Bilan du parcours chaotique du nouveau président américain lors des deux premiers mois de son mandat. D eux mois après son investiture, Barack Obama peut déjà se féliciter d'avoir accompli plusieurs choses avec succès. Il a promulgué un plan de relance de 787 milliards $ (le plus important de l'histoire américaine) et a annoncé un programme ambitieux de réforme du système de santé et de l'éducation, tout en soutenant des projets d'énergie verte. Il a également ravi ses partisans dans le pays et à l'étranger en commençant à renverser la politique de George Bush relative, par exemple, au dialogue avec l'Iran ou au réchauffement climatique… Malheureusement, les détracteurs d'Obama peuvent aussi pointer du doigt un nombre surprenant d'échecs. Plusieurs personnes qu'il avait nommées à de hautes fonctions n'ont pas su relever le défi. Le plus haut poste du Trésor reste vacant au beau milieu de la pire récession depuis les années 1930. Warren Buffett, partisan d'Obama de la première heure, estime que le président a perdu son objectif de vue. Andy Grove, ex-président d'Intel, qualifie les performances du gouvernement d'« inefficaces ». Il semblerait donc que tout le monde commence à s'impatienter. En effet, pour ne prendre que son budget, celui-ci repose sur des hypothèses peu réalistes de croissance économique et de coût de ses programmes de dépenses. Mais les résultats irréguliers d'Obama sont en partie dus au contexte mondial en montagnes russes dans lequel il se trouve. Peu de présidents sont arrivés au pouvoir avec autant de capital politique. Obama a battu John McCain de sept points. Son parti détient une majorité de 39 sièges à la Chambre des députés et de 10 au Sénat. Mais son élection a représenté un tournant dans l'histoire raciale délicate des Etats-Unis. Elle a coïncidé avec la fin d'une ère conservatrice qui a commencé avec l'élection de Ronald Reagan en 1980. Par ailleurs, Obama doit relever une série exceptionnellement difficile de défis. L'Amérique est prisonnière d'une récession qui touche les emplois et réduit la demande à une allure inquiétante. Plusieurs des institutions financières américaines ont fait faillite. General Motors est sur le point de s'effondrer. Le taux de chômage, qui s'élève déjà à 8,1 %, pourrait bientôt passer à deux chiffres. Le système politique n'a jamais été aussi troublé. Tout ceci fait que les deux premiers mois de présidence d'Obama sont difficiles à évaluer. Mais quelques éléments semblent pourtant clairs. Nous avons affaire à un président particulièrement ambitieux : il désire innover, mais pas seulement dans le sens où il est le premier président noir. Jusqu'à maintenant, son mandat a été vicié par une combinaison d'incompétence et de volonté d'avoir recours aux mêmes tactiques qu'il dénonçait en tant que candidat. En effet, son désir d'innovation contribue probablement à ses problèmes actuels, en détournant son attention de la crise économique. Obama a annoncé un programme qui n'a jamais été aussi ambitieux depuis la révolution Reagan : mettre en place un système de santé universel, étendre le rôle du gouvernement fédéral en matière d'éducation, s'attaquer au réchauffement climatique et réduire les inégalités. Alors Obama est-il un libéral sclérosé, un Ronald Reagan de gauche ? Ou bien est-il un Nouveau Démocrate, comme il le clame lui-même ? La réponse est probablement un mélange des deux. Obama est un libéral pragmatique, plus confiant dans le gouvernement central que les Nouveaux Démocrates de Bill Clinton, mais moins attaché à des solutions libérales que de nombreux vieux lions de son parti. Obama envisage à coup sûr d'augmenter les impôts pour les riches, mais pas plus que Clinton l'a fait pendant son mandat. Obama veut réformer le secteur de la santé. Mais il préfère développer le privé plutôt que de le remplacer par un service de santé national à payeur unique. Il désire augmenter le rôle du gouvernement fédéral en matière d'éducation. Mais il parle avec éloquence d'introduire plus de paiements au mérite des professeurs et de créer des charter schools (écoles indépendantes et autonomes). La nervosité du gouvernement vis-à-vis de ce libéralisme dépassé contribue à son hésitation dans la gestion de la crise bancaire. Plutôt que de « nationaliser » les banques les plus faibles et de reprendre leur mauvaise dette, il a préféré créer un système élaboré de mesures incitatives destinées aux investisseurs privés. Si sa politique nationale est un mélange de pragmatisme et d'ambition libérale, sa politique étrangère est un mélange de pragmatisme et de prudence libérale. Sa politique se caractérise aussi par une combinaison de réalisme et de prudence. De réalisme dans son attitude envers les autres puissances : il a signalé à la Chine qu'il ne ferait pas d'histoires concernant les droits humains, et aux dirigeants arabes qu'il adopterait une approche plus mesurée vis-à-vis du Moyen-Orient. Et de prudence s'agissant de mettre un terme à « la guerre contre la terreur » : il est revenu sur sa promesse de retirer les troupes américaines d'Irak en 16 mois, renforce la présence militaire des USA en Afghanistan et multiplie les frappes au Pakistan. La plus grande surprise des deux premiers mois d'Obama n'est pas ses priorités politiques, mais un certain manque de compétence. Il a perdu un nombre remarquable de candidats désignés aux hautes fonctions, comme par exemple, deux secrétaires au commerce potentiels, Bill Richardson et Judd Gregg. Ces affaires ont obscurci les revendications de son gouvernement pour une pureté éthique, notamment parce que deux des candidats, Daschle et Killefer, avaient des problèmes avec les impôts. Mais cela a aussi contribué au chaos ambiant. Le gouvernement Obama a commis une longue liste d'erreurs. Gordon Brown, le Premier ministre britannique, devrait être un des alliés les plus proches d'Obama dans la gestion de la crise financière mondiale, pour des raisons aussi bien idéologiques qu'historiques. Mais le président américain s'y est mal pris lors de sa réunion avec Brown, lui accordant pas plus d'une demi-heure. Le meeting du G20 à Londres est le premier sommet des grands pays industriels depuis l'investiture d'Obama. Mais les préparatifs du gouvernement ont été superficiels. La plupart des erreurs qu'Obama commet proviennent d'une seule et même erreur de calcul stratégique : il veut en faire trop et trop rapidement. Cette crise financière est capable de venir à bout de tout gouvernement, sans parler de ceux dont les postes clés restent vacants. Mais Obama a choisi ce moment pour régler une série de problèmes (santé, environnement) qui ont fait échouer des gouvernements bien moins surchargés. Aussi frappant que le contraste entre l'ambition sans bornes d'Obama et son incompétence fréquente puisse être, le contraste entre sa promesse d'élever la politique et sa volonté de poursuivre la politique comme d'habitude l'est tout autant. Tous les présidents se portent candidats en promettant de changer Washington et finissent par en devenir ses prisonniers. Mais peu sont parvenus à cet état de fait aussi vite qu'Obama. Prenons le bipartisme. Chez Obama, le bipartisme ressemble plus à celui de George Bush : il est heureux que ses opposants prennent ses responsabilités à sa place. Lors de la campagne électorale, Obama était souvent lent à réagir aux crises. Puis, juste lorsque ses partisans commençaient à désespérer et ses opposants à vouloir profiter de la faille, il se ressaisissait et était à la hauteur de la situation. Obama a mis du temps avant de saisir toute la mesure de la présidence. Il n'est pas parvenu à établir des priorités fermes et a trop souvent laissé les événements dicter son programme. L'un dans l'autre, ses résultats semblent chancelants. Mais au moins, cette semaine, lorsqu'il a annoncé son plan de sauvetage des banques, il a semblé qu'il commençait à faire ce qu'il a fait si souvent pendant sa campagne : être à la hauteur de l'immense foi qui a été placée en lui.