Une saisie de 23 véhicules de luxe sur plus de 300 circulant au Maroc, 108 cachets humides de Préfets, Maires, Conseillers et gradés en douane de différents pays, des plaques d'immatriculation, des certificats d'admission temporaire, permis de conduire, cartes d'identité et passeports étrangers vierges, ordinateurs, cartes monétiques, visas Schengen, attestations de polices d'assurances, dossiers fictifs de transactions commerciales internationales, fausses déclarations douanières, statuts de sociétés-écran, Riads… Un véritable investissement dans le crime organisé à l'échelle internationale dans la ville ocre (Marrakech) que les auteurs prenaient pour scène de leurs agissements, concoctés avec une grande finesse et un grand savoir-faire digne des films hollywoodiens où des milliards de dirhams étaient en jeu. L'atterrissage de tous ces «volatiles» de longues distances qui ont sillonné une grande partie du monde, a eu lieu sur la Place Jamâa Lefna, reconnue patrimoine universel ! Chez la police judiciaire. De grosses et belles voitures stationnaient devant les plus luxueux palaces, boîtes de nuits ou cabarets de Marrakech. Le champagne comme les plus grandes marques de spiritueux coulaient à flot. Pendant les trois ans d'allers-retours et de séjours à Marrakech, le groupe d'amis ne cessait de dépenser à fond et au lieu que la richesse, combien fort apparente, diminuait, elle ne faisait que s'amplifier. L'importation des voitures de luxe s'accentuait, l'acquisition de Riads aussi. On allait au casino dépenser des millions de dirhams sur place comme la ménagère va chez l'épicier du coin s'acheter une baguette de pain que le mari paiera à la perception de salaire. Certains éléments de la police ont beau être paranoïaques et douter des plus petits détails, mais il apparaissait clairement que ces gens-là ne faisaient pas que jeter l'argent par la fenêtre. Ils dépensaient, mais pas aveuglément. Ils travaillaient aussi, mais pas à Jamâa Lefna. Ils créaient des sociétés, importaient et exportaient, achetaient et vendaient. J.P. Madzlov, un Français d'origine algérienne, est un homme beau et respectable, riche et très intelligent. Il a créé à Marrakech une société d'importation et de commercialisation de saumon. «Salma food» est le nom de cette entreprise gérée par la femme de ce dernier. Les comptes de «Salma food» montrent qu'elle génère, débit-crédit consultés, beaucoup de bénéfices. Imovinci, ami de Madzlov, a monté une entreprise sous forme d'agence immobilière spécialisée uniquement dans l'achat et la restauration des Riads revendus par la suite à des prix astronomiques. Trois ans d'investigation Il était donc tout à fait normal que l'argent coule à flot, dans les deux sens. Les relevés des comptes, consultés discrétement, aveuglaient le plus fin des experts-comptables. Pourtant, il y avait un hic. C'est que malgré toute cette clarté et cette belle mosaïque, le groupe était impénétrable. Il y avait en l'air un brin d'homosexualité liée d'amour qui soudait ces membres. Aucune infiltration n'a réussi. Même les filles de joie, les plus belles et les plus séduisantes qu'ils rencontraient, dans les discothèques ou dans les cabarets, n'ont jamais pénétré l'intimité de l'un d'eux. Pourtant, elles les accompagnaient pendant de longues heures, prenaient des photos dans des positions érotiques en pleine piste, demandaient et percevaient de l'argent sur place sous n'importe quel prétexte, mais n'étaient jamais conviées à partir avec eux. Comme si les amis avaient pris l'habitude de se débarrasser du vide après avoir pris un verre. D'ailleurs, on ne ramène jamais avec soi le vide, qu'il soit consigné ou pas. C'était la devise des amis milliardaires. On consomme sur place. On n'emporte pas les traces. Impénétrables ! Trois ans durant, J.P. Madzlov et Imovinci agissaient de la sorte. Ils recevaient d'autres amis de l'étranger qui repartaient après un bref séjour. Mais, du côté marocain, deux individus étaient presque intimement liés à eux. Il s'agit d'un certain Abdellah Aït Chikh et son frère Khalid. Durant ces trois années, les enquêteurs, qui ne les lâchaient guère d'un pas, doutèrent un jour d'une relation finement camouflée par mille manières entre les fêtards-hommes d'affaires et un certain Jean Paul Tredez, puis un Remy Gilles, puis un Malibert Felix. Les deux premiers sont incarcérés à la prison civile de Salé. Le troisième à la prison de Marrakech. Les quelques éléments rassemblés montrent déjà que derrière cette ostentation et ces richesses qui poussent comme des champignons, malgré les dépenses astronomiques, il y avait matière à creuser. «Salma food» draine un argent fou alors que le saumon n'est pas consommé par les Marocains au même titre que la semoule des plats des vendredis ! C'est ce qui aurait poussé les enquêteurs, qui allaient être lassés par les trois ans de diversion, à accentuer leurs recherches et à engager une véritable chasse aux détails. Il fallait donc faire appel à des spécialistes, y compris en électronique. Il fallait sûrement aussi chercher le maillon faible de la chaîne, réseau s'entend, pour mettre la main sur le cerveau. Abdellah Aït Chikh est interpellé et il devait répondre à une série de questions dont il ne put échapper. Il devait au moins justifier ses ressources qui paraissent illogiques. Et c'est dans une course contre la montre que des révélations ont été faites. Abdellah et Khalid étaient des faussaires. Leur spécialité était de falsifier les plaques d'immatriculation des voitures venues directement de l'étranger. Ces limousines qui parquaient devant les palaces et qui trouvaient tout de suite preneurs. Les dominos s'effondrent et c'est au Procureur général d'ordonner l'approfondissement de l'enquête. J.P. Madzlov est interpellé à son tour. Imovinci aussi. Ils nieront en bloc les accusations qui leur sont adressées. Ils nieront en bloc, tant dans les procès verbaux que devant le Procureur Général de Marrakech. Mais les perquisitions effectuées tant dans les entreprises que dans les Riads et les recherches sur les ordinateurs et les boîtes électroniques révéleront le tissage à Marrakech d'un réseau international du crime organisé. Remy Gilles constant, Malibert Joseph et Jean Paul Tredez seront entendus par la police judiciaire tant à la prison de Salé qu'à celle de Marrakech. L'un d'eux, qui s'apprêtait à quitter la prison, après avoir purgé sa peine pour faux et usage de faux, bénéficiait déjà d'un passeport en bonne et due forme. Et si c'était Al Quaïda ? Les perquisitions révéleront que les membres du réseau s'adonnaient aux vols de voitures de luxe. Des vols perpétrés par d'autres éléments qui vivent en France et en Italie. M'Jid, Rachid et Frank, de la 3ème génération, sont des prénoms qui ont été avancés par certains des accusés. Le braquage d'un fourgon blindé en France a permis aux membres du réseau de se procurer des passeports vierges qu'ils ont distribués en Italie, en Thaïlande et au Maroc. Certains de ces passeports ont été saisis par la police de Marrakech. 108 cachets humides de différentes administrations de différents pays et de différents niveaux ont été trouvés chez les membres du réseau. Des cachets français, portugais, espagnols et belges de Préfets, de Maires, de Conseillers et de douaniers…Tout ce qu'il fallait pour régulariser les situations des véhicules et des personnes circulant dans l'illégalité. Avec des passeports, des cartes d'identité et des permis de conduire hautement falsifiés, les passeurs pouvaient facilement franchir les frontières avec des véhicules volés puisqu'ils en changeaient les plaques d'immatriculation, remplissaient les certificats d'admission temporaire vierge… Les cachets ne posaient pas problème non plus. La police a saisi quelque 23 véhicules. Mais les observateurs pensent qu'au moins 300 voitures volées circulent encore au Maroc sous une fausse identité. D'autre part, la saisie du matériel électronique et des documents a permis aussi de mettre la main sur les opérations de blanchiment d'argent. D'où l'histoire de «Salma food» et de l'agence immobilière spécialisée dans les Riads. Car les membres du réseau, en fréquentant les casinos, réussissaient frauduleusement à avoir des tickets de gain aux jeux, bien qu'ils aient été toujours perdants, pour justifier les versements en espèces dans leurs comptes bancaires. Jusqu'à présent, en plus des accusés déférés devant la cour d'appel de Marrakech pour, entre autres, constitution d'un réseau international spécialisé dans le crime organisé, le réseau comprendrait au moins un Algérien, 14 Français, un Allemand, deux Asiatiques, deux Portugais, deux Espagnols et 9 Marocains. L'enquête n'est pas encore achevée. On parle de deux autres années encore pour démanteler réellement la toile tissée par les membres de ce réseau international qui, fort heureusement, investissait dans la dilapidation des biens sans connotation terroriste aucune. Si l'on doit imaginer les conséquences de l'hypothèse d'une main basse par un groupe terroriste sur cette logistique, on doit croire aussi que l'époque des traitements des simples affaires de vol à l'arrachée est révolue. Le Maroc commence à se doter de cellules policières spécialisées dans le crime organisé à l'échelle internationale. Les accusés dans cette affaire ont été mis en détention préventive et doivent comparaître devant le juge d'instruction. Car, malgré leurs négations en bloc et malgré le mur qu'ils avaient bâti contre toute infiltration qui risquait de les démasquer, les pièces à conviction parlent d'elles mêmes. A noter que l'affaire a fait l'effet d'une bombe au sein des différentes sections et brigades de police non seulement à l'intérieur du Maroc, mais au-delà des frontières aussi, vu les agissements des membres du réseau à travers plusieurs autres pays étrangers.