Au point GPS 31°17 10N 04° 16 52W, au sortir de Rissani en direction de Zagora, à trois petits kilomètres quand on part du Mausolée Moulay Ali Chérif, on parcourt plus de quinze siècles d'histoire marocaine. Fondée en 757, à l'époque du règne de Pépin le Bref, c'est la plus ancienne des villes du Sud, au-delà de cette zone occupée par les Phéniciens puis les Romains, et qui s'arrêtait à peu près au niveau de Meknès. Comme la plupart des grandes villes du Sud, elle fut fondée comme la capitale d'un mouvement à la fois religieux et politique, les kharijites. Pour faire simple, les kharijites étaient des ascètes, des puritains, dont le courant était né à l'époque de l'éclatement entre chiites et sunnites. Ils refusaient tout luxe, leurs dirigeants devaient être choisis pour leurs vertus, et se soumettre au même ascétisme. Ils étaient à la fois contre les chiites qui voulaient choisir les dirigeants de l'Islam uniquement dans la famille du Prophète, et contre les sunnites, qu'ils trouvaient bien trop corrompus. En Afrique du Nord, l'ascétisme kharijite correspondait aux structures «démocratiques» des berbères, et se teinta très fortement d'une résistance aux Arabes. Tout le pays berbère fut pendant très longtemps marqué par l'exigence de vertu et de simplicité de ce mouvement, qu'on peut rapprocher des cathares, et les fondements du kharijisme se retrouvèrent ensuite dans beaucoup de mouvements, jusqu'à leur disparition quasi totale. Partis de Kairouan (d'où 2 000 familles s'enfuirent pour venir à Fès et fondèrent notamment la mosquée Quaraouyine), les kharijites fondèrent plusieurs grands centres religieux, dont Sijilmassa. Sijilmassa était donc un centre spirituel, mais surtout un centre commercial. Point de passage des grandes caravanes sahariennes, elle voyait le commerce de l'or, de l'ivoire, du sel avec les azalaï, des esclaves, des produits du Maroc comme le cuir filali. Et, grâce à l'oued Ziz, elle était au centre de l'immense palmeraie du Ziz et de sa richesse agricole. De cette richesse reste l'habitude, rare, pour les femmes de la région, de porter des bijoux d'or. Avec le commerce venaient le cosmopolitisme, les influences diverses, et aussi la puissance économique. Une ville, des ruines` Son pouvoir était tel qu'elle battait sa propre monnaie qu'on retrouvera très loin, de l'autre côté de la Méditerranée, jusqu'en Jordanie. L'histoire du sud du Maroc est un long tissu de rivalités et de batailles. Sijilmassa fut souvent contestée, les sultans des différents royaumes du Maroc cherchaient soit à abattre sa puissance, soit à la confisquer. Fondée par les berbères Zenètes*, une des très grandes tribus nomades, Sijilmassa fut finalement conquise par les Almoravides, qui la détruisent, ce qui permit à Rissani où Moulay Ali Chérif était venu, il y a longtemps, de prendre son essor. Rissani reprend les fonctions de centre commercial, et devient le coffre-fort des Alaouites. Sijilmassa devient alors un tout petit bourg, où vivent encore quelques familles, jusqu'à sa destruction totale, en 1818, par les Aït Atta, une des autres grandes tribus nomades, venue de Mauritanie et non de l'Est, comme les Zénètes. Aujourd'hui, il ne reste de Sijilmassa que quelques ruines, exhumées lors d'une campagne de fouille, d'impressionnants murs de pisé, qui étaient autrefois ceux de la kasbah du calife et de la Grande Mosquée. On peut imaginer un peu la puissance de la ville, en regardant l'épaisseur des murs, et surtout la surface qu'ils entourent, mais l'environnement, en sortie de ville, dépourvu de toute explication, et à proximité d'un terrain militaire de sport, n'aide pas l'imagination. Le site, aujourd'hui oublié, ne fait pas honneur à l'activité des archéologues suisses, marocains et américains qui y ont travaillé depuis les années 70… n * Les Zénètes Kharijites sont aujourd'hui encore maîtres à Ghardaïa et dans le Mzab