Il faut d'abord se parler. Et s'entendre. Là commencent les malentendus. Se parler, ce n'est souvent qu'échanger des mots, ou plutôt des paroles, qui peuvent conduire à échanger des mots. Au grand jour si on le peut, ou à l'ombre, ni vu ni connu. Parfois, c'est parler chacun à son tour, ensemble mais pas en même temps, pour être précis. On appelle cela se parler, pourtant. Monologue à deux ou dialogue de sourds. Cela peut même ressembler à un dialogue de sourds-muets, au téléphone. Mobile comme le veut le progrès. Quelqu'un qui profère solennellement des paroles devant une honorable assemblée prête serment peut-être. Prêter serment à plusieurs personnes paraît inconcevable alors que cela se fait couramment. C'est possible puisque les auditeurs l'acceptent. Outre que ce n'est littéralement qu'un prêt, comment font-ils pour se le partager? Il est sans doute plus correct de parler d'une prestation bien qu'il ne s'agisse ni d'un artiste ni d'un sportif. Celui qui prête serment est donc un prestataire, tout comme le prestataire de services. Avec cette différence que ce dernier est rémunéré, alors qu'on prête serment sans intérêt aucun. C'est quasiment de la philanthropie. Cependant, il n'est jamais fixé de date limite pour le retour du serment à son auteur. Curieusement, il ne le réclame jamais, et a même la hantise qu'on le lui rende. Il ne peut le reprendre et évite même toute voie qui l'amènerait à le faire. Il prête donc serment sans intérêt et n'a pas intérêt à le rompre, puisqu'un serment ne se reprend pas mais se rompt. C'est grave, un serment rompu. Qu'est-ce qui pousse l'individu à prêter serment, puisque personne ne peut affirmer qu'il est criblé de dettes, à force d'emprunter des serments, encore moins à des taux prohibitifs ou d'enfer. Personne non plus ne peut décrire un serment ni affirmer de quoi il est fait. Ce n'est en tout cas ni un billet de banque ni un objet précieux. Réflexion faite, ce ne sont que des paroles. Mais pas en l'air puisque leur auteur ne peut s'en délier. Malgré ce casse-tête, nombreux sont ceux qui font des pieds et des mains pour prêter serment. C'est d'autant plus incompréhensible qu'on prête serment, sans préciser s'il s'agit d'un ou de plusieurs. On peut s'avancer et affirmer qu'il n'a jamais existé ce dialogue : “ Venez demain prêter serment ”. “ Je regrette je n'en ai pas ”. Ce refus serait d'ailleurs le fait d'un pingre informé, qui saurait qu'un serment prêté n'est jamais récupéré. Autant donner sa parole. A ce propos ils sont légion ceux qui donnent leur parole, leurs amis, leur langue au chat, le change, la réplique, dans le panneau… La parole donnée est censée être d'honneur, à condition qu'elle soit écrite. Sinon, on sait que l'apostrophe ne s'entend pas. On entend dire cependant qu'une parole donnée peut se reprendre. Pourquoi la donner si elle peut être reprise ? Ce qui veut dire, du reste, qu'une parole peut être d'occasion. Il faut croire que les gens acceptent n'importe quoi, même une parole d'occasion. Il est clair que celui qui donne souvent sa parole doit disposer d'une vaste panoplie, pour en donner à chaque occasion une fraîche. Le donneur de parole devient comme l'amant perpétuel dont on dit qu'il a un cœur d'artichaut. Sauf que le perpétuel peut être provisoire, comme on a eu l'occasion de le voir dans on ne sait plus quel pays où le secrétaire perpétuel d'une institution a été appelé à d'autres fonctions, après un an de perpétuité. Il est vrai que la précarité est l'une des caractéristiques de notre époque. Ainsi donc celui qui donne sa parole se trouve dans la même situation que celui qui a prêté. Ni l'un ni l'autre ne peuvent reprendre ce qu'on peut appeler un bien. Le problème ne se pose évidemment pas pour celui qui ne donne ni ne prête. Mais sans doute pour un autre qui tient absolument à prêter serment et s'en ouvre à quelqu'un qui lui prête l'oreille et lui donne sa parole qu'il en aura l'occasion. L'un se consume à vouloir prêter, l'autre donne et peut même en faire le serment. On ne sait pas non plus comment se fabrique un serment. Peut-être que cela est plus simple qu'on ne pense. Le serment est probablement composé de paroles, sans autres ingrédients. Tout cela est finalement fort transparent, comme le sont les trois interrogations du cinéaste et humoriste Woody Allen : “ je ne sais pas d'où je viens. Je ne sais pas où je vais. Qu'est-ce qu'il y a à manger ce soir ? ” Combien d'individus à travers le monde ont les moyens pour se poser ces questions avec le sourire. Et comment le savoir ? Peut-être que le programme alimentaire mondial dispose de statistiques fiables et vérifiées. Il faut dire aussi que celui qui a faim est abreuvé de paroles par des gens qui font le serment que lui aussi pourra se poser des questions fondamentales. L'éminent penseur Al Bidaoui qui prête toujours l'oreille finit par intervenir, un rien agacé : “ mais de quoi se préoccupe-t-on donc tant ? Après tout, chacun sait que pour prêter il faut avoir un don. ”