-À l'heure où un certain nombre de pays rendent obligatoire le contrôle technique avant et pendant la réalisation de tout ouvrage, cet acte est encore facultatif au Maroc. -Sont directement responsabilisés l'architecte,l'ingénieur et l'entrepreneur. -Les liens entre les bureaux de contrôle et les sociétés d'assurances ne sont pas sans reproches. -Des règles parasismiques sont obligatoires depuis septembre 2002 pour toute construction. Pour les spécialistes, l'objet du contrôle technique est de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation d'une construction. Vu le rythme avec lequel le marché du bâtiment fleurit au Maroc, et c'est tant mieux, on est en droit de se demander si nos lieux d'habitation, nos ouvrages publics,… ont été contrôlés techniquement avant et pendant leur réalisation. Car comme en Algérie, aucun pays n'est à l'abri d'un séisme. La meilleure façon de prévoir ce genre de cataclysme est de rendre le contrôle technique des bâtiments obligatoire. Au Maroc, c'est loin d'être le cas encore. En témoignent le degré de désorganisation qui caractérise les bureaux de contrôle technique et les liens pas toujours très nets entre ceux-ci et les compagnies d'assurances. "Les missions d'un bureau de contrôle sont vastes et variées. Au niveau du bâtiment, son rôle principal est la prévention des risques. Cette prévention commence par le mode de la fondation qui est retenu par un laboratoire", souligne Chafik Jalal ingénieur en construction mécanique et génie civil et directeur général de qualité contrôle. Dans ce domaine de construction, ce dont on est sûr est la classification des entreprises qui travaillent avec les ministères de tutelle. Sinon, tout le reste est dans le flou total. Bureau de contrôle et l'acte de bâtir "Nous sommes d'un apport essentiel pour l'ingénieur concepteur. Nous intervenons pour compléter son étude par un contrôle technique pour voir s'il y a une conformité de l'étude par rapport à des normes nationales ou internationales. Nous contrôlons aussi l'entreprise sur sa façon de travailler, les matériaux qu'elle utilise", explique-t-il encore. Il ne peut en être autrement dans la mesure où le bureau de contrôle constitue un œil neutre de l'acte de construire. Si seulement ces différentes étapes étaient respectées au Maroc avant et pendant toute construction d'ouvrage, on en serait moins inquiets. Ici la stabilité de l'ouvrage est intimement assujettie au décret de 1913, modifié en 1959. C'est un décret qui responsabilise l'architecte, l'ingénieur et l'entrepreneur de l'ouvrage pendant dix années. Cela donne une grande liberté de manœuvre à ce trio et dont les conséquences peuvent être lourdes. "Lorsque les contrôleurs techniques supervisent d'abord auprès de ces intervenants, le risque se trouve limité", avertit-il. Cette situation de fait amène d'ailleurs certains clients à demander de plus en plus une garantie décennale délivrée par les compagnies d'assurances. Cela signifie qu'après cette période, tous les intervenants techniques y compris le promoteur ne sont plus responsables du risque survenu. La question qui reste posée est la date de réception de l'édifice. Et sur cette question, assureurs et promoteurs continuent à se renvoyer la balle. Cependant, faut-il le remarquer, c'est des cas qui concernent la majorité des logements c'est-à-dire économiques et dans une moindre mesure de moyen standing. Quant aux gros projets et habitations de standing les clients avertis demandent l'intervention d'un bureau de contrôle. Cela est dû au fait que le contrôle technique n'est pas encore obligatoire au Maroc. "C'est curieux dans un pays où l'on construit beaucoup", s'étonne un citoyen. Pour le directeur général du Contrôle technique, dans le cas du projet "200.000 logements", il est impensable qu'on ne rende pas obligatoire par décret ou par loi le recours à un bureau de contrôle technique. En France, ce contrôle est obligatoire depuis 1976 par la loi Spinetta (voir encadré). Pour construire, il faut passer par un bureau de contrôle. En Espagne, une loi existe dans ce sens depuis trois ans. Ces exemples sont suffisants pour nous interpeller. Le résultat de cette politique saute aux yeux. Il a été constaté que 99 % des bâtiments qui présentent des sinistres au Maroc n'ont pas été contrôlés. Toute chose étant égale par ailleurs, afin de mettre de l'ordre dans cette profession, la Cosep (contrôle, sécurité et prévention) le secteur de la fédération dédié au contrôle du bâtiment, essaie de se défendre comme elle peut. Elle se compose actuellement de cinq bureaux de contrôle aux compétences requises et reconnues. Ce sont Best Control, Capec Maroc, Qualité Contrôle, Somacep et Tecnitas. L'une des raisons d'existence de la COPRES, fédération à laquelle appartient la Cosep, résulte du manque d'organisation de la profession de contrôleurs. "C'est une manière pour nous de défendre notre profession. Il s'agit de lui donner une éthique", souligne Chafik Jalal. Pas de risque zéro Heureusement, d'après nos sources, ici les sociétés publiques qui construisent pour le compte de l'Etat ont le réflexe de sélectionner les bureaux d'études compétents, des entreprises qui ont une longue expérience et font généralement appel aux bureaux de contrôle. Le risque est alors minimisé. Cela doit être d'autant généralisé qu'au Maroc le risque sismique existe. À ce niveau, il y a des règles parasismiques établies par le ministère de l'Habitat en l'an 2000 et qui sont devenues depuis lors obligatoires pour la réalisation de tout ouvrage. Actuellement, les ingénieurs sont obligés dans leur conception ou calcul d'en tenir compte. En revanche, ce qui reste à faire dans ce cadre comme travail est le conseil que les organismes de contrôle doivent prodiguer aux promoteurs. Car ces derniers pour rentabiliser leur activité, il leur faut le plus souvent optimiser leurs dépenses et cela est incompatible avec l'esprit du règlement parasismique. À cet égard, la réponse d'un promoteur est la suivante : "dans le cadre des "200.0000 logements", on nous demande de construire de l'économique et de le vendre au moindre prix. Ce qui suppose des études optimisées. Or, dans le parasismique on n'optimise pas. Au contraire ! Il y a des règles draconiennes à respecter. En général, il y a une augmentation de 10 à 15 % de l'ossature du bâtiment. La conséquence est la hausse du prix de l'ouvrage". De ce constat, un certain nombre de promoteurs pensent, pour écarter tout problème après, appliquer les règlements parasismiques. D'autres ne construisent plus de l'économique et se rabattent alors sur le moyen standing pour pouvoir vendre un peu plus cher en observant les règles parasismiques. Pour ne pas se voiler la face, pouvoirs publics et promoteurs immobiliers doivent ouvrir le débat au bonheur de tous. Bureaux de contrôle et Assurances : des liens anormaux L'acte de construire n'est pas suffisamment étoffé sur le plan juridique notamment en matière de répartition des responsabilités et de l'intervention obligatoire et systématique des opérateurs ayant compétence en la matière. "Il n'existe aucune loi qui impose l'intervention des bureaux de contrôle qui peuvent participer grandement à régler les problèmes de l'écroulement qui pourrait intervenir pendant et après la construction d'un ouvrage", souligne Abdelmajid Ben El Mostapha El Hor directeur général de Capec-Maroc. La seule obligation qui reste vient de la part de certains organismes d'assurances et de financement. À ce niveau le système qui consiste à faire de chaque constructeur responsable pour la pérennité de sa construction durant les dix premières années de sa mise en exploitation est trop simpliste. Car ceci nécessite forcément l'intervention des organismes qui garantissent la solvabilité. La raison avancée vient du fait que ledit constructeur peut devenir insolvable par faillite ou par décès. Dans ce cas de figure, la solution la plus pertinente est l'intervention des compagnies d'assurances qui bénéficient de la garantie de l'Etat. Autrement dit, le système tend vers la substitution de garantie due par le constructeur à une garantie par l'Etat. Seulement, les compagnies d'assurances nationales pour couvrir ce genre de risque font appel à des firmes étrangères pour leur réassurance. Ces dernières fortes de leur position exigent que le contrôle technique soit exercé par des organismes qui reçoivent leurs agréments. Ainsi, pour exercer le contrôle technique au Maroc, il faut aller chercher les autorisations auprès d'autorités autres que marocaines. Ce qui pose un problème de souveraineté. C'est un système qui favorise les opérateurs ayant des prolongements à l'étranger au détriment des compétences nationales bien établies ce qui contrarie grandement les valeurs éthiques et morales qui doivent pourtant primer. Une des conséquences de cette situation de fait est que la quasi-totalité des bureaux de contrôle du pays sont des prolongements des entités étrangères ainsi protégées. "De son côté, la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurances (FMSAR) doit prendre les devants afin de trouver une meilleure issue à la question des agréments de contrôle. C'est aussi une manière de rendre justice à nos compétences nationales dont quelques-unes ont cumulé 30 années dans l'exercice du contrôle technique comme c'est le cas pour Capec-Maroc", renchérit Abdelmajid Ben El Mostapha. Et n'oublions pas surtout que les grandes compagnies de réassurance en Europe lorsqu'elles ne veulent pas agréer un bureau de contrôle national, elles peuvent le bloquer. En général, quand ces firmes étrangères décident, elles le font en faveur des organismes de leur pays installés au Maroc. Deux questions à Chafik Jalal, DG de "Qualité contrôle" La Gazette du Maroc :il est établi que votre profession est très mal organisée. Selon vous quels en sont les principaux facteurs ? Chafik Jalal : Pour qu'un ingénieur assure la fonction de responsable d'un bureau de contrôle, il faut qu'il soit d'abord diplômé d'une grande école d'ingénieurs marocaine ou étrangère. En plus, il faut qu'il ait comme spécialité le contrôle technique de bâtiments. Malheureusement, ce n'est pas le cas au Maroc. Nous avons des ingénieurs en hydraulique ou en électricité ou dans d'autres spécialités et qui font office de patrons de bureau de contrôle technique dans le bâtiment. Pire encore, on a même relevé l'existence sur la place d'un bureau de contrôle dont le directeur n'est même pas ingénieur. Cette profession est caractérisée aujourd'hui par l'anarchie. Dans la plupart des cas, les patrons de ces bureaux ignorent carrément le métier. Dans ce dessein, ils s'appuient sur leur personnel car ils sont incapables de faire face à des situations difficiles. C'est la raison pour laquelle on ne les voit jamais sur les chantiers, de peur d'être coincés par un spécialiste. Pour espérer ouvrir un bureau de contrôle, en plus des éléments sus-mentionnés, il faut avoir pratiqué au moins cinq années dans un bureau d'études et travaillé en entreprise. Ce sont ces éléments que nous compterons mettre en avant dans l'agrément que nous sommes en train de négocier avec le ministère de l'Equipement. Que diriez-vous de l'aspect juridique ? Il faut reconnaître que notre métier se caractérise par un vide juridique. Plusieurs personnes profitent de cet état de fait pour intégrer ce milieu. Dernièrement, ce sont cinq ou six bureaux qui ont ouvert leurs portes en un mois. Il n'est pas rare de voir l'un de ces établissements avec à sa tête un actionnaire qui travaille dans l'administration ou un patron, propriétaire d'une entreprise. À cet égard, j'attire l'attention sur le cas de deux laboratoires qui sont en train de pratiquer le contrôle technique sans en avoir les qualifications requises. L'un de ces derniers a jugé que ce n'est pas du tout éthique et a par conséquent abandonné son métier de base pour ne faire que du contrôle. Evidemment, à la Fédération marocaine des organismes de contrôle, prévention et sécurité (COPRES), nous sommes en train de mettre en garde sur les retombées pernicieuses que peuvent avoir sur des vies humaines de pareils manquements au respect dû à cette profession. Pour éviter pareil dérapage, il est important que le législateur y mette des garde-fous. Cas Français La loi Spinetta et l'assurance construction La loi Spinetta a eu pour objectif d'améliorer la situation du maître d'ouvrage notamment en cas de défaillance des constructeurs. Elle a bâti un nouveau système de responsabilités autour de l'assurance décennale et de l'assurance dommages ouvrage. Soucieux d'offrir une parfaite lisibilité au maître d'ouvrage quant à la fiabilité de l'assurance décennale des constructeurs, le législateur a même ultérieurement amendé les clauses types d'ordre public en imposant à l'assureur de couvrir tout chantier ouvert pendant la période de couverture, sans que l'assureur puisse opposer utilement le défaut de paiement de la prime subséquente. Ainsi, le maître d'ouvrage était-il certain de bénéficier de la garantie si le constructeur justifiait d'une police en cours de validité lors de la délivrance de la D.R.O.C (Déclaration réglementaire d'ouverture de chantier) et ce, même en cas de défaillance ultérieure de l'assuré. La pratique a rapidement réagi. Les compagnies ont mis en place un système d'assurance au "coup par coup" en insérant dans la police une clause subordonnant la garantie à la déclaration préalable du chantier. On pouvait légitimement s'interroger sur la compatibilité de ces dispositions contractuelles avec les clauses types précitées dans la mesure où elles étaient porteuses d'un risque important pour le maître d'ouvrage susceptible d'être trompé par une attestation d'assurance à caractère général. Dans un arrêt important mais peu commenté, la Cour de cassation tranche clairement en faveur de la validité de la clause subordonnant la garantie à la déclaration préalable du chantier. Une fois de plus, on recommandera au maître d'ouvrage (et au maître d'œuvre au titre de son obligation de conseil) la plus grande vigilance : il faut exiger avant signature du marché une attestation portant expressément la référence du chantier à entreprendre.