Le dernier livre d'Abdelhamid El Ouali est intéressant à plus d'un titre : en partant d'une analyse du phénomène de la mondialisation et de ses conséquences sur le rôle de l'Etat, l'auteur en arrive à proposer une nouvelle forme de relation qui régirait les démocraties. Il propose le concept d'autonomie asymétrique, qui pourrait selon lui s'appliquer à la question du Sahara. Entretien. La Gazette du Maroc : Pouvez-vous nous résumer et nous expliquer la thèse de votre dernier ouvrage Autonomie au Sahara, Prélude au Maghreb des régions ? Abdelhamid El Ouali : Il y a une nouvelle donne qui vient d'un certain nombre de facteurs que j'analyse. Du fait de la mondialisation, du fait de l'échec de beaucoup de pays du tiers-monde à construire un Etat-nation, l'Etat est de moins en moins capable de diriger, comme il le faisait auparavant. Il y a une crise, et une forme d'ethnicité est en train d'apparaître. Nous sommes en train de passer de l'Etat moderne à un Etat post-moderne. Comment définiriez-vous ce passage d'une forme de l'Etat à une autre ? L'Etat moderne, c'est l'Etat centralisateur et intégrateur; or, aujourd'hui, l'Etat a de moins en moins la capacité à intégrer les autres, ce qui fait qu'on assiste à un effilochement de l'Etat. Celui-ci est obligé de partager son pouvoir avec les communautés locales. D'où l'idée centrale : le renouvellement de l'Etat, qu'on appelle en termes de spécialistes l'Etat post-moderne. Quelles en sont les caractéristiques ? C'est un Etat qui est obligé de discuter sur le plan national et international, et qui doit déléguer son pouvoir à des communautés qui réclament un statut; et il le fait par le biais de ce qu'on appelle l'autonomie territoriale. Quelles sont les conséquences de votre approche sur la question du Sahara ? Justement, c'est très important. Le Maroc a compris dans quelle direction allaient les choses ; c'est la direction que je viens de décrire. Toutes les approches sur l'autodétermination de l'affaire du Sahara ont échoué. Aujourd'hui, la communauté internationale s'est rendue compte qu'il est impossible d'appliquer ce droit à l'autodétermination. On ne peut pas demander à un Etat de faire ce qu'il ne peut pas faire. A l'idée d'une autodétermination, il faut donc substituer selon vous l'idée d'une autonomie ? Je pense que oui. Aujourd'hui, dans les négociations de Manhassett, il n'y a plus de dialogue, il n'y a pas de concessions de la part de l'adversaire. Le Maroc, lui, a fait une grande concession en acceptant l'idée d'autonomie. J'entendais hier encore à la télévision le Président de la Chambre des représentants, dire qu'il faut y aller de l'avant avec cette idée d'autonomie, et un certain nombre de gens le pensent dans ce pays. Justement ; venons-en à l'idée que vous vous faites de cette autonomie du Sahara. Comment la voyez-vous ? Je pense qu'en matière d'autonomie, il y a deux formules. Il y a l'autonomie symétrique et l'autonomie asymétrique. La première est appliquée par l'Etat à toutes les régions. La seconde forme d'autonomie, l'asymétrique, signifie que l'Etat l'applique à une région déterminée. La première solution est celle que préfèrent les Etats, car elle leur permet d'intégrer toutes les communautés d'un pays. Moi, ce que je recommanderais pour l'affaire du Sahara, c'est de faire les deux ; mais selon un calendrier qui s'étale sur une dizaine d'années. Ceci, bien entendu, au cas où les négociations n'aboutissent pas, car si elles aboutissent, il faut être correct et conséquent avec soi-même, dans ce cas il faudrait tout simplement appliquer l'initiative marocaine. Ce que vous préconisez donc, c'est dans le cas d'un échec des négociations ? Oui, En cas d'échec définitif, que faire ? Certains disent qu'il faut appliquer tout de suite l'autonomie au Sahara. Moi, ce que je recommande, c'est qu'il y ait un calendrier avec différentes phases. Je ne serais pas d'accord pour appliquer immédiatement ce qui est contenu dans l'initiative marocaine, c'est trop fort. Vous penchez plutôt pour un processus progressif ? On va aller dans deux directions : pour toutes les régions du Maroc, l'application d'un système symétrique : on prend le même régime d'autonomie et on l'applique à toutes les régions du royaume. Mais on appliquera ce système de façon allégé, car l'autonomie est un phénomène très complexe ; c'est une institution consensuelle, mais qui peut finir par devenir conflictuelle. C'est pour cela qu'il faut des phases qu'on applique de façon progressive. Une sorte de régionalisation développée et qui évolue sur la durée. Et puis, il y a le système asymétrique, spécifique au Sahara. Ce système doit certes être développé, mais moins développé que celui qui est présenté dans l'initiative marocaine. Ce système asymétrique doit évoluer selon un calendrier, de façon progressive, en dialoguant avec les communautés locales concernées. (*) Professeur à la faculté de droit de Casablanca, auteur de l'ouvrage récemment paru Autonomie au Sahara, Prélude au Maghreb des régions.