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“J'ai conseillé aux jeunes femmes d'enlever le hijab”
Publié dans La Gazette du Maroc le 25 - 07 - 2005

Interview du Dr Zaki Badawi, recteur de l'université islamique de Londres et président du Conseil des Imams et des mosquées de Grande-Bretagne
La Gazette du Maroc : Dr Zaki Badaoui quels sont les répercussions des attentats terroristes qui ont frappé Londres sur la communauté arabe et musulmane en Grande-Bretagne ?
Dr Zaki Badawi : bien que le gouvernement britannique ait pris de sérieuses mesures pour protéger les Musulmans et leurs institutions, il règne une atmosphère de peur et de crainte vu que les téléphones et l'Internet sont remplis de messages d'insultes et de menaces. Cette situation fait peur aux gens. Certains nous ont informé qu'ils sont attaqués et notamment les femmes d'enlever le Hijab, le voile. Je leur ai dit qu'actuellement, le voile n'est pas une obligation et la femme ne doit pas s'y conformer s'il lui cause des ennuis. La situation qui prévaut est naturelle et attendue parce que l'ambiance de peur et de crainte qui règne actuellement en Grande-Bretagne en général et à Londres en particulier et le fait de pointer du doigt les Musulmans est l'existence d'un certain nombre d'individus qui commettent des attentats. Tout cela a rendu la situation de la position de la colonie musulmane mauvaise. Nous souffrons beaucoup en ce moment, mais en dépit de tout cela, je dis que le gouvernement britannique et les services de sécurité nous protègent avec tous les moyens à leur disposition.
Certaines informations font état de pas moins de 6000 agressions déjà contre la communauté musulmane. Qu'en est-il au juste ?
Oui, il y a eu des agressions. Toutefois les gens qualifient tous les actes d'agressions. Mais la plupart de ces agressions sont soit verbales soit par le jet de pierres contre les institutions et établissements et les mosquées. Mais, dans l'état actuel des choses, ces agressions sont très légères par rapport à ce qui s'était passé par exemple en Hollande où l'on a détruit 35 mosquées au deuxième jour de l'assassinat de Van Goh, 80 Medersa (écoles coraniques) ont été fermées. Je pense que la situation en Grande-Bretagne en comparaison avec celle de la Hollande est beaucoup moins pesante.
Au lendemain des attentats du 7 juillet 2005 qui ont ensanglanté Londres, vous avez parlé ?
Au cours de cette réunion, le Premier ministre a évoqué quelque chose d'important. Il a dit que les gens accusent ma politique étrangère d'être à l'origine de ce qui s'est passé mais cela ne doit pas être pris en considération parce que la politique étrangère n'a aucun rapport avec ces événements. Ceux qui ont commis les attentats sont une bande de criminels. Ils ont commis ces atrocités et dans les cas de figure, s'ils avaient un point de vue différent du mien, la manière de s'opposer à moi ne doit pas être en jetant des bombes et en tuant des innocents et en détruisant les moyens de transport du pays.
Tony Blair a par ailleurs affirmé : “nous voulons vous dire que le gouvernement va prendre des mesures sécuritaires comportant deux volets. Le premier sera axé sur le renforcement de l'autorité de la police pour arrêter les gens suspects, mais en même temps nous allons essayer de respecter la liberté de la communauté musulmane et la protéger des agressions“. Pour le deuxième volet, le Premier ministre a souligné la nécessité de la création d'une commission qui aura pour mission de se pencher sur. ce qu'il a appelé “Task force“. Cette commission fera un certain nombre de recherches sur le problème et la manière de le traiter. Après notre rencontre avec le Premier ministre, nous avons eu des entretiens avec le ministre de l'Intérieur. les entretiens ont porté sur la question des Imams, leur formation, le dossier des mosquées et des Medersas. Nous avons également évoqué la question des gens qui prêchent la violence et la jeunesse séduite par cette propagande. Nous allons réfléchir sur un ensemble de propositions et rencontrerons à nouveau le ministre au mois de septembre prochain.
En votre qualité de président du conseil des Imams et des mosquées de Grande Bretagne, vous n'êtes pas sans savoir que certains Imams ne maîtrisent pas la langue anglaise ou appellent lors leur pêche à la violence et à l'extrémisme et embrigadent la jeunesse, quel est notre commentaire ?
Oui. Il existe un certain nombre d'Imams qui embrigadent les jeunes avec des idées “explosives“ et des prêches et des discours encouragent la violence pour commettre des crimes contre les gens. Mais ils constituent une minorité. Le problème dans les mosquées, c'est que bon nombre d'imams ne parlent pas l'anglais et s'adressent à une jeunesse qui ne parle qu'anglais. Deuxièmement, parmi les Imams qui parlent anglais, ils ne la maîtrisent pas parfaitement pour pouvoir s'adresser à la jeunesse. Le troisième point, même ceux qui maîtrisent la langue anglaise et c'est une minorité, n'abordent pas dans leurs prêches et discours les problèmes dans lesquels se débattent les jeunes. Par exemple, en ces jours noirs que nous vivons, certains parmi les Imams ne parlent pas de la paix et du devoir de la paix et de la tolérance et de l'intelligence. Un jeune a publié un article dans le quotidien “The Guardian“ et dans lequel il dit qu'il a assisté deux vendredi de suite à la prière et n'a pas entendu un seul mot de la bouche de l'Imam sur ce qui se passe en ce moment en Grande-Bretagne. Il voulait dire par là que la mosquée est totalement isolée et coupée de la réalité et des problèmes de la communauté musulmane.
La communauté arable et musulmane en Grande-Bretagne est forte de près de 1,5 million de personnes. Comment voyez-vous la restructuration du champ religieux chez vous?
La communauté musulmane compte effectivement 1,5 million de personnes dont une grande part a des connaissances très limitées en matière religieuse pour la simple raison que l'enseignement religieux a pour cadre les mosquées et bon nombre de jeunes ne les fréquente pas, voilà le premier problème. Le deuxième, c'est que les jeunes qui s'intéressent à l'Islam tombent dans les filets des mouvements extrémistes. Et la raison derrière tout cela, c'est que ces mouvements, comme le parti d'Ittahrir (libération) et le mouvement d'Al Mouhajiroune et leurs semblables, vont aux universités et s'adressent aux jeunes avec nom de l'Islam, distribuent leur “littérature“ et dialoguent avec les jeunes et les influences. La communauté immigrée passe par une situation difficile et délicate et n'est pas traitée souvent de la même manière que les gens du pays. Tout ça est connu. Nous avons ici en Grande-Bretagne de nombreuses jeunes diplômées chômeurs. Ils pensent également que la police les traite d'une façon particulière et ne les considère même pas comme des citoyens. Ils trouvent des difficultés à obtenir du travail. Ils estiment qu'ils sont traités de manière dégradante et indigne et par conséquent, ils se sentent frustrés. La situation précaire dans laquelle se trouvent ces jeunes est exploitée par ces mouvements extrémistes qui les incitent à la rébellion sur la société britannique. Pourquoi ne pas revendiquer nos droits par les moyens démocratiques et constitutionnels ? Cela est possible. Nous avons d'ailleurs déployé de gros efforts à ce niveau à leur égard. Or, ils estiment qu'ils vivent dans une société mécréante qu'il faut combattre et détruire et que leur existence dans ce pays est illégitime.
Ils cherchent en fait le clash des civilisations et des religions ?
Absolument. Certains parmi ces jeunes au cours des dernières élections législatives ont appelé les Musulmans à boycotter le scrutin prétendant que leur participation à cette consultation électorale signifie une participation dans un gouvernement d'infidèles. Nous avons jugé utile d'émettre une Fatwa et j'ai dit qu'il faut encadrer la communauté musulmane et qu'elle doit prendre partr à ces élections qui accoucheront d'un Parlement, institution qui promulguera des lois qui influeront sur notre vie quotidienne. Il est donc de l'intérêt général des Musulmans de participer à l'action politique. Et j'ai dit que celui qui ne s'intéresse pas aux questions et problèmes des Musulmans ne fait pas partie de cette communauté. J'ai ajouté également qu'il est du devoir du Musulman de considérer les élections comme un devoir. Nous les avons donc conseillés, encouragés à prendre part à ces élections sans pour autant leur donner des consignes quant aux partis politiques ou les personnalités à voter pour. Nous leur avons dit que l'appel au boycott des élections n'a aucun fondement religieux et ces gens-là sont en train d'encourager les jeunes à se rebeller contre la société britannique, une société qui les a accueillis et leur a accordé de nombreux privilèges.
Oui il y a des choses que nous revendiquons mais par des voies et des moyens constitutionnels et parmi les moyens constitutionnels les plus importants figure la participation aux élections. Les jeunes du parti Attahrir, du mouvement Al Mouhajiroune et d'autres organisations et un certain nombre d'Imams ont induit en erreur la jeunesse et il y a eu pour conséquence l'apparition d'une faction dans leurs rangs, faction qui a créé une fracture entre nous et la société britannique.
Dr Zaki n'estimez-vous pas que la Grande-Bretagne paye aujourd'hui le prix d'avoir accueilli les mouvements intégristes et leurs dirigeants en leur accordant l'asile politique. Par ailleurs, le Premier ministre Tony Blair appelle aujourd'hui à la tenue d'une conférence internationale sur le terrorisme, or lorsque les terroristes avaient frappé Casablanca le 16 mai 2003, le Roi du Maroc Mohammed VI avait appelé à cette même conférence, l'Occident n'avait pas jugé utile de répondre à l'appel comme si les événements de Casablanca étaient un problème local par contre New York, Madrid et Londres constituent un problème global ?
Je pense que c'est un point de vue limité. J'ai été au Maroc quand il y a eu les attentats et le gouvernement britannique avait condamné ces attentats. Pour ce qui est des réfugiés politiques, il existe en Grande-Bretagne des lois très fermes. Vous savez que certains parmi les accusés qui ont commis des crimes ont été envoyés en prison mais le gouvernement a dû les relâcher par décision de la justice. Ici, la justice est indépendante et le souhait général ainsi que le système politique britannique plaident pour la sauvegarde de la liberté individuelle tant qu'elle est exprimée de manière nonviolente et par les moyens qu'autorise la loi. Aujourd'hui, les gens disent que la Grande-Bretagne paie comme vous l'avez dit le prix de sa tolérance. Naturellement. La presse britannique dit la même chose. Mais il y a certains Etats intolérants qui ont été vidimes d'attentats. Donc les attentats sont l'œuvre de ces criminels idiots, je vous dis en toute franchise, j'ai donné, il y a deux ans une conférence avec le ministre britannique chargé des minorités et j'ai dit qu'on ne peut pas prédire l'avenir, seul Allah peut le faire mais j'ai dit également que j'ai le sentiment qu'il n'y aura pas d'attentats contre la Grande-Bretagne commis par la jeunesse musulmane. J'ai justifié ma position par deux raisons. La première est que comme vous l'avez dit, la Grande-Bretagne leur donne une bouffée d'oxygène pour qu'ils la préservent et ne s'attaquent pas à ce pays.
La deuxième raison, j'ai dit que la Grande-Bretagne ne joue pas de rôle essentiel dans la politique étrangère mais suit les Etats-Unis. La Grande-Bretagne passe par des moments difficiles et il est de notre intérêt de préserver notre amitié avec ce pays pour que nous ayons des amis en Europe. J'ai même ajouté que la Grande-Bretagne est le pays qui traite de la meilleure manière la communauté musulmane en Occident. J'ai dit que si les jeunes musulmans étaient des gens responsables qui s'intéressent à l'Islam et se soucient de son avenir, ils ne tenteront pas de porter préjudice aux relations qui nous lient à la société britannique. Je me suis rendu compte de mon erreur et la presse me l'a reproché. La Grande-Bretagne va prendre des décisions très fermes vis-à-vis de ces criminels. Certains seront expulsés vers leurs pays d'origine. Londres a déjà conclu un accord avec Amman stipulant que ceux qui sont Jordaniens et qui seront extradés ne seront ni condamnés à mort ni torturés mais seront traités comme des prisonniers. Le gouvernement jordanien a accepté les conditions britanniques. Je pense que si les Etats arabes concluent de tels accords et s'engagent à ne pas condamner à mort ou torturer un suspect, la plupart de ces gens-là seront extradés vers leurs pays parce que la Grande-Bretagne ne les veut plus chez elle.
Le Maroc a demandé l'extradition de Mohamed El Guerbouzi mais Londres a refusé.
Non, la Grande-Bretagne va accepter cette demande, je pense.
Avez-vous rencontré El Guerbouzi ?
Non, jamais
Selon vous, y a-t-il encore des cellules dormantes ?
Je ne dispose pas d'information mais à coup sûr ce qui est arrivé à Londres est l'œuvre de cellules dormantes. Et le drame dans tout cela, c'est que ces jeunes qui ont commis les attentats n'étaient pas connus des services de police ou qu'ils appartenaient un mouvement quelconque. On ne savait pas qu'ils allaient ouvertement et en accord avec eux-mêmes à une mosquée déterminée ou rencontrer un Imam déterminé. Cela pose problème et j'ai demandé au patron de Scotland Yard de nous fournir le profil ou le portrait de ces jeunes qui ont commis les attentats suicides. Ils ne sont pas des chômeurs. Ils ne sont pas pauvres ni analphabètes. Ils sont éduqués et le plus important dans tout cela, c'est qu'ils occupent tous des fonctions et ont des familles. Deux d'entre eux ont laissé leurs femmes enceintes. Comment peuvent-ils commettre ces crimes? J'ai dit, nous voulons comprendre ces gens-là pour comprendre de quelle faction, de quelle société et de quelle région ils viennent pour qu'on arrête un plan de travail parce que le conseil des Imams et des mosquées m'a chargé d'élaborer un plan pour pouvoir traiter cette question de l'intérieur de la communauté avant l'interférence du gouvernement britannique dans les affaires de notre communauté.
Il est connu que Londres est la ville pratiquement la plus surveillée au monde avec plus d'un million de caméras. En plus, elle a été frappée à deux reprises en deux semaines, est-ce l'échec des services de police britanniques ?
Naturellement, quand ce genre de drame arrive, cela traduit la défaillance des services de renseignements. Mais le problème est que ce genre d'organisations terroristes qui se cachent derrière de nombreux masques, rend difficile le travail de la police. Il n'est pas possible de les démasquer. Bien sûr le gouvernement, les autorités et la société britanniques ont commencé à déployer de gros efforts pour surveiller les jeunes de la communauté musulmane et les organisations et les mouvements. Bien entendu, ils considèrent ce qui est arrivé comme un échec.
Quelle est la relation d'Al Qaïda avec les organisations terroristes intégristes opérant en Europe et dans le reste du monde ?
L'ambassadeur de l'Arabie Saoudite en Grande-Bretagne l'émir Turky Al Faycal qui était le patron des services de renseignements dans son pays estime que ce qui s'est passé à Londres est l'œuvre d'Al Qaïda et pense que cette organisation a des tentacules partout dans le monde. Bien entendu, il était en contact avec Al Qaïda.
Comme vous le savez, Ousama Ben Laden avait des relations très étroites avec l'Arabie Saoudite et l'Emir Al Fayçal était en relation avec lui et peut-être qu'il était au courant.
Al Qaïda a donné un mois aux pays européens participant en Irak à retirer leurs troupes, faute de quoi, ils seront “punis“. Pensez-vous que c'est à prendre au sérieux et qu'il y aura d'autres carnages ?
Tout est possible. Ce qui s'est passé à Londres a éveillé les craintes et les peurs en Europe, en Amérique et ailleurs.


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