Le colloque d'Assilah (du 14 au 19 août 2007) sur « l'élite intellectuelle et la pensée salafiste dans le monde arabe » a posé de nombreuses questions et ouvert le débat sur la nécessité de revoir nos principes de pensée. Entre mondialisation et ouverture, obligations et défis d'une course à l'identité, la pensée salafiste en ses multiples ramifications n'a presque plus droit de cité. Analyse Le monde arabe est dans l'obligation de consolider les valeurs de modernité, de poursuivre les réformes religieuses, culturelles et politiques et de conjuguer ses efforts dans l'édification d'une union régionale au sein de laquelle sont représentées les valeurs du monde contemporain et les expériences de l'histoire». C'est en somme un résumé de ce que le monde arabe doit relever comme défis. Facile à énoncer, difficile à traduire sur le terrain des diversités culturelles, rituelles (religieuse ou de tradition), humaines et intellectuelles. Cet énoncé se voulait pourtant un appel à une nouvelle forme de pensée dans le monde de l'islam et de toutes les sinuosités de la pensée arabo-musulmane. Car ce colloque sur la pensée salafiste va au-delà du simple carré géographique d'une réflexion humaine qui se doit de trouver une assise dans les sociétés concernées. Il s'agit d'une attitude morale aussi et d'une volonté politique ou du moins à visées politiciennes. Pouvoir, gouvernance, placements sur l'échiquier des puissances, relations à l'autre. Origine et principes Le salafisme a retrouvé tout son poids après le 11 septembre. À la fois phénomène des médias et curiosité intellectuelle entachée de danger, d'obscurantisme, d'archaïsme et autres vocables du même acabit. Et le peu d'études qui ont été consacrées à un tel sujet ont versé dans une espèce de généalogie monotone et filandreuse où l'on remontait aux origines du wahabisme, les frères musulmans et Hassan El Banna, le Tawhid, le retour à la religion telle que pratiquée par les prédécesseurs avec la dénonciation de toutes les formes d'innovations qui ont pu être ajoutées. Et aussi le refus de l'identité nationale et la valorisation de l'idée de la communauté islamique supranationale. En somme, ce sont là les sacro-saintes exégèses sur un thème encore plus complexe qu'il n'y paraît. Puisque dans le fond, et aujourd'hui de façon plus ostentatoire, la pensée salafiste est une arme de combat. Une arme politique. Un arsenal militaire de conquête et de confrontation. L'ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Maher, qui a animé l'une des séances de ce débat, connaît très bien la problématique liée à la pensée des frères musulmans. Il en a aussi vécu les évolutions et il est naturel que son approche s'inscrive dans cette logique d'une lecture qui se doit «de prendre en compte les changements de pensée et les contingences dans le monde où la pensée salafiste évolue». Et l'on passe en revue deux versions de la même idée, réformisme historique et / ou fondamentalisme contemporain. Un point de vue qui sera débattu par plusieurs intervenanats à Assilah tels que le ministre libanais de la culture, Tarek Mitri, l'ambassadeur du Maroc au Liban, Ali Oumlil, l'intellectuel marocain Moubarak Rabie et l'écrivain et critique littéraire syrien, Mohieddine Ladhikani qui ont tous, chacun à sa mesure, appelé à mettre sur pied «une approche qui permet d'initier un dialogue avec le reste du monde.» Légitimité intellectuelle et mouvements militaristes Mais pourquoi cette légitimité du dialogue ? Le salafisme en tant que mouvement, à la fois de pensée et courant révolutionnaire aux ramifications militaristes, est dans l'impasse pour plusieurs raisons. D'abord le discours salafiste est indissociable de toutes les mouvances terroristes à obédience qaïdiste ou autoproclamées Avec cette récupération, nous sommes passés du statut d'une doctrine religieuse et identitaire (ou le nationalisme n'a pas droit de cité, mais l'idée suprême de la Oumma ) à la formation de factions guerrières, bonbonnes de gaz et autres cellulaires piégés à l'appui pour faire passer le message. Comment concilier ses deux excavations de la pensée ? Outre les multiples appels au dialogue, à l'ouverture et un travail d'analyse et d'autocritique, tel que cela a été annoncé à Assilah, la pensée islamiste et islamique souffre d'un déficit de vérité. Ancré dans le souci de la véracité par les actes, on occulte, par mégarde et surtout ignorance, l'aspect philosophique et ontologique de toute approche humaine. Une relecture de tous les types de discours salafiste permet de se rendre à une évidence criarde : les concepts sont flous et souffrent d'anémie culturelle. Par contre, leur pléthore s'apparente volontiers à une diarrhée verbeuse où tout se mêle : sacré, profane, tradition, superstition, militarisme et banditisme. La logique même de groupes qui se déclarent de la gnose salafiste est bâtarde. À la fois une raison hybride mène les débats et une sagesse aveugle qui refuse de confronter la réalité. Talibanisme et hooliganisme sont les deux faces d'une même pièce dont l'essence est violence. Et cette afghanisation de la pensée se nourrit du vide littéraire, de l'absentéisme des pseudo-intellos et autres penseurs en retrait. La phobie couplée à la panique intellectualisante découle du fait que les salafistes se réclament du Coran et les libres-penseurs, eux, hésitent à entamer une relecture des concepts de l'islam à l'origine. Il est donc sûr que la pensée se perd dans le marasme du merchandising à outrance où les nouveaux penseurs de l'islam jonglent avec une chose et son contraire. Il faut dire que les fatwas font office d'épouvantails. Mais le propre d'un penseur n'est-il pas de bousculer, remuer, remettre tout en question et repenser même l'évidence des acquis ? Démissions en masse D'abord la société est la première à faire les frais des dérives de la pensée émergante salafiste. Les jeunes boivent la coupe du négationnisme jusqu'à la lie. Et cela engendre kamikazes et autres fous d'Allah. L'école ne fait pas son travail et les cours d'éducation islamique sont des plus plats et sans relief aucun. Reste le travail de l'Etat. Là, le volet sécuritaire a fait ses preuves, mais le volet idéologique devrait lui emboîter le pas dans une visée commune. On ne peut tuer une idée qu'avec une autre, à condition qu'elle soit plus solide et surtout viable sur le terrain du concret. Et le concret ici se nomme : la réalité, la société avec ses dérives, ses ratages, ses manques, ses privations, ses rancunes, ses peurs et ses espoirs avortés. C'est là que les intellectuels arabes interviennent. Et un homme qui pense, prend la responsabilité de ce qu'il émet comme jugements, comme préceptes et concepts. Il ne s'agit pas de s'ériger non plus en moralisateur de la vie publique comme c'est le cas de beaucoup d'autoproclamés penseurs. La religion dans son origine et dans ses évolutions nécessite un travail de fond, une lecture philologique qui ne soit pas le fait d'une mode indiquée par les éditeurs. L'islam est dans une immense impasse du silence qui l'entoure, dans le monde arabo-musulman. Ce sont souvent les Européens ou les Américains qui viennent nous expliquer cette religion, censée être la nôtre. C'est très bien, mais la démission des locaux ouvre la porte grande ouverte à toutes les exactions culturelles et humaines. Wahabisme et salafisme Le salafisme vient d'une volonté de revenir aux textes sacrés, de limiter dans leur lecture toute interprétation humaine contredisant celle des salafs (théologiens prédécesseurs des 3 premiers siècles). Ibn Abd al-Wahhab prône un islam réformateur, il dénonce les coutumes locales et les superstitions qui ont appauvri et altéré la religion au fil des siècles. Il prône ainsi un retour à l'âge d'or de l'islam et donc à une interprétation du Coran basée sur celle des premières générations (notamment celle des 4 imams fondateurs des écoles de pensée islamiques). Il condamne la musique et la danse qui étaient initialement interdites dans l'Islam selon certains théologiens. L'homme doit être contrôlé socialement pour être dans le droit chemin : celui de la soumission à Dieu. Il détruit des tombeaux et brise les idoles pour restaurer un monothéisme pur. Le radicalisme de la doctrine et de l'action inquiètent les premières populations locales. Ibn Abd al-Wahhab quitte alors le Sud de l'Arabie, et trouve refuge dans un village de Mohammed al Saoud, favorable à ses idées. Ils concluent un pacte instituant un Etat islamique suivant son enseignement, qui consiste en un prosélytisme religieux et en une expansion territoriale. En 1803, le premier Etat saoudien est fondé. Source : le CEREMS Kitab Attawhid Le texte fondateur de l'enseignement de Mohamed ibn Abd al-Wahhab correspond à son ouvrage Kitab attawhid (en arabe, le Livre du monothéisme). Le terme de « wahhabisme » (wahhabiyyah en arabe) a été forgé très tôt par les détracteurs d'Ibn Abd-Al Wahhab, reprenant le nom d'une ancienne secte kharidjite. L'enseignement de Mohamed ibn Abd al-Wahhab se donne pour but de purifier l'islam des innovations, appelées bida', des déviances, des hérésies ou des idolâtries. Parmi les principes de cet enseignement, conformément au salafisme, on trouve notamment l'interdiction du culte des saints, de l'édification de monuments funéraires, ou même de mosquées luxueuses. Ces interdictions se basent sur le Coran et la Sunnah, interprétés à la lumière de la pratique des premiers musulmans, et rejetant les avis théologiques ultérieurs entrant en contradiction avec ces sources. Le fils de Mohamed ibn Abd al-Wahhab, Abdûllah ibn Mohamed ibn Abd al-Wahhab, dans son livre «Al-Hadiyya as-saniyya», se défend ainsi des attaques accusant d'hérétisme l'enseignement salafiste de son père. Le salafisme enseigné par Mohamed ibn Abd al-Wahhab connut son essor après son alliance avec Mohammed ibn Saoud — patriarche des Séoud, alors seigneurs du Najd avant de devenir la famille régnante ayant par la suite donné son nom au pays. Le terme de «wahhabisme» est aujourd'hui utilisé péjorativement avec une connotation politique pour désigner l'islam rigoriste officiel en Arabie saoudite (on préférera le terme salafisme). Il est également utilisé dans les médias pour désigner l'idéologie sous-tendant la politique aussi bien intérieure qu'extérieure du pays. Mohamed ibn Abd al-Wahhab réfute toute source de législation autre que le Coran, comme le rappelle cette formule du FIS (Algérie) en 1992 : «Le Coran est notre constitution». Source : le CEREMS