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Le fellah marocain, oublié de la croissance?
Publié dans Lakome le 29 - 04 - 2013

Outre la nature perverse des sources de la croissance au Maroc, il y a ce problème d'agriculture qui sert de justification au maintien d'une niche fiscale profitable à une minorité favorisée. Ce traitement de faveur est d'autant plus nocif que des opportunités de croissance productive et d'amélioration des conditions de vie d'une majorité de la population rurale sont réelles.
Pourtant, la volonté politique n'y est pas. Probablement parce que la population rurale n'a pas de porte-parole: le champ politique partisan ne peut compter sur cette masse d'un peu moins de 3 millions de ménages, dont l'allégeance politique, si elle est existait, est soit ignorée, soit rattachée au relais du notable rural local. Et par un curieux concours de circonstances, le désintérêt d'une gauche alternative concentrée (probablement à juste titre) à gagner les classes moyennes urbaines salariées, se superpose à celui des autres tendances partisanes ou non. Comment expliquer autrement l'absence de mesures spécifiques dans les programmes électoraux (permanents ou non) de nos politiciens?
De prime abord, les objectifs de développement de l'économie rurale inclus dans les diverses politiques exécutées depuis 1974 sont louables: ce sont des transferts de ressources essayant de compenser l'écart croissant entre une économie plutôt moderne, et un monde rural prisonnier de ses difficultés de statut foncier, de manque d'irrigation, ou encore de faible productivité. Sauf que ces mêmes politiques auront négligé, et probablement généré des divergences au sein même de ce secteur agricole.
Le déclin tendanciel de la part du PIB agricole dans l'économie domestique est une preuve du double effet du découplage du premier, ainsi qu'un taux de croissance moyen légèrement inférieur à la moyenne nationale, et surtout, les écarts grandissants en technologie de production entre les secteurs agricoles moderne et de subsistance. Enfin, et même si les effets de ce type de réforme sont difficiles à mesurer, la réforme agraire pour laquelle chaque année un demi milliard de dirhams est provisionné, et qui devrait équilibrer les disparités de propriété foncière, tarde depuis un demi-siècle.
Et pourtant, les bénéfices de soutien de cette classe d'agriculteurs sont potentiellement intéressants pour eux et pour l'économie domestique dans son ensemble. On se propose donc un exercice de politique-publique-fiction, où le Plan Maroc Vert fournit équitablement des moyens aux Piliers I et II, aux secteurs moderne et traditionnel. Pour ce faire, on observe l'impact d'un choc positif du type de soutien du PMV aux deux secteurs. Les mesures concernent les changements d'utilisation des facteurs de production permettent ensuite de calculer les bénéfices sur la croissance de la prochaine décennie.
Les différences de comportement des deux sous-secteurs sont expliquées d'abord par les différences d'appareil productif : l'agriculture moderne est notoirement gourmande de machines agricoles, de travaux de mécanisation de sol, et utilise très peu d'ouvriers agricoles rapportés à la surface cultivée, contrairement aux exploitations agricoles traditionnelles, qui sont obligées d'employer plus de main d'oeuvre en valeur absolue et rapportée à la surface cultivée. D'un autre côté, il y a aussi l'effet des aléas climatiques, qui bien que non discriminant vis-à-vis du type d'activité agricole, est plus volatile dans la production agricole de subsistance, on peut d'ailleurs proposer une décomposition de la volatilité de production par type de chocs, qui montrent que le secteur agricole moderne dépend plus d'évènements extérieurs à l'économie domestique et même en dehors des aléas climatiques – une activité d'exportation pour résumer.
L'agriculture moderne par ses caractéristiques propres ne permet pas d'anticiper une augmentation de production, ni de création accélérée d'emplois. En vérité, s'il y a augmentation du PIB agricole moderne, elle sera de courte durée, et correspondra à une augmentation rapide mais courte dans le temps de l'appareil productif. Au bout de dix ans, la contribution de croissance en volume sera légèrement négative : 48 points de base de croissance en moins. La raison de ce résultat paradoxal est à chercher dans l'intensité capitalistique de leur appareil productif : subventionner le secteur en encourageant l'investissement privé diminue le rendement de cet appareil, et donc entraîne une baisse de la production totale.
De même, la promesse de création d'emplois est difficile à anticiper, encore une fois parce que l'agriculture moderne n'utilise pas le facteur travail d'une manière intensive. Ce comportement met donc en doute la validité de l'hypothèse de coopération mutuelle dans le cadre de l'agrégateur.
D'un autre côté, les petits agriculteurs adoptent un comportement opposé, principalement à cause du différentiel de consommation. Cependant cette augmentation de consommation reste très modérée en comparaison avec l'augmentation de la production, dont l'effet cumulé sur la décennie est proche de 1.6 point de croissance supplémentaire, dont seulement 12% sera consommée par les agriculteurs du secteur traditionnel.
L'esprit présidant aux choix inclus dans le Plan Maroc Vert est basé sur l'hypothèse que les grandes exploitations transformeront le soutien financier en augmentation de capacité de production, en capital et en travail, augmentant ainsi l'investissement en machines agricoles, et en création d'emplois. Or ceci n'est possible que si le coût d'opportunité de la décision d'extension de capacité est inférieur aux bénéfices attendus. C'est sur la base de ce raisonnement que les résultats présentés plus haut contredisent l'hypothèse initiale du plan: la nature des rendements de ce secteur fait que les grands agriculteurs préfèreront une brusque mais courte augmentation d'investissement, sans forcément recruter plus d'ouvrier agriculteur, et probablement même réduire la production pour profiter des effets de productivité subventionnée par le Plan.
D'un autre côté, les applications potentielles d'une aide principalement orientée vers les 80% de petites exploitations produiraient un résultat économique et social désirable. Le porte-parole de cette classe de petits agriculteurs cependant, manque à l'appel.


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