Réformes académiques et savoirs universitaires La réforme universitaire a fait subir à la langue française un moule déshydratant qui convertit la langue de Molière en un simple instrument de communication. Le chamboulement laisse apparaître l'orientation "pragmatique", très britannique, du rôle que devra désormais jouer cette langue. Dans ses ambitions affichées, la réforme a généralisé l'enseignement du français dans tous les départements de l'Université. Y compris dans les facultés scientifiques et de droit. La langue a pris du poids et de l'importance auprès des étudiants marocains : elle a été revalorisée dans ses volumes horaires et a été rendue décisive dans la notation finale. Le français est devenu incontournable. “Les conséquences de cette réforme sont abyssales et l'on ne mesurera leur impact général que dans quelques années, et davantage, dans une décennie au moins, en ce qui concerne la recherche scientifique marocaine”, confie Ahmed Sebraoui, responsable du Département de langue et de littérature françaises de l'Université des lettres de Tétouan. Cela va tout autant pour le brassage des idées, le transfert de la pensée d'une langue à une autre. Comme le fait remarquer le professeur Mohamed Benali, anthropologue et sociologue de la littérature, exerçant à Tétouan: “les cours de français ont été renforcés et sont devenus essentiels dans les départements d'arabe, d'études islamiques, de géographie, d'histoire qui ne s'intéressent pas, traditionnellement, à la langue française. On part du principe qu'un littéraire arabophone gagnerait à connaître les méthodes modernes d'analyse d'un texte et qu'en général il faut tirer ces départements de leur isolement, pousser à une osmose des savoirs que la différence des langues ne doit pas séparer”. Quels professeurs pour la formation ? Le type d'enseignement que souhaite introduire le Maroc au niveau des savoirs académiques requiert des professeurs qui ont des compétences adéquates pour assurer les cours face aux scientifiques, futurs juristes et autres étudiants arabophones. Comme le signalent plusieurs enseignants “il s'agit d'un français adapté aux matières scientifiques et juridiques, avec ses propres méthodes pédagogiques, ses propres travaux pratiques, avec des contenus d'enseignement autres, fort différents de ce qui est enseigné d'habitude dans un département de langue et de littérature françaises. Pour l'heure, il n'y a aucune coordination, ni aucune vision sur ce que nous devons enseigner en dehors de notre département de français”. Le professeur Benali souligne que: “la réforme ne contient aucune allusion aux méthodes de travail et qui plus est aucune allusion aux contenus des cours. Il n'y a que des intitulés de matière”. En somme, les enseignants n'ont pas de programme pour travailler, pas d'orientation unifiée quant au contenu qu'ils doivent préparer, ni de vision claire de ce qu'est une langue française pour “scientifiques”. Le destin du Département de langue française La réforme universitaire est en train d'éradiquer l'enseignement de la littérature française des facultés marocaines. Entre autres, les sacro-saintes matières : “Roman, Théâtre, Poésie” qui drainaient une bonne part des bacheliers, sont dores et déjà données pour mortes. Ces socles du vieux et prestigieux Département de Langue et Littérature françaises (désormais Département des études françaises) n'y sont déjà plus enseignées au niveau des 1ère et 2ème années. Elles disparaîtront définitivement du cursus d'ici peu, en septembre 2005 pour la 3ème année et en septembre 2006 en ce qui concerne la 4ème année (licence). Par ailleurs, de nouvelles matières inconnues jusque là ont fait leur apparition, très techniques, très éloignées des spécialités, que maîtrisent très mal ou pas du tout le corps professoral. De quoi refroidir les ambitions de recherches. Si l'on se fie aux nouvelles dispositions du statut de l'Université marocaine, les enseignants n'appartiennent plus à la faculté, mais à l'université. Nuance de taille. Si, par le passé, ils étaient fixés dans un seul établissement, la réforme permet maintenant à l'Université de les utiliser dans plusieurs facultés à la fois, selon ses besoins. Si bien qu'un docteur ès-lettres peut se retrouver avec quelques heures de cours à la fac des lettres et quelques heures dans une fac de science ou de droit...