L'Asie fait de plus en plus d'ombre à l'Amérique dans le domaine de la recherche. Pour avoir un aperçu géographique du secteur mondial de la technologie, il suffit de disséquer un iPhone d'Apple. Bien que le groupe qui le commercialise soit américain, il ne fabrique aucun des composants de l'appareil. Pratiquement tous sont asiatiques : l'écran vient du Japon, la carte mémoire est fabriquée en Corée du Sud et le téléphone est assemblé en Chine. La contribution d'Apple se limite au design et au logiciel et, chose importante, à intégrer les innovations des autres. Mais c'est tout le secteur de la technologie qui suit en fait le modèle de l'iPhone. Les plus grandes sociétés, et aussi les plus à la pointe de la technologie, sont américaines et européennes, mais des compagnies asiatiques commencent à défier leur suprématie dans la recherche, l'innovation et la production. Un rapport récent de l'OCDE publie les chiffres incontestables de l'étendue de ce phénomène. Chaque année, un budget global d'environ 1 billion $ est dépensé dans la recherche et le développement (R&D) en informatique, en télécommunications et en électronique ; le budget des Etats-Unis représente plus d'un tiers de cette somme. Mais tandis que le secteur de la R&D s'est développé de 1 à 2 % entre 2001 et 2006, il a augmenté de 23 % en Chine. La Chine est sur le point de dépasser le Japon en termes de dépenses consacrées à la recherche, alors qu'elles étaient quasiment nulles il y a encore dix ans. Proportionnellement au PIB, les dépenses consacrées à la recherche et au développement en Chine sont comparables à celles de l'Union européenne (environ 1 %). Les chiffres fournis pas l'OCDE indiquent que Taïwan compte désormais plus de chercheurs en haute technologie que la Grande-Bretagne. Une liste des 250 plus grandes firmes technologiques au monde montre que les sociétés taïwanaises consacrent un budget plus important dans la R&D que les Britanniques ou les Canadiennes. Cela dit, les métiers en eux-mêmes sont différents : les Taïwanais réalisent généralement des travaux inférieurs, tels que la fabrication de semi-conducteurs. Les tâches plus sophistiquées, telles que la conception d'un circuit de puce, sont encore effectuées pour la majorité en Occident. Mais l'essor le plus impressionnant a eu lieu en Corée du Sud. En 2007, Samsung a dépensé plus en R&D qu'IBM. Le groupe a atteint la seconde place (juste derrière IBM) en termes de nombre de brevets octroyés par l'institut américain de la propriété industrielle ; dix ans plus tôt, Samsung n'apparaissait même pas dans les dix premiers. Les sociétés sud-coréennes dépensent plus en R&D par rapport à leur volume des ventes (6,5 %) que les entreprises européennes et japonaises (aux alentours de 5 %), et rattrapent rapidement les Américaines (environ 8 %). La Corée du Sud compte désormais plus de chercheurs en haute technologie que la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Ces chiffres mettent en évidence une certaine rivalité en la « nouvelle Asie » et l'« ancienne Asie», selon Sacha Wunsch-Vincent, un des auteurs du rapport de l'OCDE. Les leaders traditionnels dans le domaine, le Japon et Taïwan, sont concurrencés par la Chine, l'Inde et la Corée du Sud. Le budget de la R&D par rapport aux ventes chez les sociétés leaders dans la technologie aux USA, en Europe et au Japon est soit resté stable, soit a chuté entre 2002 et 2006, tandis qu'il augmentait dans les trois « nouveaux » pays asiatiques. Les changements les plus spectaculaires ont eu lieu dans les services informatiques et dans la fabrication, là où les rôles de l'Amérique et de l'Asie de l'Est divergent radicalement. Le budget que les entreprises américaines consacrent à la recherche en services informatiques a triplé ces dix dernières années. Les sociétés japonaises et sud-coréennes, pendant ce temps, ne dépensent quasiment rien dans le développement des services et préfèrent se concentrer sur du matériel plus tangible, sinon moins lucratif. Concernant le matériel informatique et les équipements de bureau, tels que les machines à photocopier, les Etats-Unis et le Japon ont enregistré une chute d'un tiers entre 1996 et 2005, tandis que le Japon a doublé son activité dans le domaine qui représente un budget de 13 milliards $, montant autrefois dépensé par les USA. (L'Inde, quant à elle, se concentre plus sur les services, en partie parce que sa bureaucratie pesante lui permet plus facilement de manipuler des octets que des atomes). Même la topologie d'Internet semble de moins en moins américaine. En 1999, environ 90 % du trafic Internet asiatique passait par l'Amérique ; en 2008, cette proportion est passée à 54 %, selon TeleGeography, une société d'études en télécommunications. Voici encore un exemple de la façon dont le secteur de la technologie, autrefois dominé par l'Amérique, est en passe de devenir véritablement mondial. ■