La pire des crises financières depuis la Grande dépression est en train de redessiner les frontières entre le gouvernement et les marchés. Vont-ils revenir un jour à leur place originelle ? Après le krach de la Bourse en octobre 1929, il a fallu plus visant à mettre fin à la Grande 1933 par Roosevelt de quatre s'est installée, la production Grande dépression a causé d'énormes dégâts à travers la planète, mais en particulier sur le psychisme de l'Amérique Après elle, les frontières entre ont été redessinées. Le mois an après le début de la crise gouvernement américain est intervenu comme il ne l'avait plus fait depuis les années 1930 dans les marchés financiers. À l'époque, il n'était pas même certain que l'économie fût en récession et le chômage se tenait à 6,1 %. En deux semaines tumultueuses, la Réserve fédérale et le Trésor ont nationalisé les deux géants nationaux du prêt hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac, ont racheté AIG, la plus grande compagnie d'assurance au monde, entre autres mesures spectaculaires. La Fed et le Trésor étaient déterminés à tout faire pour éviter une catastrophe telle que celle qui a précipité la Grande dépression. Malgré les protestations des législateurs, le Congrès et le gouvernement ont finalement accepté le plan. Le paysage de la finance américaine aradicalement changé. La banque d'investissement indépendante est désormais une espèce en voie d'extinction. Lehman Brothers a fait faillite, Bear Stearns et Merrill Lynch ont été engloutis par des banques commerciales, et Goldman Sachs et Morgan Stanley sont elles-mêmes devenues des banques commerciales. Ce «système bancaire de l'ombre», fait de titres de placement sur le marché monétaire, de courtiers en Bourse, de fonds spéculatifs et d'institutions financières non bancaires, qui définissaient la finance américaine déréglementée, se transforme actuellement à la vitesse de la lumière. En un peu plus de trois semaines, le gouvernement américain a, en tout et pour tout, étendu ses dettes de plus d'1 billion $, soit le double du coût de la guerre en Irak. Au-delà de cela, peu de choses sont certaines. Fin septembre, les troubles se sont étendus et intensifiés. Les marchés monétaires se sont immobilisés à travers le monde, tandis que les banques refusent de se prêter des fonds les unes aux autres. Cinq banques européennes se sont déclarées en faillite et les gouvernements européens ont fait tout leur possible pour venir au secours de leurs systèmes bancaires. Mais il est encore trop tôt pour déclarer la crise maîtrisée. La crise trouve son origine dans la plus grande bulle immobilière et de crédit de l'histoire. Les prix de l'immobilier aux Etats-Unis ont, en moyenne, baissé d'un cinquième. De nombreux experts s'attendent à une nouvelle chute de 10 % dans tout le pays, soit un niveau rappelant dangereusement celui de la Grande dépression. Mais, d'autres pays pourraient connaître un sort bien pire. En Grande-Bretagne, par exemple, les foyers sont encore plus endettés qu'aux USA, les prix des maisons ont augmenté plus vite et sont moins descendus jusque-là. Selon ses dernières estimations, le FMI annonce que les pertes liées aux Le Premier ministre italien Silvio Berlusconi commentant la crise financière à sa manière ! dettes ayant leur origine aux Etats-Unis (dûes d'abord aux hypothèques) allaient atteindre 1,4 billion $, soit plus que sa première estimation de 945 milliards $ en avril. Une grande part du monde riche est déjà en récession, en partie en raison de la crise du crédit et en partie à cause de la flambée des prix du pétrole cette année. La production ralentit en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et au Japon. À en juger par l'allure à laquelle le chômage augmente et à la faiblesse des dépenses des consommateurs, l'économie américaine recule elle aussi. La phase descendante qui a suivi les crises bancaires récentes dans les pays riches a duré quatre ans. Cette fois, les sociétés sont en relativement bonne forme, mais les foyers, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ont cumulé des dettes sans précédent. Et parce que les bulles financières se sont formées simultanément dans de nombreux pays, les répercussions pourraient être bien pires. Mais l'histoire nous enseigne une leçon importante: les grosses crises bancaires se résolvent en définitive en injectant de grandes sommes d'argent public et une action anticipée et ferme du gouvernement est capable de minimiser les coûts pour les contribuables et les dégâts sur l'économie. L'un dans l'autre, le gouvernement américain a mis en jeu 7 % de son PIB, une grande somme d'argent, mais qui reste inférieure aux 16 % du PIB qu'une crise bancaire pourrait finalement coûter au portefeuille public. Personne ne sait exactement comment le plan TARP (Troubled Asset Relief Programme) ou plan Paulson va fonctionner. Mais une chose est sûre, c'est que l'administration américaine est prête à agir, de manière ferme. Pour le moment, l'optimisme est donc de mise. Tout comme la force relative des plus grands marchés émergents, en particulier la Chine. Ces économies ne sont pas aussi «découplées» des difficultés du monde riche qu'elles le semblaient auparavant. Leurs places boursières sont en proie aux troubles et de nombreuses monnaies ont chuté fortement. La demande nationale dans une majeure partie des pays émergents ralentit, sans pour autant s'effondrer. Le FMI prévoit que les économies émergentes, menées par la Chine, se développent de 6,9 % en 2008 et de 6,1 % en 2009. Cela peut atténuer le choc pour l'économie mondiale, sans pour autant le sauver de la récession. L'inflation élevée et croissante, accompagnée de la faiblesse du secteur financier, laissent les banques centrales perplexes. Ces dernières pourraient renforcer leur politique monétaire pour empêcher l'inflation de grimper davantage et de se stabiliser à un haut niveau (comme l'a fait la Banque centrale européenne), ou bien elles pourraient réduire leurs taux d'intérêt pour amortir la faiblesse financière (comme l'a fait la Fed). Mais le dilemme n'a presque plus lieu d'être. Grâce à la chute spectaculaire des produits de base, les prix à la consommation semblent avoir atteint leur maximum et le risque d'inflation s'est amoindri, en particulier dans les économies riches, faibles et en difficulté financière. Si le prix du pétrole reste au cours actuel, l'inflation des prix à la consommation aux Etats-Unis pourrait passer en dessous de 1 % d'ici le milieu de l'année prochaine. Plutôt que de se tracasser à propos de l'inflation, les responsables politiques pourraient bientôt avoir à s'inquiéter de la déflation. Le problème est qu'en raison de son large déficit du compte courant, l'Amérique dépend fortement des fonds étrangers. Si les étrangers venaient à fuir le dollar, les USA subiraient le double cauchemar qui hante tout pays englué dans une crise financière : une crise bancaire et une crise monétaire simultanées. Quel sera l'impact de ce fiasco économique mondial sur le long terme ? Prédire les conséquences d'une crise inachevée est un exercice périlleux. Mais il est d'ores et déjà possible de deviner que, même en l'absence de calamité, la direction de la mondialisation prendra une autre tournure. Ces deux dernières décennies, l'intégration de l'économie mondiale a coïncidé avec l'ascension intellectuelle du capitalisme libéral sur le modèle anglo-saxon, avec les Etats-Unis à sa tête. La libéralisation des échanges et des flux de capitaux, ainsi que la déréglementation de l'industrie nationale et de la finance, ont forgé la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd'hui et ont fini par la symboliser. L'intégration mondiale est en grande partie fondée sur la domination des marchés sur les gouvernements. Ce processus est aujourd'hui renversé de trois manières. Premièrement, la finance occidentale sera à nouveau soumise à une réglementation. Jusqu'à quel point ? Cela dépend moins de l'idéologie que de la sévérité de la récession économique. Deuxièmement, l'équilibre entre l'Etat et le marché est en train d'évoluer dans des sphères autres que la finance. Pour beaucoup de pays, ces deux dernières années, une catastrophe d'une plus grande ampleur s'est produite avec l'augmentation des prix des denrées alimentaires. La flambée des prix de l'alimentation à la fin de l'année 2007 et début 2008 ont causé des émeutes dans près de 30 pays. En réponse, certains gouvernements du monde émergent ont étendu leur portée, augmenté les subventions, immobilisé les prix, interdit les exportations de produits clés… Troisièmement, l'Amérique perd de son prestige économique et son autorité intellectuelle. Tandis que les économies émergentes refaçonnent le commerce mondial, elles feront bientôt de même avec la finance. La grande question est de savoir quelles leçons les étudiants émergents (et les professeurs disgraciés) devraient tirer des événements récents. Jusqu'à quel point la balance entre les gouvernements et les marchés peut-elle pencher ? La réponse que cet article voudrait apporter est que, bien qu'un certain rééquilibrage soit nécessaire, en particulier en matière de réglementation financière, il serait une erreur de rejeter l'entière responsabilité de la crise actuelle sur la finance moderne et le «fondamentalisme du marché libre». ■