Les élites parlementaires dans le collimateur Pour maintenir son leadership politique, la monarchie s'appuie sur un système protéiforme de reproduction et de renouvellement des élites parlementaires. Hier, c'était aux notables traditionnels de maintenir le contrôle du jeu politique au parlement. Aujourd'hui, c'est aux islamistes domestiqués du PJD d'en assurer l'équilibre. Chaque système politique forme ses élites suivant ses intérêts et ses moyens. L'objectif demeure le même : maintenir l'équilibre entre les acteurs politiques en jeu. Pour Mosca, le plus grand docteur de l'élitisme, les élites font l'objet d'un renouvellement dynamique. Quant à Pareto, les élites font l'objet d'un remplacement incessant et souvent violent suivant la loi de la “circulation des élites” Pour les théoriciens de la reproduction, en France, les bonnes places se transmettent encore de parents à enfants. Au Maroc, ces schémas semblent tous avoir été testés, avec plus ou moins de succès. Toutefois, quatre configurations-types semblent avoir marqué le processus de formation des élites parlementaires : le fellah politisé, le citadin manipulé, le militant appâté et l'islamiste apprivoisé. Le fellah “politisé” Les premières élections post-coloniales, de mai 1963, avaient favorisé l'émergence des élites parlementaires traditionnelles issues du monde rural : les notables. En effet, les résultats du scrutin ont été dominés par le FDIC (Front de la défense des institutions constitutionnelles), avec 69 élus, regroupant le Mouvement populaire et des ministres et responsables proches du roi, dont le principal catalyseur fût le ministre de l'intérieur Réda Guedira. Résultat, les parlementaires urbains de l'Istiqlal et de l'UNFP étaient piqués au vif puisqu'ils n'ont compté respectivement que 41 et 28 élus. Ce scénario a repris de plus belle lors des législatives du 28 août 1970 qui furent boycottées par les forces politiques principales, telles que l'Istiqlal et l'UNFP. En fait, l'interventionnisme omnipotent du Makhzen dans la régulation du champ politique avait doublé d'ampleur. Surtout avec la mise en place du suffrage indirect, qui favorisait l'injection de parlementaires “ jokers ”, dans le but de maintenir le contrôle politique sur le parlement. Les élections du 28 juillet 1977 avaient consacré, encore une fois, le rôle prépondérant de la monarchie dans la production des élites politiques. Le citadin “manipulé” Cette fois, le pouvoir central avait procédé au renouvellement des élites parlementaires par la cooptation des élites urbaines et urbanisées. Ce fût la naissance d'un nouveau support politique du régime : les indépendants. Parrainés par l'administration centrale, ces derniers se sont même organisés en parti politique (RNI), le rassemblement national des indépendants, après avoir remporté la majorité absolue au parlement ! Ces élites parlementaires “ made in makhzen ” représentaient une force politique de contre-balancement, visant pour l'essentiel à endiguer les ambitions politiques des partis nationalistes. Cette logique de machination politique s'est considérablement renforcée lors des législatives du 14 septembre 1984. A l'époque, le téléguidage du jeu politique était marqué par l'incubation, crescendo, de nouveaux organes politiques, tels que l'Union constitutionnelle (UC) et le Parti national démocratique (PND). Ce dernier avait même remporté les élections législatives, trois ans seulement après son “montage” ! Mieux, à la veille des élections du 14 septembre 1984, les partis de l'administration pouvaient même se permettre d'assurer les relais politiques, à l'image de l'entrée en jeu de Maâti Bouabid au gouvernement après l'essoufflement de Ahmed Osman. Le militant “appâté” Dans les années 90, la reproduction des élites parlementaires avait emprunté une voie plus conciliatrice, dans le sens où elle visait l'implication de l'ex-opposition dans le projet de “l'alternance politique”. Mais, la manipulation des élections, par l'administration centrale, avait débouché sur un parlement truqué et suradministré, dans lequel le “militant politique” s'est trouvé discrédité. Après ce ballon d'essai, le Roi Hassan II s'est dit favorable à une participation politique des élites parlementaires de la Koutla. Pourtant, malgré l'adoption du suffrage universel direct dans l'élection de la chambre des représentants, issue de la réforme constitutionnelle de 1996, les législatives du 17 novembre 1997 n'ont pas été épargnées par la manipulation, à peine dissimulée, de l'administration centrale. D'où la cohabitation hétérogène entre une majorité de militants partisans et un corps de parlementaires administratifs. Bref, les élites parlementaires, issues de l'ex-opposition, étaient devenues un créneau de choix pour la reproduction des élites politiques. Cette tendance a été consacrée par les élections législatives du 27 septembre 2002 qui se sont soldées par la reconduite des élites parlementaires des partis politiques traditionnels, tels que l'USFP et l'Istiqlal. L'islamiste “apprivoisé” Les élections du 27 septembre avaient été marquées par un remaniement de fond dans la stratégie de reproduction des élites parlementaires : la cooptation des islamistes apprivoisés. En effet, les dernières primaires avaient été caractérisées par l'entrée en jeu d'un nouveau relai politique, représenté par le PJD (parti de la justice et du développement). Avec 42 sièges au parlement, ce parti islamiste domestiqué avait un triple objectif : primo, consolider la légitimité religieuse de la monarchie. Secundo, l'institutionnalisation légalo-rationnelle de l'islamisme politique en pleine ascension, et par là-même garantir l'isolement du mouvement Adl Wal Ihssan. Tertio, la réhabilitation de l'opposition politique, qui manque considérablement d'atouts pour contrôler le travail gouvernemental, à l'image de l'UC, apparemment désarçonnée par ses résultats catastrophiques lors du dernier scrutin (14 élus en 2002 au lieu de 83 en 1984) ! Autant dire qu'au Maroc, tous les chemins mènent au parlement. Le fellah y sera, d'ailleurs, toujours représenté : c'est le symbole de la tradition. Le militant des partis traditionnels est en train d'y faire son apprentissage politique : c'est l'emblème du progrès et de la modernité ? L'islamiste “ apprivoisé ” s'y est vu attribuer le rôle d'animateur de l'opposition : c'est le nouveau défenseur du Trône et le garant d'une éventuelle dérive de l'islamisme radical. Les parlementaires du PJD représentent une élite islamiste apprivoisée qui vise un triple objectif : la consolidation de la légitimité religieuse de la monarchie. l'institutionnalisation légalo-rationnelle de l'islamisme politique. la réanimation de l'opposition parlementaire en pleine confusion.