La guerre du Golfe dans les mass medias L'image télévisée constitue un grand vecteur de propagande. Les parties en guerre en sont très conscientes. Mais, jusqu'à présent la guerre médiatique profite plutôt aux Iraquiens. Les Américains se trouvent dos au mur dans un jeu qu'ils croyaient maîtriser. Démonstration. Depuis le déclenchement de la guerre contre l'Irak par la coalition américano-britannique, les mass médias, et notamment les chaînes de T.V, se livrent à une guerre médiatique sans merci. L'objectif est le même : augmenter l'audience par une couverture sensationnelle de la guerre. A cette fin, la mobilisation générale devient le mot d'ordre qui régit le travail des journalistes. Dans un sens, il s'agit d'une guerre dans la guerre, avec ses stratégies, ses objectifs et surtout ses procédés : envoyés spéciaux sur place, couverture 24 heures sur 24, analyses, débats, …etc. Bref, toutes les recettes susceptibles de fixer les téléspectateurs devant la boîte de Pandore. Certes, la T.V offre la possibilité de suivre la guerre heure par heure. Cependant, le risque de tomber dans les filets de la propagande demeure toujours présent. C'est dire tout l'enjeu politico-médiatique qui sous-tend le contrôle de l'information et des images, surtout en période de guerre. Les jeux de la propagande : mode d'emploi Il est vrai que les médias constituent un moyen de propagande incontournable pour tous les régimes politiques totalitaires. Cependant, les régimes libéraux y recourent aussi, notamment dans les périodes de guerre : images exaltant le courage des guerriers par exemple. A ce niveau, la télévision s'avère un médiateur-clé qui représente la synthèse de la parole et de l'image, l'efficacité discursive de la première et l'efficacité émotionnelle de la seconde. Lors de cette troisième guerre du Golfe, les belligérants avaient adopté deux tendances de propagande dans les mass media. La première insiste sur certaines images qui visent à susciter l'adhésion. Elle représente le chef, ou le héros, idéalement beau, dans une situation qui met en valeur sa bravoure, son dévouement ou son humanisme : c'est le cas du président irakien Saddam Hussein, mais aussi du président américain, quoique d'une façon un peu plus discrète. L'autre tendance a pris son importance après le début des frappes militaires. Elle insiste au contraire sur les traits odieux de l'adversaire : sa laideur physique, miroir de sa laideur morale, sa couardise, sa cruauté, etc. L'idéal est de le montrer à la fois odieux et impuissant, dangereux , mais déjà vaincu. Pour exemple, cette stratégie s'est traduite par la diffusion des images télévisées de soldats défigurés, de cadavres calcinés, d'armes ennemies pulvérisées et d'objectifs civils démolis… C'est apparemment la tendance de la T.V irakienne, mais aussi de la T.V qatariote Al-Jazeera. Du côté des Américains, la propagande s'est basée sur une désinformation systématisée qui n'a pas résisté aux arguments irakiens, jugés comme irréfutables par les professionnels des médias. La politique de cooptation des mass media, par le téléguidage des journalistes, choisis par l'armée pour accompagner les militaires “ embedding ”, s'est avérée déficiente. La frustration des journalistes des chaînes de T.V américaines et européennes, dans la base américaine à Qatar, atteste largement de cet échec sans précédent. La guerre des images : le serial mensonge Apparemment, la guerre des images a basculé en faveur des Irakiens, à en juger par le cours des évènements survenus sur le champ de bataille : le premier épisode de cette guerre médiatique est, sans doute, la diffusion par la T.V officielle irakienne des images de soldats américains tués et défigurés. Mais également, les images des premiers prisonniers américains de cette guerre. Réaction immédiate des forces de la coalition : cette action enfreint la convention de Genève. Alors qu'en fait, ce sont tout de même les forces de la coalition qui avaient commencé les hostilités, en permettant à des chaînes américaines, soi-disant indépendantes, de passer les images de quelques prisonniers irakiens ! Le deuxième épisode de ce bras de fer avait été marqué par l'entrée en jeu de la chaîne de T.V qatariote Al-Jazeera, considérée par Washington comme étant pro-irakienne, suite aux déclarations des forces de la coalition sur la reddition d'une unité militaire près de Bassora. Quelques heures après, l'information tombe à l'eau. Le commandant en chef de l'unité en question passe sur Al-Jazeera récusant l'information avancée. Le troisième épisode de la polémique a été déclenché suite aux déclarations d'un haut responsable militaire américain sur un “éventuel” soulèvement dans la ville de Bassora. Infirmation catégorique par le ministre de l'information irakien, dans une interview à Al-Jazeera : Bassora résiste toujours à l'ennemi. Battus sur leur terrain de prédilection, l'information, les Etats-Unis avaient été décrédibilisées par la transparence et l'objectivité du système d'information irakien. Les images des hélicoptères de combat américains, diffusées par la T.V irakienne, avaient démasqué la désinformation américaine. Le fiasco médiatique du maître…de la brutalité La guerre médiatique ne s'est pas limitée à la propagande militaire. Bien plus, la bataille entre les chaînes de T.V a fait émerger un débat houleux sur la déontologie des médias. Après que la chaîne de T.V Al-Jazeera ait diffusé les images de quelques soldats américains défigurés, la coalition américano-britannique avait rejeté catégoriquement une telle action : montrer les cadavres de soldats morts à la T.V est une action immorale et illégale. C'est d'ailleurs l'avis de la majorité des chaînes de T.V, partout dans le monde. Pour aller dans ce sens, le président du conseil supérieur de l'audiovisuel, en France, Dominique Dobes a même critiqué l'action entreprise par Al-Jazeera, la qualifiant de totalement déplacée. Pourtant, la chaîne qatariote n'a pas changé de politique. Selon les responsables de Al-Jazeera, le rôle des médias est de rapporter les faits même s'ils sont parfois choquants. En d'autres termes, l'opinion publique internationale doit être au courant de l'injustice de la guerre contre l'Irak. Vraisemblablement, l'objectif non-déclaré de cette stratégie de propagande suppose que les peuples arabes puissent dépasser les réactions émotionnelles et cherchent à se soulever contre leur propres régimes politiques. En résumé, on est tenté de dire que contrairement à la guerre du golfe de 1991, la victoire médiatique a été, cette fois, du côté irakien. Alors que les forces de la coalition avaient misé sur la “rhétorique démonstrative”, le régime irakien s'est appuyé sur les “faits illustratifs” .L'entrée en jeu des chaînes de T.V arabes satellitaires en est un facteur déterminant. Du côté américain, la chaîne de T.V CNN a diffusé l'entrée triomphante de l'armée américaine dans la ville de Oum Kasr. Les images des soldats de la coalition distribuant de la nourriture aux enfants irakiens visaient principalement à propager l'idée d'une guerre de libération. Deux jours après, la chaîne de T.V Al-Jazeera passe les images choquantes des victimes irakiennes, suite aux frappes américaines contre un quartier résidentiel à Bagdad. Un véritable coup de théâtre. L'embarras des forces de la coalition était à peine camouflé, et l'indignation internationale était sans réserve : il s'agit d'une guerre injuste d'invasion et non de libération. Mieux, quelques chaînes de T.V ont réussi à démasquer le double standard américain, en montrant un soldat américain remplaçant le drapeau irakien par le drapeau américain. Erreur monumentale qui traduit le fiasco médiatique des Etats-Unis, jugés maîtres incontestés de l'information. Seraient-ils en mesure de se ressaisir ? Possible. Mais, à condition qu'ils retiennent la leçon : s'il est vrai que l'information modifie les points de vue et les décisions de l'opinion publique, il apparaît que la désinformation ne fait que radicaliser les positions et renforcer l'antipathie. Pour le cas spécifique de la guerre contre l'Irak, l'antiaméricanisme n'est pas près de diminuer. Bien au contraire, il ne fera qu'augmenter au fil des massacres perpétrés contre le peuple irakien. L'image de l'enfant irakien décapité, suite aux bombardements intensifs de la ville de Bassora, restera gravée à jamais dans les mémoires.