Vous avez certainement remarqué ces papiers de toutes les tailles, parfois en couleur qui dansent et tourbillonnent au gré du vent dans les rues de la ville. Ils sont tellement nombreux qu'ils arrivent à éclipser le ballet habituel des sacs en plastique ! Ce phénomène bien particulier n'est pas le résultat de conditions météorologiques exceptionnelles, mais s'explique par un climat politique spécifique : voilà maintenant plus d'une semaine que la campagne électorale est amorcée, et que l'on voit fleurir imprimés, feuillets et brochures aux sigles des partis, instruments indispensables au travail de terrain de tout candidat qui se respecte. Ces tracts en tous genres font aussi le bonheur des enfants, qui les collectionnent un peu comme les autocollants des joueurs de foot ou les vignettes de pokémon. La diffusion de tracts fait partie de ces occupations éphémères liées aux périodes d'élections. Nous sommes allés à la rencontre de quelques “tracteurs d'occasion ”, pour essayer de mieux les connaître, et de mieux cerner leurs motivations. Deux éléments essentiels ont retenu notre attention : les “tracteurs” sont en très grande majorité des jeunes (certains de ceux avec qui nous avons discuté n'avaient même pas vingt ans, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas en âge de voter) et ils envisagent moins leur responsabilité temporaire comme un travail militant que comme un moyen de gagner de l'argent. Saïd, qui opère dans la circonscription de Hay Mohammadi, explique : “ bien sûr qu'on est tous jeunes : ils choisissent ceux qui peuvent courir comme des lapins sans se fatiguer. On marche toute la journée et ceux qui ont plus de 30 ans ne pourraient pas nous suivre. ” La journée de distribution est rémunérée entre 50 et 100 dirhams en moyenne, le salaire s'avérant être un élément déterminant dans le choix du parti avec lequel le “tracteur” s'engagera. Mounir, au chômage, commente : “ je ne connaissais même pas ce parti avant que mon ami ne m'en parle et ne m'amène ici. Moi j'ai surtout besoin de me remplir un peu les poches, et j'aurais pu aussi bien distribuer des clefs ou des bateaux, ou des chevaux, ou n'importe quoi d'autre ” (il fait allusion aux sigles choisis par les partis politiques). Réda, étudiant, ajoute pour sa part : “ ce que je veux, c'est avoir un peu d'argent pour bien m'habiller, avec la rentrée qui approche. Mais je n'irai pas voter, parce que j'ai perdu confiance dans tous ces partis, même si j'encourage les autres à le faire. ” Mounir et Réda repartent ensuite avec un groupe arborant T-shirts et casquettes au sigle du parti qui les rétribue, en scandant à tue-tête des slogans entraînants pour faire gagner la colombe. A moins que ce ne soit pour le lion ? Ou pour le palmier ? Les deux compères ne s'en préoccupent guère : ils ne voteront pas...