Les organisations musulmanes sont montées au créneau après la déclaration tant attendue du Président Jacques Chirac mercredi dernier 17 décembre. Ce discours relatif à la loi sur la laïcité interdit le port du voile dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Il fallait s'y attendre. Les représentants des Musulmans de France devaient réagir après le dépôt du rapport de la commission Stasi devant le président Jacques Chirac en vue de promulguer une loi sur la laïcité dans les établissements scolaires en France. Après le bureau du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui s'était prononcé le lundi 15 décembre, l'association Jeunes musulmans de France (JMF) s'est adressée mardi 16 décembre courant au chef de l'Etat français pour lui demander de "ne pas hâter une décision aux conséquences durables et qui pourrait se révéler comme désastreuse pour l'avenir de notre pays". On le comprend, ce sont, au-delà des autres communautés juive et chrétienne, les représentants de l'Islam en France qui sont d'abord visés par cette loi émanant principalement de problèmes dans les écoles liées au port du voile. JMF, émanation de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF, proche des Frères musulmans) appelle en outre "tous les citoyens soucieux d'un véritable “vivre ensemble» à faire entendre leur voix contre une loi qui favoriserait, selon elle, "l'intrusion" de l'Etat "dans la vie spirituelle des Français". Crainte somme toute légitime, mais qui semble oublier que la liberté individuelle est elle aussi soumise aux lois régissant les codes sociaux de la République. De son côté, le Conseil des imams de France (CIF), qui regroupe plusieurs dizaines d'imams sous la présidence de Dhaou Meskine, a, lui aussi, adressé une lettre au président de la République pour affirmer que le voile est "une obligation divine conforme à la nature humaine", à laquelle "la femme doit avoir toute sa liberté et sa responsabilité de s'y conformer ou non". "Si une loi est adoptée pour l'école, nous avons toutes les raisons de craindre qu'elle soit généralisée à toute la sphère publique", a déclaré Dhaou Meskine dont les propos auront pour écho ceux du collectif des Musulmans de France (CMF), composée des sympathisants de l'intellectuel Tariq Ramadan, et qui juge dans un communiqué qu'une loi "ne serait qu'une loi d'exception, de diversion et de régression". Mais ce qui était le plus attendu restait la position du président du CFCM, Dalil Boubakeur, qui faisait partie des personnalités invitées à l'Elysée pour la déclaration du président de la République. Lundi dernier 15 décembre, Dalil Boubakeur, représentant d'un Islam modéré, a fait état de la "vive inquiétude" suscitée au sein de la communauté musulmane par les conclusions du rapport Stasi. Le président du CFCM a signé la lettre à Jacques Chirac du bureau du CFCM, qui accuse le rapport Stasi de stigmatiser les Musulmans et de préconiser des "dispositions discriminatoires" à leur encontre. Un texte qui a été adopté à l'unanimité par le bureau du CFCM convoqué en réunion extraordinaire à la demande de l'UOIF. La lettre manifeste aussi la mauvaise humeur de la jeune instance représentative de l'Islam de ne pas avoir été consultée es-qualité par la commission Stasi. Une négligence qui ferait dire à certains que la commission a fait exprès d'écarter la jeunesse qu'elle connaît très à cheval sur certaines questions d'ordre religieux relatives à la vie des Musulmans en France. Certains iront jusqu'à dire que cet “oubli” voulu était une façon mal déguisée de gérer en secret un dossier épineux que la commission savait très difficile à négocier avec la jeunesse musulmane prête, elle, à mettre sur le tapis d'autres conflits jugés plus importants que le simple port du voile, qui “n'est qu'une facette d'un large dossier “que la République ne veut pas aborder pour le moment”. Islamophobie Toujours avant le mercredi 17 décembre, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Dalil Boubakeur a souhaité que le président Jacques Chirac évoque lors de son discours très attendu"l'islamophobie ambiante" en France. Une déclaration que plusieurs associations musulmanes voulaient faire surtout dans cette vague de sorties médiatiques sur l'antisémitisme dans l'Hexagone qui ont éclipsé les véritables problèmes vécus par les Musulmans sur le sol de la République. C'est sur Europe 1 que Dalil Boubakeur a pris la parole pour soulager une communauté qui espérait beaucoup de cette déclaration de leur représentant. Il a estimé que la proposition de la commission Stasi de rendre l'Aïd el Kébir férié dans les écoles "est extrêmement importante et tout à fait bénéfique… Mais peut-être que nous attendons autre chose, et nos jeunes aussi, qui est dans le sens de l'intégration de nos jeunes". Se faisant le porte-parole des Musulmans de France, le recteur de la Grande mosquée de Paris a précisé "en effet, l'esprit et le ton général de ce rapport stigmatisent cette composante nationale et ne prennent pas en compte les réalités de l'Islam de France" avant d'ajouter que les Musulmans voudraient que Jacques Chirac "ait un mot pour la communauté musulmane qui souffre notamment de la situation sociale, de la fracture sociale qui touche de plein fouet notre communauté" dont l'islamophobie qui menace depuis 2001 les Musulmans souvent amalgamés avec le terrorisme. "Nous attendons quelques mots sur l'islamophobie ambiante, ajoute Dalil Boubakeur, et que le président ait des mots également pour apporter un certain soulagement à notre communauté qui se sent un peu stigmatisée par ce rapport" qui n'oublie pas d'attirer l'attention sur l'un des points les plus cruciaux de cette loi et de ce rapport concoctés depuis des mois. Il s'agit de la faible représentativité des Musulmans au sein de cette commission sur une question pourtant cent pour cent musulmane où les porte-parole, les chercheurs et les théologiens du culte n'ont pas été légion à donner leur avis au sein de la commission : "La participation musulmane a été insuffisamment représentée, insuffisamment entendue et insuffisamment écoutée", a déploré le président du CFCM. Sur ce même volet, Mohamed Bechari, président de la Fédération nationale des Musulmans de France (FNMF, proche du Maroc) et vice-président de CFCM surenchérit en rappelant que "les Musulmans de France paient encore la facture du 11 septembre 2001". Quant à Fatiha Ajbli, membre du bureau exécutif du CFCM, elle regrette que la question du foulard, qui relève selon elle d'une liberté privée, soit "reléguée à la sphère de l'ordre public". Mais quoi qu'il en soit, "ce rapport a été jugé comme faisant la part trop belle à toutes les critiques sur l'Islam et les Musulmans" par toutes les instances musulmanes de France. Ce qui a poussé Dalil Boubakeur a dénoncer mercredi 17 décembre les "pannes de l'intégration", occultées selon lui par le "problème politique" du port du foulard : "Le problème, à notre avis, n'est pas uniquement ce signe, mais les raisons qui amènent à ce signe" précise le recteur de la mosquée de Paris qui ne cache pas que les propositions de la commission Stasi ne sont pas en mesure de répondre aux "pannes de l'intégration". "Là, nous avons une fracture sociale, nous avons des retards d'intégration et surtout nous avons des problèmes socio-économiques qui touchent nos jeunes à 20 ou 25 ans." Le représentant de l'Islam en France résume alors toute la situation en disant que "le CFCM regrette que la commission Stasi présente une vision nouvelle de la laïcité, qui minimise la garantie des libertés religieuses -inscrite nommément dans la loi- au profit du simple respect de la diversité spirituelle". Ce qui vient faire écho à l'interrogation du CFCM dans sa lettre ouverte à Jacques Chirac : "faut-il s'engager dans cette orientation qui laisse percevoir le spectre d'une gestion sécuritaire de l'Islam?". La question reste ouverte en attendant de voir la loi votée et appliquée à partir de la rentrée 2004.