L'histoire des Juifs du Maroc commence dès le IVe siècle avant J.-C. Les villes de Salé et d'Ifrane sont des centres importants de négoce, où l'on pratique le commerce de l'or et du sel. La communauté juive marocaine connaît, aux Ve et VIe siècles sous les Vandales et les Byzantins, des périodes de répit et d'oppression. L'islamisation du Maroc qui se fera progressivement à partir du VIIe siècle soumet les Juifs à la dhimma dès la première dynastie musulmane en 788. Depuis cette date, entre âge d'or, humiliation, ségrégation, privilèges… la situation des Juifs au Maroc n'est absolument pas le long fleuve tranquille que veulent bien proclamer les thuriféraires de la «tolérance». D'ailleurs le mot seul n'en dit-il pas suffisamment long ? Les derniers massacres de Juifs, lors du protectorat français en 1912, sont commis alors que l'insurrection éclate. Ils viennent conclure une fin de siècle (le 19è) tragique avec les émeutes de Sefrou qui font plus de quarante victimes juives, le mellah de Mogador est pillé, les Juifs de Fès, Meknès et Marrakech sont persécutés… Le sionisme marocain Certains historiens font remonter le sionisme marocain au… décret Crémieux qui octroie la nationalité française aux Juifs d'Algérie puis par extension aux Juifs marocains. Dès lors, toujours selon certains historiens, la «cassure» entre Musulmans et Juifs est corroborée par la différenciation administrative. L'Alliance israélite continue le processus de francisation des Juifs. Des mouvements sionistes se développent et organisent une conférence à Casablanca en 1930. En 1939, des centaines de Juifs s'engagent dans l'armée française. Sous Vichy, le Statut des Juifs est voté en 1940 mais son application reste modérée grâce au Sultan Mohammed V qui protège la communauté et déclare : «Il faudra prévoir vingt étoiles jaunes supplémentaires pour moi et ma famille». Dès la proclamation de l'Etat d'Israël en 1948, un climat de tension s'installe. A Oujda, des incidents sanglants ont lieu et la ville devient la plaque tournante d'un mouvement d'alyah clandestine. En 1949, plus de huit mille personnes partent en Israël. Lors de l'indépendance du Maroc en 1956, les Juifs occupent des postes importants dans le gouvernement et l'administration marocains. Mais les difficultés intérieures, la méfiance vis-à-vis des Juifs qui soutiennent Israël et l'instabilité politique, poussent les Juifs à quitter le Maroc pour la France, Israël, le Canada et les Etats- Unis. En 1977, il ne reste plus que vingt-cinq mille Juifs. La aliah des Juifs du Maroc On peut situer le debut du mouvement sioniste au Maroc dans les années 1900. Dès cette époque, des rabbins prirent contact avec Herzl pour rejoindre le mouvement. Lors du 5ème congrès sioniste en 1921, il fut annoncé la création de succursales de l'organisation sioniste au Maroc. Il s'agissait d'une simple participation passive, d'autant que les débats étaient en Yddish ou en Allemand ! D'autre part, les organisations sionistes européennes voyaient d'un mauvais œil le sionisme trop religieux des organisations d'Afrique du Nord. Jonathan Thurtz fut envoyé au Maroc et fonda en 1926 le journal de la communauté du Maroc : l'Avenir Illustré. Ce journal fut distribué dans tout le Maroc, et servit de lien entre la communauté juive, les mouvements sionistes dans le monde et la Palestine. Les contacts entre le judaïsme marocain et le mouvement sioniste furent complètement coupés suite au déclenchement de la seconde guerre mondiale. Ce n'est qu'après le débarquement des alliés que des liens se renouèrent et que la Aliah des juifs du Maroc commença à être plus importante. 1948-1956 Aliah autorisée Durant cette période 92 000 juifs quittèrent le Maroc pour Israël. Suite à la création de l'état d'Israël en 1948, le gouvernement du protectorat francais au Maroc autorisa l'immigration des juifs marocains vers Israël, limitée par des quotas. Il fut stipulé que l'agence juive était autorisée à agir uniquement sous le couvert de l'organisation «Kadima» , organisation caritative qui existait déjà sur place. En mai 1949, l'agence juive ouvrit un bureau «Kadima» à Casablanca et un camp de transit à 26 kilomètres de là, près de Mazagan. Ce camp, dirigé par Amos Revel, avait une capacité de 1500 personnes et permettait le séjour temporaire des volontaires avant leur départ pour Marseille, vers le camp d'Arénas, puis Israël. D'autres bureaux virent le jour à Fès et Marrakech. L'indépendance du Maroc le 3 Mars 1956 marqua la fin de la Aliah officielle des Juifs du Maroc. En mai 1956, sous la pression de l'Istiqlal à l'intérieur du pays et de Nasser qui était son allié, le roi Mohamed V ordonna la fermeture des bureaux de Kadima et l'évacuation vers Marseille des personnes encore dans le camp de transit. En quelques jours, 9000 personnes arrivèrent à Mazagan. Les conditions sanitaires y furent vite insoutenables, manque d'hygiène et de nourriture, plusieurs tombèrent malades et certains moururent. Les autorités bloquèrent les issues afin que personne ne rentre ni ne sorte du camp. Après de nombreuses négociations, le gouvernement autorisa le départ de 6 300 personnes vers Marseille. Dans les faits 12 600 Juifs arrivèrent à prendre la fuite. Le camp fut définitivement fermé le 29 octobre 1956. A partir de cette date, plus aucun passeport ne fut donné, à aucun Juif, quelle que soit la destination souhaitée. Ce fut le début de la Aliah clandestine. 1956-1961 Aliah clandestine Durant cette période, 30 000 juifs quittèrent le Maroc pour Israël, car avec le déclenchement de la lutte pour l'indépendance du Maroc, se posa en Israël la question de la sécurité des Juifs au Maroc. En Juillet 1954, le Mossad, en collaboration avec le Département de l'immigration de l'Agence Juive (DEJJ), décida d'établir une mission au Maroc sous le nom d'organisation juive d'autodéfense. Le réseau clandestin commença à se mettre en place au Maroc en été 1955, sous le nom de Misgueret. Le premier responsable du réseau pour le Maghreb fut Shlomo Havilo. La Misgueret se divisait en 5 branches : la défense (protection du réseau et de la communauté juive) , le renseignement, l'arrière (relations entre les autorités locales et les institutions juives) «ballet» (inscription des émigrants) «chorale» (évacuation des émigrants). Les responsables de branches étaient Israëliens. Le recrutement des cadres et des membres du réseau se faisait au sein des mouvements de jeunesse déjà implantés sur place, mais obligés de rentrer en clandestinité. Le DEJJ eut un rôle très particulier : n'étant pas un mouvement sioniste, ses activités étaient moins surveillées ; ce qui permit à ses membres d'avoir de grandes responsabilités en prenant moins de risques. Les premières communautés à partir, furent les Juifs des montagnes de l'Atlas. C'étaient des communautés isolées, plus menacées dans les moments de tensions. Les familles étaient conduites en autobus, camions ou voitures vers Tanger. De là, elles obtenaient un laissez-passer espagnol ou britannique et étaient acheminées en bateau vers Gibraltar ou Algésiras. En juillet 1957 les frontières furent fermées aux Juifs, le passage clandestin s'organisa par Ceuta et Mellilia avec la complicité secrète du gouvernement espagnol. A partir de 1958 , à cause des arrestations de plus en plus nombreuses et de la dégradation des relations entre l'Espagne et le Maroc, Shlomo Havilio mit en place le transport des émigrants au moyen de barques de pêcheurs appartenant à des contrebandiers. En 1959, les relations postales entre le Maroc et Israël furent interrompues. Les juifs du Maroc se sentirent prisonniers du pays, à la merci de n'importe qui pouvant les accuser de sionisme et les envoyer en prison. Fin 1959, Isser Harel décida de mettre en place un laboratoire de faux passeports à Casablanca. Début 1960 un service de poste parallèle, s'organisa via la France Face aux difficultés croissantes, les tensions montèrent entre Isser Harel et Shlomo Havilio. Ce dernier fut limogé et remplacé par Ephraim Rouelle. Alex Gatmon, nouveau responsable de la Misgueret au Maroc prit ses fonctions en décembre 1960. A partir de l'été 1960, une ancienne vedette de la Royal Air Force fut louée par la Misgueret afin de ne plus dépendre de contrebandiers. Il fut baptisé Egoz . Mais le 11 janvier 1961 le bateau coula près des côtes d'Al Hoceima. Cet évènement, en dévoilant au monde le secret de l'exode des Juifs marocains, souleva une émotion considérable, mais suscita la colère des autorités marocaines. Une campagne d'affichage de tracts de la Misgueret demandant aux Juifs du Maroc de respecter une minute de silence à la mémoire des disparus, appelée opération Bazak, envenima la situation. De nombreuses personnes furent arrêtées et les activités de la Misgueret quasiment stoppées. Le 26 Février 1961, le roi Mohamed V mourut et son fils Hassan II accéda au trône. Les négociations reprirent sur de nouvelles bases avec le nouveau roi. Après de difficiles tractations, un accord fut établi, sous condition que les juifs partent pour toutes destinations autres qu'Israël dans le cadre d'organisations non sionistes, que les départs s'effectuent discrètement et surtout qu'une indemnité financière soit versée. Israël accepta le contrat et un montant de 50 dollars fut fixé pour chaque personne. Certains parlèrent de centaines de milliers de dollars payés par Israël… Durant cette période 80 000 juifs quittèrent le Maroc pour Israël. L'accord officieux entre Israël et le roi du Maroc marqua le début de l'opération Yakhin. Fin septembre 1961, les Juifs commencèrent à recevoir les passeports qu'ils attendaient depuis des années.Le Mossad décida que la Hias servirait de couverture pour la aliah des Juifs vers Israël. Cette association (Hebrew Immigration associated service) était une association humanitaire établie à New-York dont les bureaux au Maroc avaient fermé en 1956. Raphaël Spanien fut nommé à la tête de la Haias pour cette mission. Mohamed Oufkir (responsable du service de la sureté à l'époque) et le réseau mirent en place le principe de passeports collectifs pour faciliter les procédures administratives. Cette idée avait germé la première fois lors de l'été 1961, alors que l'émigration vers Israël était totalement paralysée. 27 Novembre 1961, Oufkir signa le premier passeport collectif. Le 28 Novembre 1961 le premier convoi partait vers Israël. Les voyages s'organisèrent de nuit, par avion ou bateau. Les émigrants étaient acheminés vers le camp de transit Arenas près de Marseille, puis un autre bateau les emmenait vers Israël. C'est en effet dès le début des années 60, que les autorités marocaines et les services secrets israéliens tissent des liens très étroits. Sous l'impulsion des stratèges occidentaux qui s'inquiétaient sur le plan des équilibres démographiques vis-à-vis des populations arabes de la Palestine, le jeune Etat hébreu conscient de son avenir sur le plan démographique, s'est empressé de conclure un accord avec les autorités marocaines. Cet accord est négocié par un collaborateur d'Oufkir ; en échange, les puissances occidentales offriraient leur soutien contre le panarabisme et les idéologies progressistes très ferventes à l'époque et hostiles aux régimes monarchiques des pays arabes. Quant au choix de l'organisation de cette émigration massive et clandestine à partir des côtes rifaines, il s'explique par deux raisons : - La situation géographique exceptionnelle de la région avec son relief difficile et ses multiples criques à l'abri des regards, - Le fait que la région était à l'époque «bien quadrillée» par l'armée marocaine,et donc à l'écart des yeux de la population ... A la fin de l'année 1964 il ne restait plus au Maroc que 90 000 juifs. La plupart des familles isolées avaient émigré en Israël ou avaient rejoint les grandes agglomérations.