Le débat sur l'Afrique passionne tous les observateurs. Les responsables africains souhaitent voir le continent améliorer le niveau de vie de ses populations, asseoir une économie fiable et l'essor cullturel de leurs pays. Cheikh Tidiane Gadio revient sur le renouveau africain tant espéré. Je peux affirmer avec certitude que nous ne sommes pas des “Afro-pessimistes”, mais au contraire des “Afro-inconditionnels” comme moi, comme vous tous, car le vrai amour est inconditionnel. “Or donc”, comme dirait le défunt poète-Président Léopold S. Senghor, nous aimons l'Afrique, et ceci de façon inconditionnelle. Nous l'aimons dans sa stature majestueuse du temps de l'Egypte pharaonique où d'authentiques Africains du continent ont bâti des pyramides à la gloire de l'éternité. Nous l'aimons du temps de la splendeur de ses grands empires, comme celui du Mali dont l'empereur, en traversant l'Egypte pour se rendre à la Mecque, avait fait chuter le cours de l'or au Caire tant sa caravane était bardée de lingots d'or et de faste. Nous aimons l'Afrique qui a souffert de l'agression européenne et qui, après avoir connu l'apogée au Moyen-Age alors que l'Europe vivait encore certaines formes de barbarie historiquement attestées, était devenue vulnérable de par son déclin. Nous aimons l'Afrique qui a survécu à l'esclavage, un vrai crime contre l'humanité dont les livres de comptabilité attendent d'être complétés. Nous admirons l'Afrique qui a survécu au colonialisme et à ses méfaits. Méfaits qui, au demeurant, multiplient plusieurs fois ses rares effets positifs comme la scolarisation et quelques embryons d'infrastructures. Nous admirons l'Afrique post-coloniale, malgré les errements dans la recherche effrénée de l'Unité fédérale et de la Renaissance multiforme. Bien sûr nous ressentons de la tristesse et parfois de la révolte devant tous ces “espoirs perdus”, ou plutôt devant tous ces “rendez-vous manqués” qui auraient pu nous épargner les 186 coups d'Etat qui ont émaillé les cinquante années de l'Afrique des indépendances. Ces “rendez-vous manqués” qui auraient pu nous éviter des sergents-chefs comme Samuel Doe, qui en changeant le cours de l'histoire au Libéria il y a 24 ans par un brutal et meurtrier coup d'Etat, ne savait peut-être pas qu'il venait de plonger l'Afrique de l'Ouest dans un tourbillon qui nous mènera aux guerres civiles de Sierra Léone, Libéria et Côte d'Ivoire. Le tout avec un triste record qui fait de cette région la championne du monde en mercenaires, enfants soldats et circulation d'armes légères, ces armes qui sont, comme dirait l'autre, nos “vraies armes de destruction mas-sive”. Dieu sait que la Sierra Leone, le Libéria et la Côte d'Ivoire sont des merveilles de la nature, d'une beauté inouïe, d'un potentiel de développement social et économique sans pareil en Afrique de l'Ouest. Ceux qui ont assassiné Lumumba au Congo savaient-ils qu'ils faisaient le lit à une des guerres civiles les plus meurtrières de l'histoire de l'humanité : on parle aujourd'hui de trois millions de morts au Congo. Rappelons que certains pays d'Afrique n'ont pas une population de trois millions d'habitants. Et au musée des horreurs : cannibalisme, anthropophagie, charniers, viols, pillages systématiques (y compris par des Etats voisins), on fera rarement mieux ou pire que ce qui a été fait et que l'on continue de faire en RDC. Et pourtant Dieu sait que nous parlons d'un pays que Dieu doit aimer profondément et qu'il a même voulu riche, et très riche en tout, mais que les hommes ont décidé d'humilier, de paralyser et si possible de détruire. Ceux qui ont renversé le grand Africain Kwamé Nkrumah, se doutaient-ils qu'ils venaient de jeter notre continent dans les chemins insondables des rendez-vous manqués, des exils de l'âme africaine, de la personnalité africaine. Pourtant Dieu sait que dès 1900, début du siècle dernier, le rêve panafricain de l'Unité des Africains, ceux du continent comme ceux de la diaspora, était en marche. Comme le rappelle Mwayila Tshiyembe, directeur de l'Institut Panafricain de Géopolitique de Nancy, dont les extraits suivants résument bien notre problématique : le rêve panafricain, né aux Etats-Unis et dans les Caraïbes, “se donnait pour mission de réhabiliter les civilisations africaines, de restaurer la dignité de l'homme noir et de prôner le retour à la mère patrie” - celle des racines de la diaspora. Sylvester William, natif de Trinidad a organisé, en 1900, à Londres, la première conférence panafricaine : sa principale résolution portait sur la confiscation de terres en Afrique du Sud par les Anglais et les Afrikaners, et sur le sort de la Gold Coast (Ghana). De W. Burghart Du Bois, fondateur de l'Association américaine pour le progrès des gens de couleur (Naacp), qui a organisé le premier congrès panafricain à Paris, en 1919, à Marcus Garvey, chantre d'un “retour en Afrique” et adepte d'un “sionisme noir”, qui avait créé une compagnie maritime, la Black Star Line, et mobilisé plus de trois millions d'Afro-Américains, à George Padmore, un Trinidadien, qui fit adopter, en 1945, lors d'un 5ème congrès à Manchester un manifeste proclamant fièrement : “Nous sommes résolus à être libres... Peuples colonisés et assujettis du monde, unissez-vous”, le flambeau de la Renaissance africaine (concept utilisé pour la première fois en 1947 par l'éminent intellectuel Cheikh Anta Diop) n'a jamais cessé d'être brandi toujours plus haut... Mwayila Tshiyembe rappelle du reste que “c'est sous la protection de Padmore que le flambeau du panafricanisme militant a été passé à la génération des futurs leaders de l'Afrique indépendante : Jomo Kenyatta (Kenya), Peter Abrahams (Afrique du Sud), Hailé Selassié (Ethiopie), Namdi Azikiwe (Nigeria), Julius Nyerere (Tanzanie), Kenneth Kaunda (Zambie) et Kwame Nkrumah (Ghana)”. Cependant, observe Mwayila Tshiyembe, dès les 6ème et 7ème congrès panafricains, à Kumasi (1953) et à Accra (1958), les enjeux liés à “la décolonisation et la confrontation Est-Ouest bouleversent la donne politique et diplomatique, donnant naissance à deux formes de panafricanisme”. De façon schématique, on peut dire que l'une des formes avait pour but ultime la fondation des Etats-Unis d'Afrique, susceptibles de faire du continent noir un acteur sur la scène mondiale. Mwayila Tshiyembe rappelle que pour le leader ghanéen Kwame Nkrumah “l'unité économique, politique et militaire est la condition majeure pour relever ce défi”, et Krumah avec son fameux cri du cœur “l'Afrique doit s'unir”, d'obtenir le ralliement en janvier 1961 du “groupe de Casablanca” (Ghana, Egypte, Maroc, Tunisie, Ethiopie, Libye, Soudan, Guinée-Conakry, Mali et gouvernement provisoire de la République algérienne, GPRA). Ici, j'ouvre une parenthèse pour rappeler que le Maroc est une entité incontournable de l'Afrique et de son histoire. Que ceux qui ont commis la catastrophe, le mot n'est pas assez fort, d'admettre au sein des instances africaines un “mouvement dit de la libération”, et une pseudo-république non reconnue par la communauté internationale, sachent qu'ils ont piétiné un pan entier de l'histoire de l'Afrique et oublié sûrement l'immense contribution de Sa Majesté Mohammed V à travers le Groupe de Casablanca, au combat pour l'unité et la dignité de tous les Africains. Que sa mémoire en soit bénie et que Dieu lui réserve une place spéciale dans son paradis céleste. Au fond, le Roi Mohammed V et les Présidents Kwame Nkrumah (Ghana) et Gamal Abdel Nasser (Egypte), comme le démontre encore Mwayila Tshiyembe, n'avaient pas pleinement pris la mesure du poids des anciennes puissances coloniales dont “tout projet d'unification du continent africain heurtait frontalement leurs intérêts vitaux (ressources minières et énergétiques, clientélisme et réseaux commerciaux)”, d'une part. D'autre part, ces grands leaders africains, qui ont géré ce que l'on peut appeler le premier grand “espoir perdu” ou “rendez-vous manqué”, avaient un peu trop cru, selon Mwayila Tshiyembe, au “ soutien attendu du camp” progressiste “ (Union soviétique et Chine populaire en tête), celui des Etats-Unis, chantres de la liberté individuelle et du droit à l'autodétermination. Or, l'appui du camp progressiste est resté surtout verbal, et celui de Washington est allé aux puissances coloniales alliées, au nom d'un principe de “ containement” destiné avant tout à stopper l'expansion communiste dans le monde. Le deuxième courant du panafricanisme, dit modéré et gradualiste (théoricien de l'étapisme et des cercles concentriques), conclut Mwayila Tshiyembe, a généré l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Cette stratégie est fondée sur le droit inaliénable de chaque Etat à une existence indépendante. Son mot d'ordre est “l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation”, son principe est le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Cette stratégie a été incarnée par le “ groupe de Monrovia”, fondé dès mai 1961 et dominé par les figures paternelles des Présidents ivoirien Fèlix Houphouët Boigny et sénégalais Léopold Senghor. Près de 40 ans d'OUA au plan politique et de programmes du FMI et de la Banque mondiale au plan économique dans les années 80 et 90, ont abouti à plusieurs “espoirs perdus” ou rendez-vous manqués avec la stabilité, la paix, la croissance, le développement, la lutte contre la corruption et l'endettement, et d'autres aspects de la Bonne Gouvernance en général. On trouvera un excellent résumé des renseignements de grande portée sur l'ensemble de ces questions dans le document “Vision et Mission de l'Union africaine”, proposé à l'Afrique par le Président Konaré, dont le mandat est placé dans une logique de ruptures salvatrices. Les grands maux de l'Afrique • La pauvreté en Afrique La faible croissance de l'Afrique au sud du Sahara a entraîné une forte augmentation du nombre de pauvres. Plus de 40% des 600 millions d'habitants de l'Afrique au sud du Sahara vivent au-dessous du seuil de pauvreté international de 1$ par jour et par personne et le revenu moyen est de 0,65$ par jour selon la méthode de la Parité des Pouvoirs d'Achat... Le taux moyen brut de scolarisation primaire, qui a baissé dans beaucoup de pays du Sahel au cours des années 80, n'atteint actuellement que 67%, contre 94% en Asie du Sud. On notera également l'état de la famine et de la malnutrition. La FAO estime que 800 millions d'êtres humains ne mangent pas à leur faim. Ce total comprend 200 millions d'Africains, soit un peu moins du tiers de la population du continent. Ceux-ci vivent dans l'insécurité alimentaire chronique. 31 millions d'enfants entre 0 et 5 ans, selon le Partenariat pour la réduction de la faim en Afrique, sont mal nourris. A ce tableau régulier, s'ajoute l'insécurité alimentaire causée par les calamités naturelles (sécheresse, inondations, dégâts des prédateurs, etc). • Les PMA en Afrique Ici un seul chiffre : sur les 48 pays les moins avancés du monde, 33 sont en Afrique. • Croissance démographique Si la population mondiale augmente à raison de 1,5% par an, aujourd'hui elle s'accroît en Afrique subsaharienne de 2% à 3,5% par an, ce qui signifie que la population doublera en 20 à 35 ans. • Le Sida en Afrique Plus de 95 % des 36 millions de personnes atteintes du VIH/développement, soit 25,3 millions vivent en Afrique subsaharienne (ONUSIDA 2001, ONUSIDA/OMS, 2000). Dans huit pays africains, 15% au moins des adultes sont infectés. Dans ces pays, le Sida provoquera le décès d'un tiers environ des jeunes Africains aujourd'hui âgés de 15 ans. L'Afrique abrite près de 70% des adultes et 80% des enfants vivant avec le VIH dans le monde et les trois quarts des 20 millions de personnes mortes du Sida dans le monde depuis le début de l'épidémie sont des Africains. • Les conflits inter ou intra-étatiques Le continent est déchiré depuis 40 ans par des conflits inter Etats, intra Etats, éthiques, religieux, économiques. Alors que le Sida tuait deux millions de personnes en 1998, les conflits auraient fait 200.000 victimes. En effet, pas moins de 26 conflits armés ont éclaté en Afrique entre 1963 et 1998, affectant 474 millions de personnes soient 61 % de la population du continent. Le document de l'Union africaine arrive enfin aux constats suivants : Un montant de près de 3.050 milliards de dollars US serait nécessaire pour réaliser les objectifs du développement du Millénaire. Selon les estimations de la CEA, en moyenne, il faudrait que l'Afrique réduise la pauvreté de 4%, chaque année, afin d'atteindre le but du développement international de la réduction de la pauvreté de 50% d'ici 2015. La croissance nécessaire pour atteindre cet objectif se situe entre un taux annuel de 5,6% pour les pays d'Afrique du Nord et de 8% pour les pays d'Afrique centrale et d'Afrique orientale. Pour l'ensemble du continent, le taux de croissance moyenne nécessaire serait de 7% par an. Cependant, les analystes s'accordent à penser que le développement est freiné par des obstacles d'ordre politique, parmi lesquels on peut citer : - l'instabilité institutionnelle symbolisée notamment par les coups d'Etat : l'Afrique a enregistré 186 coups d'Etat entre 1956 et 2001 dont la moitié dans les décennies 80 et 90. On peut se demander à cet égard si les politiques de désétatisation des années 80 combinées aux changements dans les priorités de l'aide internationale n'ont pas contribué à nourrir des dynamiques de déligitimation et de désagrégation des régimes institués - la persistance des conflits inter ou intra-étatiques, - l'apparition de nouvelles formes d'atrocités dans les zones de conflits qui devront être considérées comme des crimes imprescriptibles (en référence aux bras et mains coupés et aux pratiques anthropophages) et qui visent particulièrement les femmes et les enfants. On peut facilement se complaire dans l'énumération presque macabre de tous ces voyants qui ont tourné au rouge depuis longtemps sur le continent, surtout si on conclut ce tour d'horizon par la catastrophe que constitue l'endettement de l'Afrique. Cependant, on peut tirer un grand réconfort du fait que de nouveaux leaders ont émergé en Afrique pour venir refuser la fatalité, et se dresser comme un seul homme (ou une seule femme) pour la reconquête de la dignité africaine à travers la Renaissance économique (via le NEPAD) et politique, sociale et culturelle (via l'Union africaine). Le NEPAD en tant que programme économique pour le développement global et l'Union africaine en tant que nouveau projet politique de l'Afrique peuvent être perçus comme les deux points d'appui du projet de la Renaissance africaine si chère à Wade et à Mbeki. Du reste, l'Union africaine ne s'y est pas trompée en demandant l'intégration du NEPAD dans l'architecture globale de l'Union africaine. Le NEPAD nous fait croire plus que jamais, il nous faut nous marier avec l'espérance et faire confiance en l'histoire. Quand des raisons d'espérer se raréfient, c'est là que l'acte d'espérer devient un acte de courage politique, intellectuel et moral. Nous, au Sénégal, c'est cela que nous faisons sous l'impulsion d'un leader charismatique qui a fait renouer le pays avec la tradition senghorienne d'un pays de vision et d'idéaux panafricains grandioses. Abdoulaye Wade a proposé en trois ans de pouvoir, après avoir donné à l'Afrique et au monde l'exemple d'une “alternance zéro mort”, pas moins de vingt projets, idées et activités pour la Renaissance africaine. Ce leader croit au mariage obstiné avec l'espérance. Avec l'émergence d'un nouveau leadership africain, sous la houlette d'Abdoulaye Wade, Mbeki et une génération de chefs d'Etat comme ATT du Mali, Compaoré du Burkina, Sa Majesté Mohammed VI du Maroc et avec les contributions significatives du leader libyen le Colonel Kadhafi, du Président Obasanjo du Nigéria et du Président Alpha Oumar Konaré, nous demeurons convaincu que l'Afrique peut ne pas manquer son rendez-vous avec le 21ème siècle, que beaucoup, mariés à l'espérance, ont déjà baptisé le “Siècle de la Renaissance africaine”.