Un décret du gouvernement Benkirane vient d'exempter l'un des secteurs les plus corrompus, l'armée, de rendre compte sur ses marchés publics et les modalités de leur attribution. Un pas de géant en arrière pour la transparence au Maroc. Un décret du gouvernement Benkirane vient d'exempter l'un des secteurs les plus corrompus, l'armée, de rendre compte sur ses marchés publics et les modalités de leur attribution. Un pas de géant en arrière pour la transparence au Maroc. En matière de transparence, c'est un pas de géant... en arrière que vient de faire le gouvernement marocain. Le Conseil du gouvernement présidé par Abdelilah Benkirane le 28 décembre dernier, a adopté un décret définissant les nouvelles modalités d'attribution des marchés publics par les établissements de l'Etat. Le gouvernement a exclu d'un certain nombre d'obligations l'Administration de la défense nationale. Le secteur de l'armée est pourtant déjà classé par l'ONG Transparency Maroc parmi ceux étant les plus rongés par la corruption et la non-transparence. Le même constat est tiré par la diplomatie américaine. Révélé par Wikileaks en 2010, un câble de l'ancien ambassadeur américain à Rabat rapporte l'usage « de la position dans l'armée pour nourrir des affaires privées » comme c'est le cas du général le plus gradé de l'armée marocaine, Abdelaziz Bennani, cité nommément par le diplomate. Suite à ce décret qui rentrera en vigueur fin juillet prochain, l'Administration de la défense n'est pas tenue de soumettre ses marchés aux différents audits et contrôles de l'Etat. Concrètement, l'Administration de la défense n'est pas obligée de rendre compte sur «la préparation, la passation et l'exécution des marchés; l'appréciation de la réalité ou de la matérialité des travaux exécutés, des fournitures livrées ou des services réalisés; le respect de l'obligation d'établissement des différents documents afférents au marché ». Et ce n'est pas tout, la même administration n'est aucunement concernée par l'obligation de publier les différents documents afférents au marché, à l'évaluation des réalisations selon les objectifs fixés et, toujours selon le même décret, personne n'interrogera l'Administration de la défense quand à l'opportunité et l'utilité des projets et prestations réalisés dans le cadre du marché. Si ce décret souligne bien que les marchés de travaux, de fournitures et de services passés par l'administration de la défense nationale sont soumis à ses dispositions, il annule toute possibilité de contrôle a posteriori, et ne définit pas de frontières claires entre les marchés courants et ceux liés à la défense nationale. Selon Abdessamad Saddouq, Secrétaire général de Transparency Maroc, « les exceptions inexpliquées accordées aux achats courants de l'Administration de la défense persistent dans ce document ». Même son de cloche chez Abdeslam Aboudrar, président de l'Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC), étonné des exceptions faites à la défense nationale, « je réitère la position de mon instance : certaines activités de l'Administration de la défense relèvent du secret, d'autres non, comme les logements des militaires, par exemple ». En 2011 déjà, l'Administration de la défense nationale a passé un gros marché négocié de gré à gré, d'un montant de 10 milliards de dirhams, avec le promoteur immobilier Addoha. Ce dernier et l'Agence des logements et équipements militaires (ALEM) ont conclu un partenariat pour construire des logements pour les militaires mais également pour en commercialiser aux particuliers. L'armée donne les terrains, et Addoha construit. Une alliance entre un établissement public et un promoteur privé, sans appel d'offres et sans mise en concurrence. La décision a fait beaucoup de bruit, mais n'a pas pour autant poussé l'Administration de la défense à réagir, ni les institutions concernées à la rappeler à l'ordre. Suite à ce décret, ce sont 5,35 milliards de dirhams alloués par le budget 2013 à l'Administration de la défense nationale pour le matériel et investissement, qui ne seront ni audités, ni contrôlés, et dont l'usage ne sera pas conditionné par le respect des dispositions régissant les appels d'offres et les marchés publics. Ces dispositions sont généralement la base d'évaluation de ces établissements par la Cour des comptes. Si celle-ci se décide un jour à aller auditer les comptes de l'Administration de la défense nationale, elle ira sans armes et pour un résultat connu d'avance...