Malgré l'hostilité des organisations musulmanes et d'une majorité d'enseignants, le président Jacques Chirac a tranché lors d'un discours très attendu mercredi dernier 17 décembre à l'Elysée. Une loi sera adoptée pour interdire les signes religieux "ostensibles" dans les établissements scolaires. Retour sur un discours qui fera date. C'était un réel discours d'Etat qui tenait à revenir sur plusieurs étapes de l'histoire de France. Pendant plus de 15 minutes, Jacques Chirac a tenu à énumérer tous les acquis de la République française avant d'en arriver au menu du jour- loi ou non sur le port du voile et tous les signes ostensibles dans les établissements publics de France. On aura fait un tour d'horizon presque exhaustif sur les luttes de la démocratie, la force de l'Etat français, les combats pour les libertés et enfin le droit universel pour chacun d'être respecté quels que soient son appartenance ethnique et son identité religieuse. Un long préambule pour déboucher sur un NON ferme et sans appel face à toutes les dérives communautaristes, les dérapages d'ordre religieux ou raciste. C'est donc un OUI massif pour une loi interdisant le port du voile, la kippa juive et tous autres signes religieux ostensibles dans les établissements de l'Etat. "L'école publique restera laïque" et "pour cela une loi est nécessaire", a affirmé Jacques Chirac dans un discours qui se voulait solennel et historique à l'Elysée devant quelque 400 personnes représentant le gouvernement, les partis, syndicats, associations et autorités religieuses. "En conscience, j'estime que le port de tenues ou de signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse doit être proscrit dans les écoles, les collèges et les lycées publics". Le fin mot de toute cette histoire sur le voile et autres distinctions religieuses est dit. Et de préciser de quelles tenues il s'agissait : “Le voile islamique, la Kippa ou une croix de dimension manifestement excessive n'ont pas leur place dans les enceintes des écoles publiques". Par ailleurs, Jacques Chirac a affirmé que "les signes discrets, par exemple une croix, une étoile de David, ou une main de Fatima, resteront naturellement possibles". Plus d'ambiguïté sur la question surtout que tout le discours a été drapé dans un long cours magistral sur la laïcité et la force de la République qui s'en imprègne et se doit donc de la protéger puisqu'elle est la pierre angulaire de la vie en harmonie au sein de la société française. Chirac qui jongle d'une parabole à une autre dans un discours pour le moins très imagé, revient sur les menaces qui peuvent ronger le corps de la nation : “le danger, c'est la libération de forces centrifuges, l'exaltation des particularismes qui séparent. Le danger, c'est de vouloir faire primer les règles particulières sur la loi commune. Le danger, c'est la division, c'est la discrimination, c'est la confrontation”. Il est ici question de l'antisémitisme ambiant, de l'islamophobie qui n'a pas été traitée dans ce termes mais sur laquelle le chef de l'Etat français s'est arrêté soulignant tous les problèmes liés au faciès, à la religion, à la race. En parlant des jeunes Maghrébins issus de l'immigration et de leur sort au sein des institutions de la République, Chirac précise que : “ces réussites, il faut aussi les rendre possibles en brisant le mur du silence et de l'indifférence qui entoure la réalité aujourd'hui des discriminations. Je sais le sentiment d'incompréhension, de désarroi, parfois même de révolte de ces jeunes Français issus de l'immigration dont les demandes d'emploi passent à la corbeille en raison de la consonance de leur nom et qui sont, trop souvent, confrontés aux discriminations pour l'accès au logement ou même simplement pour l'entrée dans un lieu de loisir.”. Attentes musulmanes Cette déclaration répond parfaitement aux attentes du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui avait demandé dans une lettre ouverte au président Chirac une prise de position sur l'islamophobie ambiante en France. “Il faut une prise de conscience et une réaction énergique, répond le président de la République. Ce sera la mission de l'autorité indépendante chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination qui sera installée dès le début de l'année prochaine”. Ce qui devrait calmer les ardeurs de plusieurs organisations de jeunes musulmans, juifs ou chrétiens qui demandaient aux autorités de l'Etat plus de vigueur dans l'application des principes de l'égalité et de la fraternité. Répondant à ceux qui craignent que cette loi ne soit une "stigmatisation" de l'Islam, Jacques Chirac a affirmé que cette religion avait "toute sa place" en France et a appelé à "développer l'enseignement du fait religieux à l'école". Le discours sur la laïcité met ainsi le doigt sur l'essentiel et rassure l'ensemble des Français : “tous les enfants de France, quelle que soit leur histoire, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur croyance, sont les filles et les fils de la République. Ils doivent être reconnus comme tels, dans le droit mais surtout dans les faits. C'est en veillant au respect de cette exigence, c'est par la refondation de notre politique d'intégration, c'est par notre capacité à faire vivre l'égalité des chances que nous redonnerons toute sa vitalité à notre cohésion nationale.” A ce discours qui avait son lot de surprises et de consensus autour de sujets épineux du moment dans une France secouée par les conflits identitaires et religieux, il y a la réaction du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy qui s'est jusque-là montré très réticent à une loi sur le voile. Il a salué la "volonté de rassemblement, la hauteur de vue et une préoccupation d'équilibre à l'endroit des grandes religions". Finalement, malgré les craintes de la communauté musulmane et les mises en garde notées par Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), le recteur de la mosquée de Paris, a appelé après le discours de Jacques Chirac, les cinq millions de Musulmans vivant en France "à la sagesse, à la réflexion dans le calme et la sérénité". Pas de jours fériés Concernant la proposition énoncée jeudi dernier 11 décembre par la commission Stasi sur la laïcité à propos de l'ajout au calendrier français de deux autres fêtes, le président français a été très clair : "je ne crois pas qu'il faille ajouter de nouveaux jours fériés au calendrier scolaire, qui en compte déjà beaucoup". "De plus, cela créerait de lourdes difficultés pour les parents qui travaillent ces jours-là". Ceci dit, le chef de l'Etat a spécifié que, "comme c'est déjà largement l'usage, (...) qu'aucun élève n'ait à s'excuser d'une absence justifiée par une grande fête religieuse comme celle de Kippour ou de l'Aïd El Kébir, à condition que l'établissement en ait été préalablement informé". De même, "des épreuves importantes ou des examens ne doivent pas être organisés ces jours-là" ajoutant que"des instructions en ce sens seront données aux recteurs par le ministre de l'Education nationale". Le discours de l'Elysée a été l'occasion d'annoncer la création d'un "Observatoire de la laïcité". Une autorité indépendante, qui sera chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination dont sont notamment victimes les jeunes issus de l'immigration, serait mise sur pied au début de 2004. Le projet de loi prévu pour février ? Selon Luc Ferry, le ministre de l'Education français, le projet de loi interdisant les signes religieux ostensibles à l'école devrait être présenté au parlement en février prochain. Satisfait et faisant montre de beaucoup d'enthousiasme, Luc Ferry s'est félicité du discours de Jacques Chirac en soulignant : "je me mets à travailler dès maintenant pour rédiger cette loi qui sera une loi très brève (...) Elle sera présentée vraisemblablement en février puisqu'il faut qu'elle soit applicable à la rentrée 2004". Lors de son intervention sur RTL, le ministre français de l'Eduaction a toutefois précisé que cette loi pourrait n'être qu'"un texte court, à la limite, ça peut être un article. Peut-être qu'il en faut deux, peut-être trois mais certainement pas plus". Apparemment, cette économie sur la taille de la loi à présenter relèverait plus d'un souci d'intégrer cette nouvelle décision dans un ensemble de réformes déjà prévues pour l'année 2004 : "il y aura une loi spécifique sur l'école parce que c'est quand même le problème central (...) Je pense que cette loi devra être reprise dans le cadre de la loi d'orientation (sur l'école) qui verra le jour à l'automne 2004 ou au tout début 2005", insiste Luc Ferry. Mais cette loi sera complétée par d'autres mesures concernant l'hôpital et les entreprises qui feront l'objets de “compléments” qui seront mis au point par les ministères de la Santé et des Affaires sociales. Sur un autre volet, ces déclarations de Ferry viennent rappeler ses prises de positions à la rentrée dernière quand il avait laissé entendre qu'une loi n'était pas nécessaire étant donné le faible nombre de contentieux liés au voile islamique : "je le dis franchement : j'ai toujours été hostile à une loi qui eût interdit tous les signes religieux. Mais dès lors qu'on posait le problème de la loi en des termes différents, en disant qu'on peut interdire les signes ostentatoires mais pas les signes discrets, la loi me convient parfaitement".