Pêche à risque Pour ceux qui connaissent la mer, le danger est une variable omniprésente. En y ajoutant un brin d'inconscience, le mélange est explosif. Plusieurs pêcheurs à chambre à air, à la quête de leur pain quotidien ont perdu la vie dans la crique de “mriziga”. Nous vous racontons leurs histoires. Asseyez-vous aux côtés d'un vieux pêcheur et écoutez-le parler de la mer et de ses dangers. Il peut y passer la nuit, sans se lasser. Observez l'expression de son visage, vous comprendrez tout ! Défier l'océan, chaque jour, dans une petite barque, est un métier à haut risque. Que diriez-vous alors de ceux qui se lancent, contre vents et marées, guidés par une simple chambre à air et d'un énorme besoin de gagner le pain quotidien ? Sur l'ex-plage "Mriziga", ils sont une bonne vingtaine qui s'arment, chaque jour, de courage et de bonne volonté, pour affronter l'océan, sa bonté comme sa colère, sans jamais rechigner sur le mauvais sort qui les a poussés à vivre de ce métier, aujourd'hui ingrat et sans avenir. Ils "embarquent" quotidiennement sur leur chambre à air de fortune, s'éloignent de la rive, des fois, à jamais. Sur cette crique de " mriziga", ils sont une bonne dizaine à avoir perdu la vie. Pour la plupart, ils ont défié une mer houleuse, un jour venteux. "pour le prix de trois ou quatre poissons, ils se sont lancés dans une entreprise à haut risque, ils l'ont payé de leur vie". Appelons-le Omar, celui qui, la veille, a placé ses filets un peu plus loin qu'à l'accoutumée. Omar gagnait assez bien sa journée. En optant pour les filets au lieu de la canne, il gagnait aisément environ 100 DH par jour. Ce matin là, la crique était vide. Les pêcheurs à chambre à air s'étaient réunis au bord de l'eau redoutant la colère de l'océan. Omar, lui, pensait à son filet, à sa prise, à ses 100 DH. L'homme prend la mer ou comme dit la chanson " c'est la mer qui prend l'homme". C'était sa dernière sortie. Le prix de l'inconscience coûte cher. L'inconscience ne se résume pas à l'aventure sur une mer déchaînée. Plusieurs concilient la bringue et la pêche. Un alliage explosif ! Said et deux de ses compagnons en ont payé le prix une matinée d'hiver. Un saoul à la mer, ça ne va pas trop loin, encore moins quand l'eau est glacée : Ils n'ont jamais pu atteindre la rive. "Avant, les pêcheurs à chambre à air étaient beaucoup plus nombreux. En cas de pépin, il y avait toujours quelqu'un à côté pour venir à la rescousse. Aujourd'hui, en hiver, très peu de pêcheurs s'aventurent, ce qui rend les interventions encore moins évidentes" . Toutefois, être conscient des risques ne limite pas le danger. Le vent peut tourner et la mer s'agiter alors que le pêcheur est encore loin de la rive. A ce moment, son salut ne dépend que de la chambre à air et de la volonté divine. "Je m'accroche à ma bouée et je prie. Souvent, je maudis le sort qui m'a poussé à faire ce métier". Ahmed, un des rares habitués, pêche dans la crique depuis les années 80. La peur, il l'a sentie, vécue et endurée dans ses nombreuses sorties. "Quand la mer se déchaîne, mon unique souci est d'atteindre les escaliers sur la corniche sans qu'une vague ne m'écrase contre le mur en béton armé. Si la marée est haute et que les escaliers sont couverts d'eau, je suis obligé d'endurer l'intempérie, d'attendre que la mer recule et que le passage se dégage. Des fois ça prend des heures. ” Le risque le plus fréquent reste néanmoins l'éclatement de la chambre à air. Un geste mal calculé, cigarette à la main et c'est la catastrophe. Utiliser des bouées usées accentue également le risque et les rochers, parsemés un peu partout sur la crique, ne font rien pour arranger les choses. La précarité où évoluent ces pêcheurs est d'autant plus aggravée par l'inexistence de moyens de prévention. En effet, sous prétexte que ça gênerait leurs mouvements, ils ne mettent pas de gilet de sauvetage. En cas de pépin, la chambre à air sert de bouée de sauvetage. Et si le pépin provenait de la crevaison de la chambre à air ?… Le sort en est jeté.