Compétents, dotés d'une solide formation, ils sont aux postes les plus importants. Le problème n'est pas en eux, mais en l'absence de l'égalité des chances, l'ascenseur social est complètement en panne. L'indépendance proclamée, les besoins du Maroc en encadrement étaient immenses. Pendant longtemps d'ailleurs, on a eu besoin d'Etrangers pour combler le vide, en attendant la formation de nationaux. L'école devint le sésame de la promotion sociale, l'assurance d'un avenir meilleur, l'espoir d'une égalité des chances. Et cela a fonctionné. Dès le milieu des années 60, des fils du peuple ont pu accéder aux plus hautes fonctions, en remplacement des notables hérités de l'ère coloniale. Ce mouvement s'accélèrera lors des années 70-80. De purs produits de l'école Marocaine, ont pu faire des études très poussées et revenir au pays avec l'envie de servir. Ceux d'entre eux qui le désiraient ont pu arriver aux commandes. Fils de cordonnier, de cycliste, d'épicier ou de petit fellah, grâce à leur formation, ils sont devenus, patron d'entreprise publique, ministre, Premier ministre, diplomate. L'apogée de ce mouvement, nous l'avons enregistré au début des années 90 avec l'arrivée des technocrates, dont le gouvernement avait été appelé «le All-Stars». Nous étions en fait devant une fin de cycle et non le début d'un phénomène. L'ascenseur bloqué Plus on avance dans les générations, moins l'égalité des chances fonctionne. La seule cause possible, quasi-évidente, a trait à l'école. Celle-ci ne fonctionne plus comme un creuset d'intégration, un facteur d'égalité des chances. Le calcul est très simple, suivons les cursus de ceux qui arrivent des formations dans les écoles supérieures les plus huppées et qui forment l'élite de demain. Car ne nous voilons pas la face, les écoles Marocaines ne tiennent pas la distance et les formations étrangères, genre polytechnique, centrale, HEC, EML, ouvriront toujours plus facilement les portes, parce qu'elles sont réellement meilleures. Le Maroc a une chance énorme. Chaque année, ils sont plus d'une centaine à réussir le concours d'entrée des dix écoles les plus huppées de France, et autant à intégrer les universités anglo-saxonnes les plus prestigieuses. L'Etat n'y est pour rien, ou pour si peu. Ce sont les parents qui font l'effort. Or, sur le plan financier, le petit peuple n'a aucune possibilité de suivre. Les écoles, devenues payantes, le niveau de vie élevé, l'absence de possibilité de petits jobs, le ridicule de la bourse accordée, et rarement, par le gouvernement, rendent chimérique l'accès d'un fils de vendeur ambulant à Polytechnique ou sciences-po. Un étudiant de ce niveau a besoin, au bas mot de vingt mille euros par année scolaire. Cela élimine les couches les plus défavorisées. Les classes moyennes font l'effort aux dépens d'autres nécessités: le logement, les voyages, la consommation. Ce qui se passe au supérieur est préparé dès la maternelle. Tous les Marocains, qui en ont les moyens, préfèrent mettre leur progéniture dans le circuit privé, sans assurance de qualité par ailleurs. Même la mixité sociale n'est plus assurée par l'école, ce qui est porteur de dangers réels pour la cohésion, fortifie les germes des haines nées de la frustration et crée des générations sans socle commun. La division canal plus, Al Jazeera est une réalité, et c'est notre système éducatif qui la prépare. L'espoir de la réforme Dans ces conditions, il est normal que les nouvelles élites soient la reproduction des anciennes, à quelques exceptions près. Les «fils de» aux commandes et ceux qui arrivent ne sont pas le fruit d'un népotisme pensé, voulu, choisi comme mode de fonctionnement d'un régime. Seuls quelques gauchistes nostalgiques osent l'affirmer. La réalité est à la fois plus complexe, parce qu'elle découle de tout ce qui fait notre sous-développement, et plus simple, parce que l'on sait que c'est l'école qui ne fonctionne pas. Les «ould foulane» sont des Marocains, qui ont le droit d'aspirer à servir leurs pays. Nous ne sommes pas dans le cas de figure de bac moins cinq, qui accède à des responsabilités par la volonté du prince. Cela, contrairement à d'autres cieux, n'existe plus au Maroc. Ce sont des gens avec des formations pointues, une compétence avérée, et jusqu'ici leur intégrité morale individuelle n'a jamais été mise en cause. Même dans un système compétitif, égalitaire, ils auraient eu leur chance, peut-être pas collectivement, mais individuellement. Il n'est pas question ici de leur jeter la pierre, mais juste de constater, que la mobilité sociale est lourdement entravée et que c'est un danger pour la stabilité du pays, un handicap pour la démocratie, un aveu d'échec du projet social post-indépendance. Aujourd'hui, la réforme de l'enseignement public, le recentrage de l'école sur ses fonctions originelles: lieu de transmission du savoir, d'intégration sociale et creuset de l'égalité des chances, est l'espoir d'une refondation. Il faut remettre l'ascenseur social en marche via l'éducation. Sinon seul l'affairisme, au sens péjoratif du mot, répondra aux aspirations d'émancipation sociale avec les travers qu'on lui connaît. Si l'école n'est plus une voie pour s'élever dans l'échelle sociale, «Tbzniss», les élections le sont. Le mélange nous donne des «Ould Laâroussia» en pagaille. C'est cette sonnette d'alarme qui nous intéresse. P.S : L'une des premières mesures qui paraît aller dans le bon sens, concerne le système de bourses. L'Etat doit trouver les moyens de financer totalement les études supérieures, pointues, des étudiants méritants, c'est coûteux, mais le rapport est garanti, car l'avenir du Maroc c'est la valeur de ces futures élites, mais aussi leur diversité.