Rocade méditerranéenne D'une longueur totalisant 520 km, la rocade méditerranéenne – dont la construction est déjà en cours – reliera par un axe routier moderne les pôles économiques de Tanger-Tétouan et Berkane-Oujda, en plus de faciliter l'accès au littoral oriental. Le gouvernement marocain promet que la route apportera d'innombrables avantages autant économiques que touristiques, mais serait-on en train de brûler les étapes? Le coût global du projet de la rocade est estimé à 4 555 millions de dirhams, montant auquel viennent s'ajouter 600 millions de dirhams pour la construction de la liaison autoroutière entre Tétouan et Fnideq – on parle donc d'un total de plus de 5 000 millions de dirhams alloué à la mise en œuvre de cet ambitieux chantier autoroutier. La réalisation de l'axe sous-entend une véritable ouverture pour une région encore relativement fermée, et les bénéfices économiques sont incontestables. Or, un chantier d'une telle envergure ne peut être entrepris à la légère, puisqu'il peut avoir des effets considérables sur l'équilibre des écosystèmes. Des études d'impact environnemental doivent normalement être réalisées pour s'assurer que les travaux sont effectués dans les règles de l'art, mais la construction de la rocade semble avoir échappé à de telles conditions. Du coup, certains tronçons de la route s'approchent dangereusement de la côte et le chantier est déjà en train de causer d'importants dommages à l'écosystème. “L'association AZIR, durant son dernier travail sur le terrain, visant l'estimation de l'impact des travaux de la Rocade sur le littoral, a découvert un véritable attentat contre ce biotope par le passage de la route à même le niveau du supralittoral (situé immédiatement au-dessus du niveau des hautes mers)”, explique Mohamed El Andaloussi, de l'association AZIR pour la protection de l'environnement. Bien que le problème ne soit pas présent sur tout le tracé de la rocade, ajoute-t-il, des dégâts considérables ont déjà été observés à certains endroits. La fin du phoque? Il se trouve que plusieurs régions de la côte orientale méditerranéenne renferment des écosystèmes uniques, lesquels abritent des espèces animales dont certaines sont menacées de disparition. Parmi elles, le phoque moine, unique espèce de pinnipède (ordre de mammifères comprenant phoques, otaries et morses) vivant dans les eaux tempérées de la Méditérannée et de l'Atlantique nord-est. El Andaloussi soutient que les travaux routiers ont déjà causé la mort d'un rarissime spécimen de phoque moine méditerranéen dans la région de Châmlala, au sud du Cap des Trois Fourches. “C'était à notre connaissance le dernier spécimen visible qui côtoyait les pêcheurs”, précise-t-il. “Nous avons eu confirmation [de sa mort] de la part des dizaines de personnes du village et des pêcheurs qui l'ont enterré sur la plage de Kert”. Le réseau de grottes marines et de petites calanques qui constitue l'habitat du phoque a disparu sous les décombres du nouvel axe routier, explique-t-il, ces décombres ayant été négligemment jetés via la ligne des falaises. El Andaloussi ajoute que cet habitat – rare en Méditerranée – ainsi anéanti, même la réintroduction de l'espèce devient impossible. Plusieurs régions du littoral méditerranéen oriental sont relativement peu développées et il est probable que quelques spécimens de phoque moine y soient encore présents, mais leur nombre ne cesse de s'amenuiser. “Selon nos sources d'information, dans la zone de distribution actuelle du phoque – entre Saïdia et Jebha – en plus de celui de Châmlala, on a observé la présence sporadique de deux ou trois individus qui pourraient aussi disparaître très bientôt”, affirme El Andaloussi. Un rapport émis par les responsables du projet MedWetCoast – visant la conservation des zones humides en Méditerranée – soutient que trois individus vivaient en 2002 dans la région du Cap des Trois Fourches. La pêche à la dynamite, le développement du tourisme et l'accentuation de la pollution des eaux sont les principaux facteurs cités par le rapport ayant causé leur disparition. Vient aujourd'hui s'ajouter à cette liste la construction d'une route dont la planification semble s'être effectuée sans grand souci pour l'environnement. L'étude fantôme À la division des projets pilotes et des études d'impact du ministère chargé de l'Aménagement du territoire, de l'eau et de l'environnement, aucune trace d'une étude d'impact. “Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce projet de route ne nous a pas été soumis, ni pour avis, ni dans le cadre d'une étude d'impact,” confie Jaâfar Boulejiouch, chef de la division. Il précise que le processus de réalisation d'études d'impact environnemental étant centralisé, le rapport aurait dû aboutir chez lui. “S'il y avait une étude d'impact déposée, ou réalisée”, explique-t-il, “en principe elle devrait atterrir sur ce bureau”. Les responsables du projet auront sans doute voulu profiter à leur avantage des rouages législatifs et ainsi éviter de se compliquer la tâche. En effet, selon la loi 12-03 relative aux études d'impact, la réalisation de tout projet d'envergure doit être précédée d'une analyse complète de ses effets environnementaux. Or, la loi ayant été adoptée en juin 2003, c'est-à-dire après l'acceptation de la construction de la rocade méditerranéenne, le projet ne doit pas s'y soumettre obligatoirement. “Ils ne sont pas dans l'illégalité”, affirme Boulejiouch. Toutefois, ajoute-t-il, même avant l'adoption de la loi 12-03, des études d'impact étaient entreprises pour bon nombre de projets. “Déjà depuis une dizaine d'années, on commence à instaurer des pratiques d'évaluation environnementale”, précise-t-il. Quelles que soient les raisons motivant l'absence d'une étude d'impact dans le cas présent, le gouvernement marocain assure que si un chantier comparable devait être entrepris aujourd'hui, les conditions seraient différentes puisque tout nouveau projet devrait être soumis aux lois environnementales en vigueur. La direction des routes et de la circulation routière du ministère marocain de l'Equipement et du transport qualifie le sujet de “sensible” et, au moment du bouclage, tardait toujours à nous faire parvenir ses explications officielles sur l'inexistence d'une étude d'impact. À la lumière de telles informations, on est en droit de se demander dans quelle mesure de tels chantiers sont entrepris, partout dans le pays, sans considération pour l'environnement. Le rôle de “surveillant” joué par de grandes ONG internationales en Occident doit être rempli, au Maroc, par de petites organisations locales aux moyens souvent restreints. Le gouvernement serait-il en train de mettre en péril le patrimoine naturel du Maroc au nom du développement économique?