Un projet de musée des sciences à Rabat est à l'étude à l'université Mohammed V – Agdal. Il remplacera le Musée des sciences de la terre qui a fermé ses portes. Fossiles, restes d'hominidés datant de millions d'années… y seront exposés pour le plus grand profit des écoliers et autres amateurs de paléontologie. Le musée, qui coûtera 7,5 MDH, sera construit dans l'annexe de l'Institut scientifique. Un musée national des sciences à Rabat? L'idée semble farfelue quand on sait que plus de 75% de Marocains n'ont jamais mis les pieds dans aucun des 27 musées qui existent déjà dans les différentes villes du pays. Peut-être ignorent-ils même jusqu'à leur existence. L'idée, en tout cas, fait son chemin, et l'initiative, la conception et une grande partie du financement reviennent à l'université Mohammed V – Agdal de Rabat, présidée par Hafid Boutaleb Joutei, lui-même homme de sciences, et plus précisément docteur d'Etat en sciences physiques. C'est dans les locaux de l'ancienne faculté de médecine, patrimoine architectural, que sera érigé le nouveau musée Le musée en est encore au stade du projet, avec l'esquisse d'une maquette sur papier, mais M. Boutaleb est confiant : un édifice de ce genre participera bientôt à faire connaître aux jeunes et moins jeunes Marocains un patrimoine historique, géologique, paléontologique et scientifique d'une grande richesse. Et quel meilleur moyen pour vulgariser ce savoir qu'un musée, où les pièces conservées sont plus parlantes que n'importe quel professeur ? «Le Musée national des sciences (MNS) constituera un lieu de communication et d'éducations scientifique et culturelle, où seront exposés d'une manière simple, " vulgarisée " et accessible à un large public les principaux thèmes et découvertes scientifiques d'intérêt national, régional ou universel», explique un document présentant le projet. Un musée des sciences s'impose d'autant plus que le Musée des sciences de la terre, le seul de son genre au Maroc, appartenant au ministère de l'energie et des mines, a fermé ses portes en 2007. C'est un musée qui offrait aux visiteurs une explication imagée de la formation de l'univers et de la Terre, de l'évolution des continents et de l'espèce humaine. Sa pièce maîtresse était un squelette de dinosaure, un sauropode baptisé Atlasaurus Imlajei, une pièce rare dans l'histoire de la paléontologie, découverte en 1979 dans la région d'Azilal, dans le Haut-Atlas. Vieux de 165 millions d'années, le squelette mesure 17 mètres de long, 6 de haut, et pèse 22 tonnes. Il a été d'ailleurs transféré, ainsi que les rares pièces encore conservées dans le musée, avant que l'humidité ne les rongent, à Azilal, là où il avait été découvert. Notons que le Conseil régional Tadla-Azilal et l'Association de protection du patrimoine géologique marocaine (APPGM) prévoient la construction d'un musée sur place, le tout dans le cadre du grand projet de géoparc de M'goun, près d'Azilal. Le MNS de Rabat, lui, sera érigé dans l'annexe actuelle de l'Institut scientifique, anciennement faculté de médecine, qui est lui-même un joyau architectural datant de l'époque du protectorat. Le bâtiment, situé en un lieu stratégique, à proximité des remparts de la capitale et de l'une de ses portes les plus fréquentées (la mythique Bab Rouah) «mérite, à lui seul, de faire l'objet d'une réhabilitation de haute qualité au nom de la sauvegarde du patrimoine de la ville », tient à préciser Hafid Boutaleb. Les initiateurs du projet voudront ainsi joindre l'utile à l'agréable : restaurer un joyau architectural, et ériger un musée pour mettre à la portée du grand public les outils de travail et de recherche qui étaient l'apanage des étudiants de la faculté de médecine, de la faculté des sciences et de l'Institut scientifique de Rabat. Ce sont eux qui vont alimenter le nouveau musée de leurs pièces les plus importantes. 80% de la collection de l'Institut scientifique et 80 000 pièces de la faculté de médecine y seront exposés. Une aubaine pour les écoliers marocains, qui leur permettra en effet de parfaire leurs connaissances scientifiques sur la terre, l'histoire des hommes, des animaux et de l'univers. Animaux (tigre, lion, papillons, gazelle, oiseaux…), végétaux, minéraux, fossiles, roches… y seront exposés. C'est-à-dire l'essentiel du patrimoine géologique, archéologique et paléontologique de ces instituts de renommée mondiale, dont certaines pièces témoignent d'un Maroc vieux de plusieurs millions d'années. Les pièces maîtresses recensées par les initiateurs du projet vont ainsi des fossiles d'invertébrés (trilobites, classe d'arthropodes marins primitifs ayant régné dans les mers de l'ère primaire entre 570 et 230 millions d'années), jusqu'aux végétaux fossilisés témoignant de la création de chaînes montagneuses il y a 310 millions d'années, en passant par les fossiles de vertébrés, restes d'animaux comme le crocodile (140 millions d'années), la baleine (1,8 million d'années) ou l'ours (150 000 ans). L'école Mohammadia des ingénieurs (EMI) apportera aussi son offrande : un gigantesque ordinateur, le premier acquis par l'Université marocaine. Les écoliers auront ainsi à apprécier combien la technologie la plus sophistiquée s'est miniaturisée en relativement peu de temps, pour déboucher aujourd'hui sur les petites clés USB capables de stocker des milliards d'informations. Seul regret, le squelette impressionnant de l'Atlasaurus imlajei ne figure pas parmi ces collections, surtout que les écoliers ne peuvent se déplacer jusqu'à Azilal pour le voir de près. Bien sûr, on ne se contentera pas d'exposer des collections inertes et sans âme, car un musée doit par essence être un lieu de rencontre, non pas uniquement réservé aux chercheurs et à une élite de savants, mais ouvert à tous les curieux, enfants et adultes, et à toutes les catégories sociales. Sa mission n'est pas seulement la conservation du patrimoine, il doit être aussi un lieu d'éducation et de transmission du savoir, de formation du goût et d'éveil des sens. Les musées sont conçus comme le lieu d'animations devant accompagner le visiteur, par «l'organisation d'expositions, d'ateliers d'arts plastiques et de conférences, voire de projections audiovisuelles», insiste ce muséologue français, qui a aussi écrit, il y a plus d'un quart de siècle : «Les musées sont au service de la société. Ils constituent l'un des maillons de la chaîne existentielle qui relie chaque individu à son passé et dont la rupture provoque bien des drames et des déracinements.» Le MNS de Rabat, «inspiré des lieux tels que la Cité des sciences et le Musée de l'histoire naturelle de Paris», pour reprendre les propos de Hafid Boutaleb, sera justement «l'occasion de créer un lieu de rencontres scientifiques, de débat et d'animation, qui viendra alimenter l'exposition permanente ». Mais il faudra impérativement sensibiliser les Marocains sur le rôle des musées, et inciter les directeurs d'écoles publiques marocaines à y envoyer leurs élèves pour compléter les connaissances acquises en classe. Le conservateur et l'architecte devront travailler ensemble à la conception du plan du musée L'architecte qui sera chargé de la conception du plan du musée n'est pas encore connu. Il pourrait s'agir de Youssef Hajrouj, qui a dessiné une première esquisse du musée (qui est aussi le concepteur du siège actuel du ministère de l'intérieur), mais cela pourrait être un autre architecte, explique M. Boutaleb, qui précise : «Nous allons procéder, le moment venu, à un concours d'idées pour sélectionner le meilleur plan architectural». On prodédera de même pour le futur conservateur du musée. «Beaucoup de gens se trompent sur la manière de construire un musée, le choix du conservateur est donc indispensable avant toute chose. C'est lui, en fonction des collections qui vont être exposées, qui doit guider l'architecte dans la conception du plan», explique Zhour Rhihil, diplômée de l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP) de Rabat, et conservatrice du Musée judaïque marocain de Casablanca. Et Dieu sait, selon elle, si le Maroc «recèle des jeunes conservateurs talentueux sortis de l'INSAP, comme des conservateurs de monuments et des archéologues. Il suffit de les valoriser». Ce dont M. Boutaleb est tout à fait conscient. Notons que l'architecte et le conservateur du MNS seront choisis en même temps. Dernier point, le nerf de la guerre, c'est-à-dire l'argent. Comment sera financée la construction du musée ? Quels sont les contributeurs qui vont mettre la main à la poche? 7,5 millions de dirhams, c'est le montant avancé pour le budget. L'université Mohammed V – Agdal dispose déjà de quelque 4 millions de dirhams, pour le reste, il y a des promesses, notamment celle du Conseil de la ville de Rabat (2 MDH) et du Conseil de la Région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (2 MDH également). L'Académie des Sciences Hassan II serait également intéressée par la construction de ce musée.