Comme LGM l'a déjà révélé sur ces mêmes colonnes, il y a de cela quelques semaines, un projet de démolition de la gare Casa port est bel et bien réel. Pourtant, on est face à l'un des joyaux architecturaux de la ville, un pan entier de son patrimoine urbain qui pourrait faire l'objet d'une inscription suivie d'une classification comme monument du patrimoine national. Il sera de fait intouchable. La gare Casa Port pourrait bientôt disparaître et laisser la place à un nouveau building ultramoderne qui n'aurait aucun autre cachet que de faire neuf et nouveau. Est-ce là une démarche teintée de bon sens, quand nous sommes face à un bâtiment mondialement connu et reconnu par de très grands noms de l'architecture comme Jean Nouvel pour être un symbole d'une certaine époque et l'incarnation d'un style et d'une certaine école, autour de figures comme Laprade ou Boyer, entre autres. Le danger d'une prochaine démolition n'est pas une rumeur, mais des études sont déjà en cours pour remplacer la gare qui existe par une autre dans la succession toute naturelle de ce qui se fait dans toutes les gares du pays, de Tanger à Marrakech, en passant par celle d'Assilah ou celle de Mohammedia. C'est une excellente initiative de la part de l'ONCF et du ministère de tutelle, mais le bon sens voudrait aussi que dans chaque projet d'infrastructures, on fasse attention au patrimoine, à sa richesse et surtout à la possibilité de préserver et de protéger ce qui toujours peut l'être. Inutile d'en arriver à des cas extrêmes comme celui de l'hôtel Lincoln du Boulevard Mohamed V à Casablanca ou encore l'immeuble Volvo et le bâtiment Primarios pour se rendre compte du gâchis, toujours suivi par l'inéluctable : l'annihilation de la mémoire collective des Marocains. L'avis des spécialistes Selon l'avis de plusieurs consultants que nous avons interrogés par le biais de l'Association Casamémoire, les spécialistes de l'urbanisme au Maroc, des architectes, aux designers de la place, en passant par des décorateurs, des urbanistes et mêmes des paysagistes, la gare a besoin, d'un travail de fond pour lui redonner un certain prestige surtout que toute cette zone proche du port est appelée à devenir un pole important dans la vie du Grand Casablanca. Ce lifting qui devrait redonner à la gare un peu de lustre, et la placerait dans cette vision moderniste de la ville, ne doit pas être immanquablement accompagné d'un travail de démolition sommaire. Un tour de plusieurs spécialistes y compris des professeurs d'urbanismes et d'architecture venus d'autres pays comme la Suisse, les USA ou la Hollande, a révélé que le bâtiment reste très solide, bien sur ses assises, de grande facture architecturale dans ses lignes, son découpage, son assemblage, et pourrait être maintenu en état avec quelques retouches. Moderniser n'a jamais été une vision négationniste du passé, colonial ou pas. Il faut surtout nous garder de cette approche néfaste qui voudrait que notre mémoire soit cantonnée à des principes d'anéantissement sur la base de créer du Marocain à la place du Colonial. Non, l'architecture marocaine, à Casablanca, à Tanger, à Meknès, à Rabat et ailleurs a un cachet marocain. Elle est le fruit d'artistes qui ont vécu au Maroc et ont considéré. Qui dit Nouveau ne dit pas nécessairement moderne. «Et l'ancien peut, avec un peu plus de discernement et de réflexion, revêtir les aspects modernes les plus avant-gardistes, pour peu que l'on en soit conscient » comme l'avait déjà souligné à LGM Sophia Amrani Ben Sabih, architecte de renom et grande militante pour la sauvegarde du patrimoine de la ville de Casablanca et dans toutes les villes du Maroc. Question cruciale La question que nous avons posée à tous les spécialistes est simple : «De quoi a-t-on besoin pour redonner à cette gare une nouvelle identité ? Et comment peut-on éviter un désastre pour sauver un monument national ?». Les réponses convergent toutes dans la même direction?: il est important de garder cet ensemble dans son état actuel et de procéder à une étude en profondeur pour voir quels sont les travaux qui peuvent être faits sans défigurer la beauté initiale de ce building. Pour des connaisseurs comme Elie Azagury, grande et illustre figure de l'architecture mondiale, marocain de la première génération qui a collaboré avec les plus grands noms de la discipline de par le monde : «Cette gare répond aux normes de ce que l'on nomme modernité. Elle a un style qui la caractérise. Elle est typique, dans ce sens qu'elle incarne un courant architectural qui a eu droit de cité à Casablanca et que l'on retrouve dans d'autres bâtiments». C'est cette fluidité de styles qui en fait un bijou. Encadrée par d'autres bâtiments du même calibre, cette gare sera un point d'ancrage pour la ville, dans une zone urbaine en chantier et dont les mutations sont des plus importantes depuis dix ans. Nous sommes face à une gare, qui peut facilement couler dans n'importe quelle vision moderniste, pour accompagner la mise à niveau de toute cette zone portière de la ville, comme nous l'avons déjà souligné à maintes reprises par rapport à d'autres monuments comme le vélodrome de Casablanca, lui aussi sous la menace d'une destruction prochaine, ou alors les immeubles Honnigger qui tombent comme des châteaux de cartes alors que des fonds suisses seront mis en place pour les restaurer et en faire des symboles de l'architecture suisse à Casablanca. Quoi qu'il en soit, il y a de nombreuses sensibilités qui oeuvrent pour présenter un projet de classement et d'inscription de la gare Casa Port comme faisant partie du patrimoine national. Une décision qui pourrait pousser le ministère de la Culture à stopper l'hémorragie surtout que la ville de Casablanca fait toujours les frais de quelques zélés incultes qui veulent plus la défigurer que la moderniser. Tout un travail de sensibilisation est en cours pour non seulement sauver cette gare mais d'autres monuments comme l'immeuble Volvo, Primarios, les autres immeubles Honnigger et ce Vélodrome dont le destin semble déjà plié.