Sommet mondial sur la société de l'information Si personne ne conteste la fracture numérique entre pays riches et pays pauvres, les divergences apparaissent sur les moyens spécifiques pour réduire le fossé. Comme c'est souvent le cas dans ce genre de réunions, le Nord et le Sud se sont opposés sur le financement de l'accès des pays pauvres aux technologies de l'information et de la communication, ainsi que sur la gouvernance de l'Internet. Le premier Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI), qui s'est tenu du 10 au 12 décembre à Genève, s'est fixé comme principal objectif de réduire la “ fracture numérique ” entre pays riches et pays pauvres. Ce fossé digital, c'est-à-dire les écarts considérables en matière d'équipement et d'utilisation des technologies de l'information (ordinateurs personnels, postes de télévision, téléphones portables, connexion à Internet) n'a cessé de se creuser depuis l'explosion de l'Internet au milieu des années 1990. Ce sont particulièrement les pays les plus pauvres qui accumulent les retards, alors que certains pays en développement ont enregistré depuis trois ans certains progrès en matière de technologies de l'information. Néanmoins, le déséquilibre de la “société de l'information” demeure criant en faveur des pays développés. Ainsi, 91 % des utilisateurs d'Internet habitent dans les pays industrialisés alors qu'ils ne regroupent que 19 % de la population mondiale. L'Afrique, qui rassemble 13 % de la population de la planète, ne compte que 1 % d'internautes. Tous les autres chiffres relatifs à ces nouvelles technologies montrent le fossé abyssal qui sépare les pays riches des pays pauvres. “Combler le fossé numérique” Or, toute technologie nouvelle comporte des risques d'augmenter les écarts entre ceux qui disposent des moyens de la maîtriser et ceux qui ne parviennent pas, pour une raison ou une autre, à enclencher le processus indispensable à l'intégration et à l'assimilation de cette même technologie. C'est le cas des pays du Sud vis-à-vis des technologies de l'information et de la communication (TIC). Or, personne ne conteste que l'accès aux TIC constitue actuellement l'une des clés du développement durable. “L'objectif de ce Sommet est de trouver les moyens de combler le fossé numérique entre riches et pauvres ”, a déclaré le Président suisse Pascal Couchepin en ouvrant officiellement les travaux du SMSI. Il s'agit là d'un objectif ambitieux comme le souligne le premier paragraphe de la déclaration finale du Sommet : “édifier une société à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, la société de l'information, dans laquelle chacun a la possibilité de créer, d'obtenir, d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les peuples peuvent ainsi réaliser l'intégralité de leur potentiel dans la promotion de leur développement durable et l'amélioration de leur qualité de vie”. Bien qu'elle figure parmi les objectifs de la communauté internationale, la réduction de la fracture numérique entre pays riches et pays pauvres a peu de chances de se réaliser en 2015 comme prévu. La majorité des pays en développement risquent au contraire de rester pour longtemps à l'écart des formidables apports des TIC dans les domaine du partage de la connaissance, de l'innovation et de la croissance et du développement durable. Ils doivent d'abord faire face à des problèmes de base tels que la nutrition, l'accès à l'eau potable, à l'électricité et à la santé. Mais on pense pouvoir résoudre ces problèmes par le développement des TIC dans ces pays. Ce qui explique que les enjeux du SMSI, contrairement à ce que pourrait le laisser croire son intitulé, ne sont pas purement techniques. Ils sont davantage politiques, économiques et sociétaux. Les thèmes débattus lors de cet événement ont porté sur trois catégories de questions.La première porte sur les droits de l'homme, la liberté d'expression, de la presse et d'accès à l'information et les contenus illicites de l'Internet (pornographie et “ pourriels ”). La deuxième catégorie est relative aux aspects juridico-politiques, notamment la gouvernance de l'Internet, actuellement pour l'essentiel entre les mains des Américains. Enfin, les moyens économiques et financiers à mobiliser pour réduire la fracture numérique représentait le troisième volet des débats. Divergences Comme dans tous les grands Sommets, des divergences profondes ont éclaté entre le Nord et le Sud et entre les ONG et certains pays, sur certains thèmes débattus. La question des droits de l'homme et de la liberté d'expression a opposé les ONG à certains pays du Sud. Alors que les gouvernements des pays en développement ont manifesté leur satisfaction au sujet d'un passage de la déclaration finale selon lequel les droits de l'homme et la liberté d'expression doivent être compatibles avec les législations nationales, les ONG ont vivement critiqué cette approche, estimant que c'est la démarche inverse qu'il fallait retenir. La Tunisie, qui doit accueillir la deuxième étape du Sommet en novembre 2004, a été particulièrement visée par les organisations de défense des droits de l'homme, qui ont dénoncé les atteintes à la liberté d'expression dans ce pays. Sur le financement de la réduction de la fracture numérique et la connexion à Internet d'ici à 2015 de toute la planète, les divergences persistent malgré un certain rapprochement des positions des participants. C'est la proposition du Président sénégalais qui a été au centre des débats. Abdoulaye Wade a proposé la création d'une “taxe numérique” pour financer un fonds mondial de solidarité numérique destiné à aider les pays pauvres à accéder aux TIC et à la “société de l'information”. Ce fonds serait, selon M. Wade, alimenté par les contributions des gouvernements, des entreprises et de la société civile. Il suggère, par exemple, de prélever un dollar par ordinateur ou logiciel vendu, ou 1 % de la valeur de chaque connexion à Internet. Malgré la réticence des pays riches, invoquant une série de difficultés pour la mise en place de ce fonds, l'idée a fait son chemin. La gouvernance d'Internet a fait aussi l'objet d'un différend entre les pays du Sud emmenés par la Chine (et appuyés par la France) et les Etats-Unis. Ces pays ont réclamé la création d'une agence spéciale de l'ONU, perspective qui déplaît aux Américains, hostiles à tout ce qui constitue à leurs yeux une intervention étatique et une entorse à la concurrence. Actuellement, c'est Icann (Internet corporation for assigned names and numbers), multinationale basée en Californie et dominée par les Américains (même si elle a à sa tête un Président australien, chargé de l'internationaliser) qui gère les adresses de sites Internet sur le plan mondial. Malgré les faibles progrès enregistrés à Genève et le risque que l'adoption du plan d'action pour réduire la fracture numérique entre Nord et Sud reste lettre morte, le SMSI a eu au moins le mérite d'avoir abordé le problème et que les divergences soient sur la table.