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REPORTAGE : Chemkar ou Bikhir
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 07 - 2007

Ce ne sont pas ce que l'on appelle communément des enfants des rues, ni des SDF, encore moins des laissés pour compte. Mais des drogués. Chez eux, la toxicomanie a atteint des degrés effarants. Certains sont tout bonnement irrécupérables. D'autres peuvent recouvrer la santé physique et psychique, s'ils sont pris en charge. D'autres sont morts à force de sniffer de la colle et d'autres substances fabriquées par leurs soins. Ils ont choisi la rue comme terrain de jeu avec tous les codes que cela suppose.
Entre violence urbaine et perdition, le destin de milliers de Marocains à la dérive. Reportage.
Knut Hamsun écrivait dans son célèbre «La Faim», qu'il y a un fil ténu entre le bien-être et la perdition. Il suffit d'avoir la faim vissée au ventre pour se rendre compte de la fragilité de qui nous sommes. Toujours le même Hamsun a écrit un livre sur la perdition qu'il a intitulé «Vagabond», summum de la perte dans la vacuité de l'être entre pauvreté, manque de repères, désespérance. Les personnes que nous avons rencontrées durant ce reportage dans les rues de Casablanca, peuvent sortir tout droit de l'univers de Hamsun : les mêmes conflits existentiels, toujours la même difficulté à s'en tirer, avec cette constante incapacité à couler dans le moule social.
Aziz, Youssef, Si Mohamed, Rachid, Larbi, Ba Brahim, Zoubeir, Abdelmoula, Fouad… Tous vivent avec une double identité. Le nom de code de la rue. Tous ont la vie dure de ceux qui ont, dans un sens, choisi la marge. Oui, une vie à côté de celle de tous. Par choix, par obligation, par lâcheté, par peur, par bêtise. Ils ont entre huit et soixante-dix ans. Ils sont adeptes du farniente. Pas de travail, pas de projets d'avenir. La vie à la minute près, sans projection dans le futur, même pas pour la demi-heure qui peut suivre. Le laisser-aller engendre la saleté, le délabrement, des habits éculés, déchirés, noircis par la suie, le peu de sommeil sur les trottoirs, la mauvaise vie entre courses effrénées derrière des broutilles et la peur de la mort. Point commun entre tous ceux à qui nous avons parlé ? La mort qui peut frapper à n'importe quel moment. Vivoter, survivre, jongler, dribbler, esquiver, biaiser et attendre l'instant où la gueuse peut s'abattre sur vous comme la foudre.
Face à la mort
Aziz a quinze ans, il en paraît trente, mais il a le corps d'un môme de huit ans. Quinze ans dont cinq dans la rue à sniffer de la colle. En guise de nourriture, des restes qu'il mendie devant les snacks quand il ne va pas plonger la tête dans une poubelle pour dégoter un bout de patate ou un morceau de pain dur comme la pierre. Il fume des mégots qu'il ramasse dans la rue. L'œil toujours rivé au sol et un sachet dans la poche où il collectionne les bouts de cigarettes déjà fumées par d'autres. Il s'en fout des maladies qu'il peut choper en fumant les mégots des autres. Il appelle même de tous ces vœux une grosse catastrophe pour l'emporter : «Je suis sûr d'une seule chose : je vais mourir bientôt. Très jeune, même avant vingt ans. Et dans la rue, je t'en donne ma parole. Je suis une erreur qui sera très vite réparée». Aucune philosophie de pacotille dans les dures paroles d'un gamin de quinze ans qui attend la mort. Juste la soumission devant l'irréfutable. Il sait. Cela suffit. Son histoire est celle de milliers de gamins de son acabit. Il a une famille qu'il a choisi de quitter «parce que je n'ai rien à faire avec eux. Je suis mieux dans la rue, sale (mouessekh), puant (khanez), mais je suis libre». Les parents, eux, ont tiré un trait sur le môme. Il revient, il ne revient pas, c'est du pareil au même. Personne n'a cure de ce qui arrivera demain à Aziz. La mère a six autres bouches à nourrir. Le père est un Kemmar invétéré qui passe sa sainte journée dans les trous des parieurs. Et quand il sort de la Hofra, il va tabasser la mère, avant de manger et de roupiller, en attendant le nouveau cycle. Aziz a décidé un jour de ne plus remettre les pieds chez lui : «j'en avais ma claque de toute cette merde. Mon père est un sale fils de p… et ma mère est une grosse salope. Je n'ai ni frères ni sœurs. Je suis sans famille et je suis bien comme ça». Quand Aziz se lâche (c'est ce qu'il fait à longueur de journée) ce sont les siens qui trinquent en premier. Après, tout le monde y passe: les autres gamins comme lui qu'il qualifie de «Oulad Lekhab», la société, le pays, l'Etat, le gouvernement, Dieu et ses prophètes. Bref, à chacun, il réserve un chapelet d'injures des plus corsés. Et avec ce regard en biais, cet oeil noir et sans reliefs, cette façon torve de grimacer, Aziz est un type qui peut te foutre la trouille. Compte-t-il s'en sortir? «Non, jamais. On a déjà essayé. On m'a mis dans des maisons, on m'a lavé, on m'a nourri, on m'a donné des habits neufs. Mais je me suis enfui. Ma place est dans la rue».
La colle et le Rivotril, seul viatique
Il n'y a pas que des mecs qui écument le macadam avec un sachet en plastique dans la main, gorgé de Silicone, dont les effluves embaument le cerveau et mettent le sniffeur dans un état triple. Les filles sont de plus en plus nombreuses à faire cause commune avec les parias des villes. On y reviendra dans un prochain reportage pour décliner le mode de vie de ces filles en parfait décalage avec l'existence. Les mâles, eux, concurrencient d'ingéniosité pour fuir la réalité : «Je sniffe tout le temps, même la nuit, j'ai mon sachet sur le nez. Pourquoi ? Pour ne pas avoir à parler à des gens comme toi. Je veux oublier, me perdre (Netwadder), et quand je sniffe, je suis bien. Et pour que Talaâ, ( le trip, le voyage) soit complète, j'avale quelques Rivotril, et là, je suis comme un lion. Gare à celui qui vient me faire chier. Je suis capable de l'envoyer à l'hosto.» Et Si Mohamed a déjà à son tableau de chasse quelques types qu'il a sérieusement amochés, juste parce qu'il était en rogne. «Non, rien de bien sérieux. On m'a cherché des noises, et je me suis défendu. J'ai ouvert la joue à un type avec un tesson de bouteille et j'ai fendu la tête à un autre avec une pavilla (un pavé, un gros caillou). Je n'ai même pas été arrêté. Tu sais entre Chemkaras, la police nous laisse faire. Les flics seront contents de nous voir nous entretuer. Ils auront des soucis en moins». Pour Si Mohamed, le mélange de la colle et du Rivotril, un psychotrope puissant, n'est pas méchant : «je fais le même mélange depuis des années. Et regarde, je suis solide comme une pierre (Si Mohamed a le corps noueux, veiné, mince comme un clou et dur comme de l'acier). Des fois, j'ajoute un peu d'alcool à brûler et je suis parti». Des pertes de conscience, il en a fait par dizaine. D'ailleurs, il ne les compte plus : «oui, je me suis évanoui plusieurs fois. Et une fois, dans un terrain vague à Bourgogne, un type a voulu me violer. Le lendemain, les copains m'ont raconté qu'il m'avait enlevé le pantalon. Je suis allé le chercher et je lui ai planté un ciseau dans l'épaule.»
Si Mohamed n'avouera jamais qu'il a été violé à moult reprises. Non, il est trop fier pour supporter l'idée qu'il s'est fait trousser comme un bleu par plus fort que lui. Mais dans son entourage, tout le monde sait qu'un jour ou l'autre, on passe à la moulinette et on se fait éclater le sphincter dans la froideur des terrains vagues ou derrière les portes des immeubles du centre-ville. D'ordinaire, les viols entre Chemkaras sont collectifs. On se saisit d'un gamin et on le viole à tour de rôle. Généralement, ils dégénèrent et on en ressort avec des balafres pour la vie.
Codes, complots et autres à-côtés
Dans la rue, on ne peut compter sur personne. C'est chacun pour sa poire. Et malin est celui qui protège son derrière. Quand on est Chemkar, on est seul, comme le jour de sa naissance et celui de sa mort, mais on a besoin d'une bande pour abriter sa misère. Mieux vaut être plusieurs à rôder, que seul à tenter tous les autres obsédés qui sillonnent la ville à la recherche d'un gamin à se faire. Les Chemkaras sortent en groupe. Chassent en groupe. Font les quatre cents coups en groupe. Volent en groupe, sniffent et dorment en groupe. Quand ça va mal, c'est chacun pour soi. «On est tout le temps ensemble. Saïd est le plus grand. C'est lui le chef. On le suit, il nous commande et il nous protège des autres groupes». Entre bandes de Chemkaras, c'est toujours la guerre. Conflits de territoire, places à prendre, d'autres à préserver. Il faut être plus alertes, plus courageux, plus salopard que le voisin, pour fouiller dans une poubelle, se planter devant un snack, rôder devant un bar et ramasser les mégots. «Saïd nous envoie voler des légumes ou du pain dans les épiceries. On vole aussi des fruits. Parfois un portable ou un sac à main. On lui remet le tout. Il revend ce qui peut l'être et on partage. L'argent sert à acheter la colle et l'alcool à brûler.
C'est Saïd qui s'occupe toujours du Karkoubi.»
Saîd peut aussi décider si tel ou tel gosse doit se recycler et devenir cireur de chaussures. Dans le tas, beaucoup triment à longueur de journée pour apporter un petit pécule à la tombée du jour. «Les plus faibles deviennent cireurs ou travaillent comme porteurs (Hammala) dans les marchés. Les autres, les plus coriaces (El waârines) ils restent avec Saîd pour le vol. Parfois, on peut aussi vendre du karkoubi pour manger». Et quand les choses tournent très mal, après un crime, comme cela est déjà arrivé à plusieurs reprises entre Chemkaras, on franchit la frontière qui sépare la vie de la mort et on se retrouve au centre de redressement à Oukacha. Une escale, en somme, et on repart dans la rue, plus aguerri et plus décidé à en découdre avec tout le monde.


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