Quartier de femmes à la prison d'Oukacha Leurs histoires ressemblent à s'y méprendre à celles des hommes à la différence près que la plupart d'entre elles sont ignorées par leur famille, une fois qu'elles se retrouvent en prison. 45 % d'entre elles ne reçoivent jamais de visite. Nous leur avons rendu visite. Reportage. Il est 9 heures du matin ce jeudi 9 septembre. Les nuages annoncent une pluie passagère d'été. Nous sommes en face du grand portail du centre pénitencier d'Oukacha. Notre arrivée coïncide avec l'horaire réservé aux visites du quartier des hommes. Quelques familles attendent impatiemment de pouvoir accéder à l'enceinte où un parent est incarcéré. L'accès au quartier des femmes s'effectue par une grande cour donnant sur un nouveau bâtiment aménagé pour devenir une administration indépendante du pavillon féminin. Du côté gauche se dresse le centre pénitencier des femmes faisant face à celui des hommes. Nous franchissons la première porte puis les barreaux. Notre visite commence… La bâttisse est aménagée en trois quartiers. Chaque quartier contient plus de 10 chambres. Chaque pièce abrite plus de 6 détenues. Un long couloir relie les trois quartiers. Sur les murs les pensionnaires se sont amusées à écrire leurs droits et quelques versets coraniques. En face du premier quartier on a aménagé une grande salle en trois pièces pour faire office d'une garderie de bébés. Les petites pièces étaient bien décorées et remplies de jouets. Nous avons trouvé quelques mamans, dont la plupart sont des jeunes, en train de jouer avec leurs bébés. Elles étaient contentes de pouvoir les garder. L'une des quatre mamans s'est installée dans un petit coin pour allaiter son bébé. Les autres préféraient rester ensemble pour discuter. Notre arrivée coïncide avec la naissance de deux autres bébés. Car plus de 19 pensionnaires du centre Oukacha sont enceintes. La plupart des cas ces enfants sont nés de pères inconnus… Juste à côté de la pièce où jouaient les bébés, une petite salle a été aménagée pour servir de salle à manger aux enfants. Une table bleue, entourée de plusieurs petites chaises, a été installée au milieu de la salle à côté de laquelle un petit frigo rempli de quelques bouteilles de lait et des yaourts nécessaires pour l'alimentation des bébés. Quant à l'autre petite pièce où deux bébés s'amusaient, elle était remplie de jouets. La garderie donnait sur un grand jardin bien entretenu où on a mis en place plusieurs manèges. L'autre moitié du jardin faisait office d'un terrain de football. Les femmes organisaient des matches, en général tous les après-midi. “Nous passons nos meilleurs moments à organiser des tournois de football, surtout que notre équipe possède une gardienne de but très douée, sachant qu'elle est la moins âgée à la prison”. Bouffe… Dans les quartiers, le grand ménage a déjà commencé. Les femmes s'activent à nettoyer les chambres. On répartit les tâches à l'avance. Certaines vont s'occuper de la cuisine, d'autres de la vaisselle et le reste du grand ménage. En effet, la plupart des prisonnières préparent leurs plats malgré le menu prévu pour les prisonnières et qui, généralement, est composée de légumes et de soupe. Les pensionnaires ont droit par contre à 150 grammes de viande et la même portion de poulet une fois par semaine. Par conséquent, ces dernières préfèrent préparer leurs plats à base de légumes et de viande reçus de leurs familles lors de la visite de la veille. En effet, les familles ont droit à une seule visite par semaine. Cette dernière se fait généralement le mercredi. Quant aux lundi et vendredi les parents peuvent ramener des provisions et les laisser à l'administration qui s'occupe de les remettre à leurs destinataires. Ainsi, en attendant l'heure du déjeuner, les femmes s'entassent dans leurs cellules pour regarder le feuilleton mexicain qui a déjà commencé. A l'intérieur de chaque cellule, on trouve une télévision, deux lits superposés et alignés à côté du mur. Une petite table est posée également au coin de la chambre sur laquelle on avait posé toute la vaisselle dont on se servait. A côté, un petit panier contenant toutes les provisions de la petite famille des prisonnières était déposé par terre. Les pensionnaires qui devaient cuisiner aujourd'hui ont préféré rester dans les petites pièces aménagées dans chaque quartier pour faire office de cuisine. A côté de la cuisine, on avait placé un appareil téléphonique, les femmes faisaient la queue depuis 9 heures du matin pour pouvoir appeler. “Ça se passe toujours de la même manière. Chaque jour vous trouverez une queue aussi longue que celle-ci. De nombreuses femmes ne reçoivent jamais de visite. Certaines familles refusent de voir leurs filles. Des fois, elles leur rapportent des provisions mais refusent tout contact avec elles. C'est pour cette raison qu'elles appellent sans arrêt avec l'espoir de les avoir au téléphone”, explique la directrice de la prison. Au deuxième étage, quelques prisonnières ont eu la chance de bénéficier des activités du centre de réinsertion, destinées à former les prisonnières pour acquérir un métier qui pourra les aider à s'intégrer dans la société. La capacité d'accueil du centre peut aller à 80 femmes, pourtant une vingtaine seulement ont eu la chance de bénéficier de la formation. Celles qui ont eu droit de bénéficier d'une formation ont le choix entre une formation en tapisserie, broderie, couture traditionnelle et moderne, coiffure, esthétique et initiation à l'informatique. “Le service informatique n'est pas accessible à tout le monde car seules les femmes qui savent lire et écrire peuvent s'initier au “Word” ou à “l'Excel”. Autrement les femmes doivent d'abord assister au cours d'alphabétisation avant de toucher au clavier”, explique la responsable du service informatique. Les hôtes de marque Au service informatique, nous rencontrons une femme vêtue d'un jean et d'un t-shirt noir parlant un français impeccable au point que nous croyons qu'elle était l'une des responsables. Mais elle nous expliqua plus tard qu'elle était parmi les pensionnaires qui se sont trouvées à Oukacha par erreur. En fait, notre femme est journaliste. Enfin, elle l'était jusqu'à quelques mois avant d'être inculpée dans un problème d'escroquerie où elle se dit victime. En tout cas notre journaliste n'est pas la seule hôte de marque de la prison des femmes. Car pendant notre tournée nous avons rencontré une pharmacienne inculpée dans une affaire de circulation de faux billets. En effet, la jeune femme affirme avoir reçu d'un client un billet de 200 dh suspect contre un médicament qu'elle lui a vendu. “Mais je n'ai jamais imaginé que le billet soit falsifié et pire encore que je me retrouve là en prison”. Une cadre bancaire titulaire d'un diplôme de DESS en comptabilité bancaire figure aussi parmi les invités raffinés de la prison d'Oukacha. Cette femme s'est retrouvée, quant à elle, en prison pour des crédits qu'elle avait accordés avec garantie. “Mais l'organe n'était pas satisfait de mon travail, et je me suis retrou-vée en prison”, explique-t-elle. Une enseignante d'arabe au lycée partageait la même cellule de notre cadre. Pour elle, la prison est une conséquence normale d'une dénonciation pour utilisation de chèques sans provisions. En effet, de nombreuses prisonnières sont condamnées à de lourdes peines pour des chèques sans provisions. Selon les dernières statistiques du centre pénitencier de Casablanca portant sur l'année 2004, 126 sur 327 femmes sont condamnées pour des peines pour escroquerie, détournement de fond ou vol, 76 femmes pour trafic ou consommation de drogue, 54 pour prostitution et viol et 7 pour constitution d'une bande, mendicité et vagabondage. “La plupart des femmes souffrent de dépression quand elles arrivent, nous essayons de les aider avec les moyens de bord”, explique la directrice. Pourtant un seul médecin s'occupe de tous les cas du quartier des femmes et ne vient qu'une seule fois par semaine. Contactée, elle affirme que plusieurs cas souffrent, pourtant, de syphilis et de plusieurs maladies sexuellement transmissibles sans parler des autres cas qui souffrent de diabète. “La prison a connu même le passage de deux femmes porteuses du virus VIH, on a essayé de faire un test de dépistage pour détecter les cas contaminés mais on ne pouvait pas obliger les prisonnières à le faire. Seules les femmes qui se sont portées volontaires en ont bénéficié”. Ce qui laisse supposer, que de nombreuses femmes sont porteuses du virus. Résultat normal de la promiscuité… Il était une fois un enfant… Elle a treize ans et se trouve déjà en prison pour homicide. Kabira a tué. Elle a tué le bébé de son employée pour venger son enfance perdue au milieu des travaux forcés… Elle s'appelle Kabira, mais on l'appelle Kerbi au centre pénitencier d'Oukacha. Elle a treize ans, pourtant elle se trouve là où elle ne doit pas être pour avoir commis un homicide. Son histoire en dit long sur la souffrance des jeunes filles qui travaillent depuis leur plus jeune âge. Car notre jeune fille a quitté sa maison à l'âge de 10 ans pour travailler dans les foyers. Originaire de Ould Mouman de la région de “Larbaâ del Aouniate”, et issue d'une famille très pauvre, l'enfant quitta le domicile familial pour aider sa famille. Quand on lui demande son âge lorsqu'elle quitta la maison, elle répond tout simplement “je ne me rappelle pas” puis elle enchaîne “je me rappelle juste que mon père m'avait placée au début dans une famille sans enfant. D'ailleurs, elle était gentille avec moi mais je ne suis restée chez eux que six mois. Je devais rentrer chez moi pour voir ma famille pendant la fête du mouton mais lorsque je voulais revenir chez la même famille, une femme enceinte est venue chez nous avec plein de cadeaux, elle a promis à mon père de prendre soin de moi et d'augmenter mon salaire. Pourtant, j'ai refusé, je préférais revenir à la première famille parce que je me sentais bien chez elle. Mais mon père m'a envoyé avec la femme enceinte parce qu'elle allait mieux me payer”, explique Kabira. En effet, la fille a suivi la femme enceinte qui était censée l'engager pour travailler chez elle. Mais une fois arrivée en ville, la femme la remet à un couple qui venait d'avoir les jumeaux. “La femme était avocate, elle me maltraitait et me frappait tout le temps. Pourtant je faisais tout pour la satisfaire, je prenais soin de ses enfants, je faisais le grand ménage, je lavais la vaisselle, je faisais les courses et en fin de compte elle m'a mise en prison sans que je ne lui fasse rien du tout” expliquait-elle. Pourtant, la jeune fille avait avoué devant la police avoir mis des insecticides dans le biberon du bébé et le lui avoir donné sans savoir ce que c'était. Après une année du décès du bébé, la jeune fille récidive et met l'insecticide dans la soupe. Son employée le découvre et la dénonce à la police. La fille avoue l'avoir fait en ignorant le contenu de la bouteille de l'insecticide. “C'est vrai que j'ai versé un peu du contenu de la bouteille dans la soupe mais je n'ai jamais eu l'idée de tuer qui que ce soit”, poursuit-elle. En attendant l'ordre du juge de faire une autopsie, Kabira continue de mener une nouvelle vie. La vie qui s'impose à elle dans la prison de Casablanca...