Il ne fait pas bon être riche lorsqu'on est poète ou écrivain. Est-ce pour dire que Baudelaire, Rimbaud, Al Moutanabbi et Khaïr-Eddine n'auraient jamais existé s'ils étaient pleins aux as ? C'est le fameux et sempiternel déterminisme de la misère comme facteur de création. L'argent et la poésie peuvent-ils aller ensemble ? De tout temps, et partout à travers le monde, la réponse aurait été négative, partant du fait que la poésie ne souffre ni ne draine la richesse. Sauf aux Etats-Unis où on a appris qu'une héritière de l'industrie pharmaceutique vient de léguer 150 millions de dollars à une association de poètes, «Modern poetry association». Cette dernière édite la célèbre revue Poetry, qui a publié les plus grands poètes américains du siècle dernier. Selon le supplément littéraire du journal Le Monde qui rapporte cette nouvelle ahurissante, ce legs a provoqué un vaste débat au sein de la communauté des poètes américains dont certains craignent que leur association se transforme «en entreprise à but lucratif». C'est à croire que les poètes ne seront jamais satisfaits : ils se plaignent de ne pas gagner d'argent avec leurs écrits et, lorsqu'ils en gagnent, ils ont peur de perdre leur âme. Cependant, certains membres de l'association poétique ont perdu le sommeil depuis que la trésorerie a été dopée d'une manne aussi importante. L'activité de cette institution, qui se préoccupait plus des métaphores et de la tenue des Belles Lettres que des chiffres et du cours du Dow Jones, a été complètement bouleversée : «réunions interminables autour de la gestion de ce capital titanesque, le téléphone qui ne cesse de sonner, investisseurs, agents immobiliers, poètes en proie à de soudains accès de cupidité…». Bref, la poésie a été rongée par les vers de la cupidité et du boursicotage. On va rêver un peu, puisqu'on est chez les poètes, et imaginer un scénario similaire pour l'association marocaine «La Maison de la poésie». On voit d'ici la tête de nos amis poètes se précipitant pour acquérir un local afin d'être en conformité avec l'appellation et justifier au moins le mot «maison». Et puis, on ne comptera plus le nombre des nouveaux adhérents qui vont accourir, toutes rimes dehors, les résidences d'écriture, les soirées poétiques où l'on rimaille et on fait ripaille et les recueils de poèmes illustrés par les peintres les plus illustres. Tout cela va, bien entendu, faire une grande jalouse : l'Union des écrivains du Maroc qui tire le diable par la queue et vit au seuil de la pauvreté mais qui rêve aussi d'un mécène milliardaire qui lui lègue sa fortune. Mais, si l'on en croit l'expérience vécue par des membres de la «Modern poetry association», il ne fait pas bon être riche lorsqu'on est poète ou écrivain. Est-ce pour dire que Baudelaire, Rimbaud, Al Moutanabbi et Khaïr-Eddine n'auraient jamais existé s'ils étaient pleins aux as ? C'est le fameux et sempiternel déterminisme de la misère comme facteur de création. Une causalité souvent contredite par quelques grands talents nés et élevés dans des foyers nantis. En d'autres termes, et partant du proverbe fort naïf qui prétend que l'argent ne fait pas le bonheur, on peut penser qu'il pourrait concourir parfois à faire des poètes. Mais, voilà, à voir le résultat avec tous les pauvres que la planète abrite tant bien que mal, il faut se rendre à l'évidence : les probabilités sont bien maigres, sinon ça se saurait. Revenons maintenant à nos poètes américains et à leur calvaire économique. Il paraît, selon Le Monde des Livres, que le nouveau président de l'association, John Barr, est un poète qui avait déjà fait fortune à Wall Street. Cela ne l'a pas empêché de publier six bouquins de poésie car, dit-il, «le poète et le businessman tirent leur eau d'un même puits. Dans ces deux domaines, on peut user de créativité pour recouvrer de l'ordre dans le chaos de l'expérience quotidienne.» On ne sait pas de quel puits il s'agit, mais il faut reconnaître qu'ils sont balèzes ces poètes américains qui savent faire rimer argent et poésie en inventant la Muse qui s'amuse. Mais rappelons enfin que la «Modern poetry association» est devenue «Poetry foundation» et tout en gagnant le statut de fondation elle a perdu le qualificatif «modern». Sans doute parce qu'il est difficile de rester moderne lorsqu'on s'enrichit aussi vite. On en connaît qui sont devenus des conservateurs purs et durs pour moins que ça. Et pour conclure tout en restant dans le domaine du pognon, Alberto Moravia disait : «Pour gagner de l'argent, il faut un don, mais pour le dépenser, il faut une culture.» Et comme les poètes de la «Poetry foundation» ont déjà le don de 150 millions de dollars, on veut bien croire qu'ils ont aussi la culture pour savoir les dépenser