Dans un extrait du Maroc de Matisse, on est frappé par l'impact du pays sur le peintre : « Le Maroc, que Matisse considérait comme un paradis terrestre, lui révéla l'intensité de la lumière et lui fit découvrir la plasticité de l'architecture arabo-musulmane. Ceci l'amena à simplifier ses compositions, avec la juxtaposition d'aplats de couleurs chaudes et à ramener la peinture à sa propre surface». Ce livre collectif sur le parcours et le séjour artistique d'Henri Matisse à Tanger est un catalogue de l'exposition organisée à Paris par l'Institut du monde arabe en 1999. «Illustré par les toiles et dessins présentés dans l'exposition, augmenté d'une riche iconographie et rédigé par les spécialistes de l'œuvre de Matisse, le catalogue tente d'expliquer le détail de la quête du peintre à Tanger, ses prolongements et son aboutissement jusque dans ses dernières réalisations». On y découvre plusieurs facettes du peintre, son amour de la simplicité marocaine, son émerveillement devant les couleurs d'une contrée qui n'avait rien de pittoresque, mais qui était bel et bien une terre d'arts et de cultures. Un mélange humain déjà fort des variétés culturelles qui y avaient été mêlées. On sait que Matisse a effectué, au début de l'année 1912 puis durant l'hiver 1912-13, deux séjours à Tanger, un besoin de découvrir ce Maghreb tant décrit par Delacroix. Une nécessité aussi d'aller explorer un monde étranger, une contrée proche, mais dont la culture et le mode de vie sont si éloignés de cette France du début du XX ème siècle. «Vecteur d'un dépaysement total, le Maroc lui inspira directement une vingtaine de toiles, toutes des chefs-d'œuvre, et quelques 65 remarquables dessins exécutés à la plume. Le Maroc, que Matisse considérait comme un paradis terrestre, lui révéla l'intensité de la lumière et lui fit découvrir la plasticité de l'architecture arabo-musulmane. Ceci l'amena à simplifier ses compositions, avec la juxtaposition d'aplats de couleurs chaudes, et à ramener la peinture à sa propre surface. À côté de Marocains représentés dans leur environnement, Matisse peignit également des natures mortes et représenta la médina de Tanger. Les motifs observés et les techniques appréhendées sur place devaient trouver un écho dans ses œuvres ultérieures. Après avoir présenté l'impact du Maroc sur l'œuvre de Delacroix et le renouvellement de l'art européen qu'il entraîna dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'IMA, fidèle à sa mission, poursuit son investigation des liens qui unissent les deux rives de la Méditerranée dans le domaine artistique.» Il est donc question là d'un ouvrage clé pour se rendre compte de la relation du peintre à la ville, ses amours, ses rêves, ses pérégrinations, ses secrets, ses déceptions et ses attentes. Les auteurs : Claude Duthuit, président de la Société des Héritiers Matisse Rémi Labrusse, historien d'art Isabelle Monod-Fontaine, conservateur général du patrimoine, Musée national d'Art moderne, Paris; Pierre Schneider, écrivain, historien d'art ; Albert Kosténévitch, senior curator, département de peinture moderne européenne, Musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg; Claudine Grammont, enseignante à Paris I ; Christine Peltie, professeur d'histoire de l'art, Université Marc Bloch de Strasbourg. Gallimard Coéditeur : l'Institut du monde arabe 1999, 256 p., 45.75 euros «Matisse au Maroc» La quête d'Adam Biro Céline Darner résume bien ce travail très complexe sur Henri Matisse et son séjour marocain. Il est question pour elle comme pour l'auteur de donner une approche humaine du travail d'un peintre à une période charnière de sa carrière. Nous sommes au début du XX ème siècle, le fauvisme était encore là, Adam était sur la route, et le cubisme venait de naître accidentellement après Césanne par un George Braque très inspiré. Les surréalistes aussi avaient déjà entamé quelques balbutiements avant la grande éclosion autour d'Apollinaire. C'est dire que le Matisse qui arrive au Maroc est un homme aux prises avec de nombreuses influences. « Séduit et influencé par une certaine magie, Matisse a toujours entretenu un rapport passionnel avec l'art islamique, comme le révèle cet ouvrage exceptionnel. Une passion née d'un séjour initiatique en Andalousie, renforcée à l'occasion d'une visite de l'exposition internationale d'art musulman à Munich. Quand il s'apprête à partir au Maroc, suivant, quelque 80 ans après, Delacroix, c'est un peintre connu et reconnu, en pleine maturité artistique. Mais, en 1912, ce voyage est l'occasion pour lui d'échapper à ses angoisses, ses insomnies et l'épuisement de son inspiration. Matisse effectue deux voyages au Maroc, entre 1912 et 1913. C'est un enchantement. Au retour, après avoir multiplié dessins et croquis, il couche sur la toile ses impressions sur les jeux de lumière d'une nature luxuriante et harmonieuse, les décors exubérants, la majesté des cavaliers, l'envoûtante beauté des femmes, en une palette chaude, colorée. Pour autant, Matisse n'est pas un peintre orientaliste, comme le rappelle ici Pierre Schneider. Il intègre le vocabulaire décoratif à son travail et le débarrasse de tout pittoresque anecdotique. En témoigne la série des Odalisques, le Paravent mauresque ou la Porte de casbah et les Iris et mimosas, synthèses de deux traditions culturelles, au bout d'un formidable voyage, d'abord intérieur puis vécu, retracé dans cet ouvrage avec force illustrations. »