Les inondations du Rif du 17 novembre ont causé le décès d'au moins quinze personnes tandis que plusieurs autres restent introuvables par les unités de secours. C'est le choc général après le passage de cet ouragan qui a mis sens dessus-dessous des villes entières. Familles sans abri, villages de pêcheurs immobilisés, Al Hoceima et la région sans eau potable, douars secourus par hélicoptères. Sur place, les secours s'organisent timidement. Le sort des sinistrés reste incertain. Reportage dans l'œil de la tornade. La saison des pluies aura déversé très tôt cette année ses torrents d'eaux et ses tonnes de boue dans les villes marocaines. Nous n'étions pas encore à la mi-novembre que les alertes étaient déjà là dans le Royaume. Et déjà une quinzaine de morts recensée à ce jour dans le Nord du pays, ainsi que de nombreux disparus qui risquent de venir allonger la liste des victimes des inondations en ce début de saison. Le chauffeur du car qui nous emmène vers le Rif, en cette journée bizarrement ensoleillée après le déluge quelques heures auparavant, nous apprend que “pendant trois jours il était dangereux de s'aventurer sur la nationale sous les pluies diluviennes et que maintenant nous avons de la chance car la route vers Al Hoceima est désormais praticable”. La route du Rif est sinueuse et n'arrête pas de grimper. Il ne faut pas trop se fier au temps, comme aux hommes poursuit-il, car ils sont traîtres... Le ciel risque de virer au gris en moins de cinq minutes et les nuages gorgés de flotte viendront en moins de temps crever au-dessus du car, prévient-il : “nous sommes en terrain glissant. Ici, c'est la montagne ! Quand il y a de la flotte, alors tout part d'un bloc”. Dans l'autocar, agrippés avec plus de conviction que d'habitude, les passagers craignent que des glissements de terrain ou qu'un dérapage du véhicule ne viennent interrompre leur long voyage à travers les cimes montagneuses du Nord. Il raconte : “ce soir maudit du lundi 17, j'étais dans mon car à cinquante bornes de Nador. Le ciel crachait du feu et le tonnerre était si fort qu'on devait l'entendre de l'autre côté de la Méditerranée. Le ciel s'éclairait de lanières lumineuses qui se tordaient dans l'air avant d'eclater. Les gens qui voyageaient lisaient la “fatiha”. On devinait la peur sur leurs visages décomposés. Soudain, les pluies sont devenues très violentes et je ne voyais plus rien à trois mètres. Les essuie-glaces de l'autocar ont cessé de fonctionner. Le vent a failli nous précipiter à deux reprises dans le précipice. Nous avons mis trois heures pour atteindre la ville. J'ai pensé à la fin du monde et à tout ce que j'avais lu sur le déluge de la fin des temps…”. Il appuie plus fermement sur le champignon pour arriver plus vite, en signe de victoire sur le destin et le mauvais temps qui ont mis de mauvais poil son patron, parle des mauvaises recettes de la semaine dernière, en pestant contre la situation délabrée des routes après le passage de l'ouragan. C'est un spectacle de désolation qui nous accueille à l'entrée de la ville. La tempête qui est passée en traversant la ville s'est acharnée à dévaster le Centre Nord du Royaume, le long du littoral méditerranéen sur un axe qui atteint Al Hoceima et les villages de la région jusqu'à la mer encore noire de ses ressacs. Nador dévasté par le déluge Les oueds de la région ont débordé au cours de la nuit en rejetant des milliers de mètres cube d'eaux sur les agglomérations. Les habitants sont encore sous le choc et ne se sont pas encore remis de leur aventure inouïe qui présente toutes les frayeurs d'un cauchemar sans fin. Dans les rues, on parle des populations encerclées par les eaux dans des douars rendus inaccessibles et auxquels la Gendarmerie royale fait parvenir des aides alimentaires et des couvertures par hélicoptère… La ville est recouverte d'une couche de boue et les façades blanches dans les quartiers sinistrés accusent encore la montée des eaux. Selon l'Etat qui s'exprimait sur la situation à Nador et Al Hoceima principalement, où de sérieux coûts matériels sont à envisager après les inondations, “aucun bilan définitif des dégâts causés par ces inondations n'a été établi jusqu'à présent”. L'un des sapeurs-pompiers qui a frôlé de près la mort cette nuit-là, rappelle le fil des événements : “il y eut très vite des bidonvilles emportés et des vies humaines en danger. La caserne a donné une alerte générale et les différentes patrouilles se sont rendues sur les sites en question et d'autres quartiers de la ville où l'on signalait des montées d'eaux”. C'était, en quelques heures, le point de non-retour. Les terres de Nador allaient se convertir en marécages qui emplissaient lentement la cité, jusqu'à l'aube où un répit se fit espérer. “Les eaux ont diminué d'intensité, comme par miracle, certains quartiers l'ont échappé belle et il faut en remercier le Seigneur”. Voilà Nador et Al Hoceima sur le point d'être engloutis comme Atlantis jadis. Chaque année l'une des régions du Maroc souffre des inondations d'hiver, avec leurs lots de sans-abri, de morts, d'orphelins, de commerces détruits, de terres agricoles perdues et de familles à jamais désunies à la suite des intempéries. Malgré les efforts accomplis depuis quelques années par les services concernés en matière d'assistance aux populations frappées par les catastrophes naturelles, les habitants de la région ne se font pas d'illusion : “c'est faux qu'ils vont reloger rapidement les gens, comme l'affirment les autorités de la ville, dit un jeune homme dans la foule. Pensez aux victimes de Mohammédia, pensez à celles des crues de Marrakech, qui n'ont eu ni indemnités ni logement de substitution”. S'il est vrai que l'Etat a modestement ouvert le dossier des sans-abri de Mohammédia, en proposant à certaines familles des solutions d'habitation, il reste évident, selon la population, que l'intérêt du Maroc pour ses sinistrés ne vaut guère cher et qu'aucun programme social n'a été mis en place pour faire face aux catastrophes de plus en plus fréquentes dans le pays. Le développement des quartiers clandestins et de l'habitat insalubre aidant, beaucoup des zones dites citadines se révèlent en réalité de véritables poudrières en cas d'inondation, de séisme ou de cyclone marin (exemple de la ville de Martil, à 10 km de Tétouan, qui a été inondée par les eaux de la mer remontant rapidement pendant la tempête). Même les villes les plus solides ne paraissent pas à l'abri des aléas du climat. On pensera à l'exemple de Casablanca et au lit de l'oued Bouskoura qui traverse de part en part la métropole et qui risque de se réveiller un jour de crues exceptionnelles. Tanger, Tétouan, Settat, Béni Mellal, la localité d'Ifrane, la ville de Tan Tan pour ne citer que ces villes, ont connu de graves inondations. Les premières victimes Il faut s'éloigner de ces quartiers où la colère se le dispute à l'atermoiement et atteindre les bourgades communales de Ouled Settout, Tiztoutine ou Selouane pour découvrir les premières victimes du 17 novembre. Certains parlent de quatre personnes, dont des femmes selon les forces de l'ordre, d'autres évoquent le double ou le triple de ce nombre. Elles ont été retrouvées mortes noyées dans le torrent, emportées par l'eau. Pour l'heure, on ne sait pas s'il y a eu d'autres victimes mais des disparus sont signalés un peu partout dans la région. Nador et ses environs se caractérisent par une pente allant de 10% à 40%, facilitant les glissements de terrains et il n'est pas impossible que d'autres villages, plus loin dans la montagne, aient souffert la semaine dernière des pires dévastations. Les fermes ont pris un coup duquel elles ne se remettront pas cette année. Les terres ont bu trop d'eau et les graines vont pourrir en vingt-quatre heures. La mère de l'une des victimes témoigne ainsi de sa douleur : “j'ai perdu mon enfant, mais qui va s'occuper de nous maintenant ? Toute la région est dans une situation catastrophique. La peur nous a accompagnés cette nuit-là, regardez bien ce qu'elle a laissé après elle”. Des milliers de gens malheureux, des dizaines de familles en deuil, des paysans sans terres, des commerçants sans locaux, une région sinistrée et un avenir sombre. Pour nous faire saisir davantage de la gravité de la situation qui prévaut dans le Rif, un vieux paysan sort de l'assemblée et nous explique que lui aussi a souffert des inondations et a perdu ce qu'il avait de plus précieux, son bétail. Il calcule, avec les portées, qu'une vingtaine de vaches et de chèvres se sont noyées durant la nuit apocalyptique et s'en remet à Dieu pour son destin… A Al Hoceima, où nous mènent nos pas ensuite, on nous annonce dès notre arrivée en ville que plus de cinq morts ont été recensés jusqu'à ce jour par les autorités. Nador paraît mieux lotie que cette ville côtière où les vents et les courants marins ont eu la part belle. Avec son climat de type méditerranéen, d'où les étés secs et chauds et les hivers pluvieux et frais, la province d'Al Hoceima a vécu la semaine dernière les pires tempêtes maritimes dont se souviennent les pêcheurs de la côte. Sur El Penon, en haute mer, les îles comme Nekor disparaissent dans la brume épaisse qui s'est saisie de la contrée. Au pied des montagnes du Rif, on dit que la province d'Al Hoceima est l'une des plus belles régions de la Méditerranée, dont les principales ressources sont le tourisme et la pêche. Plus loin, Taounate et Taza ont aussi pâti des pluies diluviennes qui se sont abattues sur le Nord. Les pêcheurs sont les premiers à ressentir la pénurie de poissons qui se sont réfugiés dans les grands fonds en attendant que passe la tempête. D'ailleurs un tour dans les différents villages de pêcheurs montre combien les jours passés ont été durs et que l'histoire des inondations n'est pas finie. Plusieurs bâteaux gisent renversés sur le littoral, parfois sur l'eau en attendant des moments meilleurs. L'un des raïss du coin résume ainsi la situation : “c'est fini pour la plongée sous-marine pour au moins trois semaines. Le temps s'améliore mais reste indécis. Les touristes ne viennent plus. Quant aux baharas et à leurs bâteaux, ils ne sont pas sortis en mer depuis plusieurs jours et certains pères de famille commencent à désepérer”. Nous poussons jusqu'à la plage Quemado, vide à cette heure-là et défigurée par le désordre. On raconte que des bâteaux avec leurs grands lamparos ont été emportés par les courants et retrouvés à des kilomètres de la berge. Les vents ont soufflé très fort. Les vagues ont atteint selon les témoins plus de cinq mètres de hauteur. Les bassins d'eau potable contaminés à Al Hoceima Dans la ville triste où subsistent encore les traces du passage de l'ouragan, il y aurait cinq disparus qui n'ont pas encore été retrouvés. Les forces de police refusent pour l'instant de donner les noms des victimes d'Al Hoceima et de Nador, en attendant que l'ordre soit rétabli dans les villes et que les enquêtes liées aux décès soient closes. Mais la ville balnéaire ne s'est pas encore remise de sa mésaventure qui a mal tourné pour bon nombre de familles qui vivaient modestement dans des baraques insalubres et qui se sont retrouvées, du jour au lendemain, sans gîte. Combien sont-elles après les inondations du 17 novembre ? Impossible de les dénombrer car l'administration est en plein branle-bas et les premiers secours démarrent timidement, après l'arrivée d'équipes techniques spécialisées et du commandant de la protection civile pour superviser les opérations. Des hélicoptères ont été affectés à la distribution d'aliments et d'objets de première nécessité qui sont acheminés vers les populations enclavées de la région d'Al Hoceima. Mais tout aussi graves, les crues des oueds, qui sont à l'origine des inondations du Nord, ont envahi les bassins et stations d'épuration de l'eau potable de la ville d'Al Hoceima et de bon nombre de localités. Nous allons sur place pour vérifier, dans des bourgs oubliés dans la nature, à Béni Bouâyach et Imzourène. Rien, pas un verre d'eau à se mettre dans le gosier. Les robinets laissent couler un liquide rougeâtre et la boue se dépose au fond du récipient. A Béni Boufrah, non loin de là, c'est la même constatation. Toute la région d'Al Hoceima est contaminée par la boue déversée dans la station de traitement de l'ONEP. Celle-ci s'approvisionne du barrage Abdelkrim El Khattabi que nous décidons d'aller voir pour mieux évaluer les dégâts. Ses eaux sont devenues marécageuses. Les crues des oueds dans la région de Béni Boufrah ont interrompu la circulation du réseau routier dans la région d'Al Hoceima. Pendant plusieurs jours, les gens sont restés hors d'atteinte des premiers secours. Selon le vœu exprimé par la majorité, les pouvoirs publics doivent aujourd'hui jouer un rôle de proximité vis-à-vis des populations frappées par la catastrophe. Cette mère de famille rencontrée à Tiztoutine, en train de nettoyer son verger ravagé par les intempéries, affirmait à juste titre que les dons des associations n'étaient pas suffisants et qu'un programme de relogement était nécessaire pour éviter aux plus démunis de demeurer dans la rue ou de vivoter pendant quelques années sous des tentes ou dans des garages désaffectés. L'Etat a dépêché dans les zones sinistrées une commission pour évaluer les dégâts qui seront assurément lourds. Dans l'attente de leurs conclusions, que les habitants de Nador et Al Hoceima souhaitent connaître rapidement et dans la transparence, les villes doivent assumer seules les premières interventions et secourir au mieux les familles et les villages de pêcheurs frappés par les inondations.