Au début de la colonisation, il y a des maisons de tolérance pour les prostituées européennes, amenées avec l'armée : on voit une ségrégation raciale dans la prostitution puisque d'un côté, les musulmans ne doivent pas avoir de relations avec les Européennes et de l'autre, les indigènes ( du fait du code de l'indigénat) se retrouvent dans des quartiers réservés : des cités prostitutionnelles. Le tout relié par un bus. Chronique. Le quartier de Bousbir à Casablanca est relié au centre européen par un bus dont c'est la seule destination ! Un départ et un terminus, et à l'allure des passagers, on devinait bien le reste. Il y a donc une visibilité de la prostitution, bien que ce quartier soit excentré : ce bus ne mène qu'à ce lieu. On y trouve 42 boutiques, un hammam, un cinéma qui a vite fermé faute de clients qui préféraient la compagnie des femmes à une salle obscure. D'ailleurs, plusieurs études sur le sujet de la prostitution en Afrique du Nord démontrent qu'à Casablanca, il y avait de très grands quartiers vers 1910 où l'on trouvait tout ce qui était nécessaire aux soldats et aux touristes. «C'est une sorte de lieu de villégiature, inscrit dans les guides touristiques. C'est un milieu clos et carcéral, pour que les femmes aient le moins de raisons de sortir. Elles ont peu de permissions signées par le médecin et le soldat de garde. C'est un modèle (mis en place dans les années vingt) pour l'administration coloniale.» lit-on dans la prostitution coloniale en Algérie, en Tunisie et au Maroc de 1830 à 1962 de Christelle Tarraud. Concurrence et ségrégation Les exemples dans d'autres villes du Maroc ne manquent pas. On note la même chose à Meknès, mais en plus petit. Ce qui était normal, les deux villes n'avaient pas la même vocation et Casablanca a très vite été désignée pour devenir une grande métropole. Dans un autre registre, il y a eu un essai à Marrakech, qui a tourné court, de façon officielle, mais qui a continué sous des formes moins contrôlées. Puis à Tunis, dans les années 1935, pendant la période dite nationaliste. Et là, les autorités coloniales ont essayé de ne pas faire les mêmes erreurs qu'à Casablanca, dont le quartier était trop loin du centre, bien qu'il y ait eu 1500 clients par jour, boutiques comprises. «A Tunis, le quartier est plus près du centre européen pour augmenter le nombre de clients ; il se trouve donc dans la médina, ce qui a entraîné une levée de boucliers dans les milieux traditionalistes et dans la presse abolitionniste européenne», explique Estelle Tarraud. Sur un autre volet, le système de la tolérance pour les Européennes n'a pas marché. La cause en était le nombre de plus en plus grandissant des clients maghrébins. À l'époque, malgré plusieurs arrivées en masse de filles européennes, celles-ci restaient peu et demandaient vite à repartir. La conséquence était prévisible : moins ou pas assez de prostituées européennes pour les Européens, sans oublier que ceux-ci sont fascinés par les femmes arabes. C'est là qu'un nouveau phénomène voit le jour puisque les indigènes ont commencé à faire marcher des maisons ouvertes à tous. La ségrégation ne marche donc pas, et la concurrence a fait que les maisons de tolérance européennes ont vite mis la clé sous le paillasson. Les lupanars militaires Parallèlement à la construction de baraquements pour les soldats, des bordels militaires de campagne sont mis en place par l'armée, quand il n'existe pas d'autres structures de la colonisation. Dans tous les patelins du Maroc, de petites structures sont mises sur pied et gardées par des soldats, des gardes qui devaient surveiller et assurer leur sécurité. On parlait à l'époque d'attaques de la part des populations qui ne toléraient pas l'installation de bordels à proximité des villages. Ces lupanars très basiques vont durer jusqu'à la période qui a suivi les accords d'Evian. A propos de ces BMC (bordels militaires de campagne), il y a peu de choses dans les archives, sauf à partir du XX° siècle. On sait, d'après le peu d'études réalisées sur le sujet, que la gestion se faisait par l'armée en collaboration avec des gérantes. On choisissait toujours des femmes dont la connaissance du terrain et des filles était avérée. Curieusement, le travail de telles gérantes a été toléré. Ce qu'il faut aussi noter, c'est que l'administration civile n'a pas eu de droit de regard sur le cours des affaires dans ces bordels. Mais l'on sait, par ailleurs, que dans ce type de maisons de passe, c'était un commerce d'abattage (40 à 60 passes par jour). Les abolitionnistes critiquaient surtout ces BMC parce qu'ils employaient des mineures, des malades, des maltraitées. On apprend selon quelques chiffres, que beaucoup sont morts, ce qui posait un problème de recrutement. Cela a conduit à la dénonciation du réglementarisme et par la suite, à la fermeture de plusieurs bordels excentrés.