisinage». Excès d'espaces verts ? La plupart des professionnels récusent la programmation en général de zones R+1, R+2 et R+3 qui va à l'encontre du souci majeur de contenir la croissance démographique qui a prévalu dans le projet d'extension urbaine de la ville de Casablanca. Aussi la FNPI trouve-t-elle regrettable que le plan n'ait pas prévu la création de zones pour l'habitat pavillonnaire et l'encouragement de la verticalité à partir de R+5. Le président de la fédération plaide même pour des immeubles de 8 à 10 étages pour absorber la demande croissante sur le logement. Une autre disposition dans le projet suscite le mécontentement des observateurs. Aussi bien la FNPI que la commune ne comprennent pas pourquoi on a programmé plus d'espaces verts (sous forme de ceinture verte) par rapport au projet initialement conçu par l'ancien président de l'Agence urbaine. «Nous ne sommes pas contre les espaces verts mais ceux-ci sont vulnérables et pourraient facilement se transformer en bidonvilles et habitats insalubres», prévient-on auprès de la FNPI. Même souci affiché par le président de la commune qui met en garde contre «le risque que cela accentue la propagation de l'habitat anarchique et clandestin après tous les efforts déployés pour éradiquer ce fléau». D'autres ne cachent pas leurs craintes de voir ces zones réorientées par la suite vers d'autres usages moyennant le système des dérogations. Cela est rageant d'autant que la superficie de 17 km2 gagnée sur le périmètre de Dar Bouaza a été programmée zone D5S, c'est-à-dire réservée pour les villas de 2 000 m2 et plus. «Qui pourra réaliser des projets aussi coûteux, quelle est la taille de la population qui en bénéficiera et quel est l'apport pour le développement économique et social de cette extension ?», s'interrogent les responsables de la commune qui, comme la FNPI, ont présenté une série de remarques à l'Agence urbaine de Casablanca. D'ici un mois, ils sauront si leurs observations ont été prises en considération. Et les citoyens seront édifiés sur le sort de leurs terrains.