À partir des résultats d'une enquête réalisée par l'ALCS, et alors que le prix Nobel de médecine vient d'être attribué aux deux découvreurs français du virus, LGM dresse un état des lieux de la situation au Maroc. Petite piqûre de rappel. Voilà un sujet dont on parle trop peu au Maroc. Car, parler de sida revient à parler de sexualité, et donc de pratiques, de comportements, de réalités qu'on préfère taire ou nier, avec une certaine hypocrisie. D'autres préfèreront minorer le phénomène, s'appuyant sur des chiffres qui font du Maroc un pays où la prévalence du VIH reste à un niveau très faible dans la population générale. Certes. Mais comme le clament les militants associatifs et les professionnels, les chiffres sont trompeurs. En 2005, le ministère de la Santé comptabilisait 1600 malades du sida déclarés. D'après une enquête de l'ALCS (Association de lutte contre le sida), à fin décembre 2007, le chiffre cumulé atteignait 2548 cas. Selon les dernières estimations, le nombre de personnes vivant avec le VIH est passé de 14.500 en 2003 à 22.300 fin 2007. Et selon les projections effectuées au moyen du logiciel «Spectrum», proposé par l'ONUSIDA, la progression du nombre de PVVIH (personnes vivant avec le VIH) devrait continuer. Le nombre des PVVIH atteindrait 30 000 en 2011, avec une moyenne de 2000 nouvelles infections par an. Pour les militants associatifs, dont l'interprétation des chiffres est en décalage par rapport aux chiffres du ministère, «le Maroc est malheureusement à un tournant de l'épidémie. Il faut tirer la sonnette d'alarme». Autre vérité qui dérange : le mode de transmission hétérosexuel est largement prédominant et a augmenté pour atteindre 83% au cours de la période 2001-2007. Par ailleurs, l'incidence des IST (Infections sexuellement transmissibles) reste très élevée, particulièrement chez les femmes. Les services du ministère de la Santé notifient une augmentation régulière du nombre de cas, passé de 376.669 en 2006 à 300.000 en 2005. En effet, c'est surtout la prévalence de l'épidémie auprès des femmes qui inquiète les militants. La part des cas de sida chez la femme, qui ne représentait que 19% entre 1986 et 1990, est passée à 47% entre 2003 et 2007. «La féminisation de la maladie est corrélée à celle de la pauvreté», nous explique Moulay Ahmed Douraidi, coordinateur national de l'ALCS. Car la problématique de l'infection tient à l'interaction de différents facteurs, économiques, sociaux, culturels, et pas seulement comportementaux. La féminisation de l'épidémie «Du fait de son statut social, juridique, culturel inférieur, la femme ne peut pas négocier un rapport sexuel protégé avec un mari qui la trompe», ajoute Moulay Ahmed Douraidi. L'enquête menée par l'ALCS a également détecté la prévalence de la maladie dans certains groupes exposés, et particulièrement chez les prostituées. L'épidémie est particulièrement virulente dans certaines régions, à Agadir notamment. Dans cette région, la prévalence a même dépassé les 5%, limite inférieure pour un niveau d'épidémie concentrée. Malgré des actions de proximité, le travail associatif est rendu difficile par la méfiance et par le comportement peu compréhensif des autorités, qui mènent une politique essentiellement répressive. Néanmoins, le Maroc est l'un des premiers pays à avoir réagi à l'épidémie et figure en tête des initiatives en matière de prévention. «L'Etat nous soutient. Mais nous manquons de moyens pour étendre la prévention à toutes les régions», conclut Moulay Ahmed Douraidi. La situation nécessite la mobilisation de tous les acteurs, et notamment des entreprises privées. «Le sida n'est pas seulement un problème de santé publique, mais aussi de développement», conclut M. Douraidi. A bon entendeur…