Elections présidentielles en Iran Le premier rond pour élire le président de la République islamique a montré que la compétition a été cette fois sensée malgré le petit avantage marqué par Hajjat al-Islam Ali Akbar Hachemi Rafsandjani. Avec un taux de vote avoisinant les 68 %, la surprise reste toujours de mise. Si les visions des sept candidats à la présidentielle en Iran sont radicalement différentes des relations avec le monde, elles sont néanmoins presque les mêmes sur le plan interne car ces personnalités sont, en fin de compte, des purs produits du régime des “Melalis“. D'autant qu'elles avaient occupé toutes, sans exception, des postes clés dans la consolidation du pouvoir en place. Pour l'Ayatollah Ahmed Moutazari, un des artisans de la Révolution islamique aux côtés de l'Ayatollah Khomeini, assigné actuellement à résidence surveillée à Qom, il ne faut pas s'attendre avec ces élections aux moindres changements. Interrogé par téléphone par la Gazette du Maroc, il y a quinze jours, ce leader contestant “wilayat al-Fikah“ sur laquelle se base “Mourched al-Thaoura“, Ali Khamenei, pour prononcer “ses fatwas politiques“, a indiqué qu'il y a une très grande différence entre la “modération et les réformes“. Et à Moutazari de trancher: “malheureusement, Rafsandjani fait partie du premier courant“. Le fait que le régime a, pour la première fois, élargi l'éventail des choix devant les électeurs, c'est qu'il est conscient de la montée des contestations, notamment au sein de la jeunesse iranienne. Celle-ci représentant aujourd'hui un peu plus de 65 % de la population active iranienne. Il voulait ainsi, à travers ce “jeu de compétition, anticiper sur les mécontentements en impliquant cette frange dans cette épreuve électorale“. Le premier constat sorti des urnes montre que les piliers du régime islamique ont réussi ce pari. La preuve, le taux de vote a dépassé les prévisions, vendredi dernier. De plus, il a laissé croire aussi bien aux observateurs locaux qu'aux chancelleries occidentales que l'Iran des mollahs sait, à l'instar des pays démocratiques, laisser le choix à l'électeur et, que le meilleur gagne. En même temps, le gouvernement multiplie les messages d'ouverture envers les Etats-Unis. Le candidat le mieux placé, Ali Akbar Rafsandjani, s'est apparemment chargé de passer le message sans que les conservateurs ne poussent leurs instruments telle que la Garde révolutionnaire pour le critiquer. Comme cela a été souvent constaté lorsque le président sortant, Mohamed Khatami, tentait d'atténuer les tensions avec l'Occident, plus particulièrement avec Washington. En présence d'un poste nommé “Guide suprême“, consolidé par l'instrument incontournable dit “wilayat al-Fakih“, la présidence de la République en Iran n'a qu'un pouvoir limité. Cela a été bien prouvé tout le long de la gouvernance du réformateur, Mohamed Khatami. Ce dernier, malgré le large soutien de la population, notamment la jeunesse, n'a pu contourner les conservateurs qui sont parfois allés jusqu'à l'humilier. Tantôt, en arrêtant ses proches; tantôt, en endiguant ses projets de réformes socioéconomiques. Ce qui l'a fortement affaibli aux yeux de ses sympathisants qui ont fini par le lacher. Tout comme l'a fait le monde libre, chaque fois qu'il négociait un dossier politique –l'Afghanistan et l'Irak- ou un gros contrat pétrolier ou gazier. Force est de savoir qu'en Iran, le président de la République ne présente plus le pouvoir que les électeurs lui ont accordé. A titre d'exemple, Khatami a été élu par un raz-de-marée pour deux mandats consécutifs. Cependant, ses responsabilités ont été limitées d'une manière flagrante. Le réformateur, réputé pour sa souplesse et son habileté a, en vain, tenté de faire une percée dans le mur dressé en face de lui à la fois par la Garde révolutionnaire, les services de renseignements et les différents centres de décision de la République des “Melalis“, dont la fameuse “Maslahat Tachkhiss Annizam“, dirigée par le “nouveau modéré“, Rafsandjani. Rappelons que durant ces deux mandats, Khatami n'a guère réussi à s'emparer des ministères de souveraineté comme l'Intérieur, les Affaires étrangères ou la Défense. Il a été traité tout le long de sa période de gouvernance comme étant un adversaire des conservateurs voire un ami de l'étranger. Ces conservateurs, bien qu'ils tentent de montrer qu'ils sont à égale distance de la plupart des candidats, ont déjà leur préféré qui est en fin de compte des leurs. Il s'agit de Rafsandjani, le pragmatique, le richissime et l'animal politique qui est à la fois le soutien de plusieurs courants religieux mais le plus significatif aussi, le bazar de Téhéran. Ce dernier, qui a participé à la chute du Chah et ramené Mohamed Khatami à la présidence, a déjà annoncé les couleurs de son choix. Il mettra le paquet afin que Rafsandjani passe le deuxième tour sans trop de difficultés. Même si Khatami garde quelques espoirs en déclarant que la “nation iranienne a l'habitude de déjouer les pronostics“. En tout état de cause, les analystes politiques estiment que les conservateurs feront tout pour que le scénario Khatami ne se reproduise plus. Ce, même si on laisse croire au jeu démocratique en accordant une certaine marge de manœuvre au réformateur Mostafa Moën. Ce dernier, selon ces analystes, n'a aucune chance malgré les déclarations du ministère de l'Intérieur dans lesquelles il parle de compétition trop serrée. Dans ce contexte, force est de noter que quelques heures après l'annonce du deuxième tour, la machine de l'Etat s'est fortement mobilisée dans les grandes villes iraniennes, notamment à Qom et ses environs, pour jouer la carte Rafsandjani. Miser sur l'équilibriste Avant sa prochaine élection presque consommée, ce dernier avait réactivé ses réseaux, partout en Europe. Les intermédiaires britanniques et allemands avec qui il n'a jamais coupé les ponts, même durant les périodes les plus tendues avec l'Occident, ont porté les messages ces dernières semaines. Le plus important, c'est que Rafsandjani les a adressés en totale concertation et avec la bénédiction des conservateurs. Quant aux conditions posées explicitement, elles ne sortent jamais du cadre du décor traditionnel. De sources concordantes de l'opposition iranienne basée aux Etats-Unis, Rafsandjani s'est dit prêt à aider les Américains en Irak. Pis, de rendre la Syrie “plus coopérative“vis-à-vis de ce pays. Egalement, octroyer des privilèges aux compagnies pétrolières et gazières américaines qui veulent se positionner sur l'échiquier de ce pays. En dépit de la déclaration du président américain, George Bush, selon laquelle il critique vivement l'absence de démocratie en Iran, affirmant que les élections du vendredi dernier ne sont pas conformes à ses règles, les spécialistes des relations entre les deux pays considèrent que l'arrivée de l'équilibriste Rafsandjani pourra créer une nouvelle donne. Car ce pragmatique, maître dans l'art du donnant-donnant, est capable de remettre les pendules à l'heure en si peu de temps. En effet, Rafsandjani ne sera pas un simple président de la République n'ayant aucun pouvoir comme cela a été le cas de Khatami. Pour la simple raison qu'il est partie prenante du centre restreint de décision depuis son arrivée avec l'Ayatollah Khomeïni en 1979. Quoi qu'il en soit l'époque de Rafsandjani sera certainement différente de celle de Khatami. Cela dit, il faut s'attendre à beaucoup de surprises d'ici la fin de l'année en cours si, bien entendu, il serait élu au second tour. Ce qui est plus que sûr pour les conservateurs.