Certes, le travail, c'est la santé. Mais, parfois, le bureau peut devenir un véritable enfer… Un endroit où supérieurs ou collègues peuvent vous infliger brimades, persécutions. Comment confondre un harceleur moral, quelles sont ses stratégies ? Comment réagir ? Le harcèlement moral au travail relève d'un stratagème particulièrement insidieux. Ce qui rend le «harceleur » particulièrement nuisible, c'est qu'il n'agit jamais à découvert et qu'il exerce son impitoyable violence psychologique à « bas bruit ». Ce que subit sa victime est impalpable, indicible : avant même d'avoir compris ce qui lui arrive, elle ne peut plus se défendre. En public, le « harceleur » use de son charme et de ses grandes facultés d'adaptation pour gagner l'auditoire et provoquer sa victime en toute impunité, par petites touches à peines perceptibles : humour sarcastique, sous-entendus humiliants, faux-semblants de civilité, brimades à répétition, agressions non-verbales (regards méprisants, gestes, soupirs…) Pas de faits tangibles, donc : les propos et les reproches du «harceleur» sont souvent si flous qu'ils laissent la place à toutes les interprétations possibles. Il sait manier à merveille l'art du demi-mensonge et celui du paradoxe, et ne s'explique jamais directement sur rien. Le «harceleur» ne communique pas, car lui seul sait ce qu'il y a à dire et à penser… Selon Marie France Hirigoyen, psychiatre française, spécialiste de la question, le harcèlement professionnel se définit de la façon suivante : «toute attitude abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits pouvant porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l'intégrité physique ou psychique d'une personne, mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail». Le harcèlement professionnel peut s'exercer entre collègues de même niveau hiérarchique et, dans ce cas, la victime est mise au ban, mais il est le plus souvent le fait d'un supérieur hiérarchique sur son subordonné. Pour celui qui le subit, l'enjeu est alors important et les conséquences, dramatiques. Evidemment, les degrés du harcèlement varient, selon les circonstances, le contexte, mais elles peuvent atteindre des stades dramatiques : injures grossières, attaques sur la personnes, menaces de renvoi… C'est en privé que le harceleur se révèle le plus terrifiant, surtout si sa victime a des velléités de rébellion. Rendu maître de l'allusion et de la métaphore, les menaces du harceleur sont souvent à peine voilées. Souvent isolée du reste du groupe, la victime est souvent impuissante. Si ce « jeu » dure trop longtemps et qu'elle ne réagit pas, elle n'aura bientôt plus les moyens de se soustraire à son agresseur. Et autant dire qu'à ce stade, les intérêts de l'entreprise ne sont plus de mise : ce qui se « joue » tient de la pathologie psychiatrique du harceleur, une forme de perversion qui le mène à poursuivre un but en marge de tout bon sens. Faire tomber le masque Derrière le visage du harceleur se cache un être avide de reconnaissance et de pouvoir. Pour les conserver ou masquer son incompétence, il est prêt à éliminer tout ce qui pourrait y faire obstacle. Le choix de sa « victime » n'est pas fortuit : ce « bouc émissaire » n'est pas quelqu'un de faible, comme on le croit souvent, mais plutôt quelqu'un de consciencieux, de lucide et donc, quelqu'un d'inquiétant pour lui. Le harceleur excelle dans l'art de détecter le point faible, la faille qu'il va pouvoir exploiter pour anéantir des défenses de sa victime : c'est sur ces points-là qu'il va l'attaquer en s'appliquant à insinuer le doute (en elle et chez les autres), sur ses compétences, sa valeur personnelle, voire son psychisme… Et ceci jusqu'à ce que la victime perde tous ses moyens. Empêché de penser, de comprendre, de réagir, l'agressé est poussé à la faute, ce qui justifie à la fois l'attitude de l'agresseur et le silence de son entourage. Si la victime ne réagit pas, si rien ne vient faire obstacle aux stratagèmes du harceleur, les choses ne cesseront qu'avec la capitulation de la victime (départ, et, dans les cas extrêmes, longue maladie pour dépression, troubles psychosomatiques graves). Une solution : réagir Le mieux est d'agir au plus vite, avant que le processus ne soit trop engagé. Il faut, autant que possible, refuser de rester dans le flou : demander des précisions, si possible toujours en public et avec insistance, dévoiler le sens caché des allusions avec humour, ne pas se laisser désarçonner par une attitude équivoque… Ceci peut aider à ne pas perdre le nord, à garder la tête froide, et à rester sûr que vous êtes dans votre bon droit. Il faut également éviter l'isolement. Une solution : rechercher des alliances parmi les collègues, sans en attendre de témoignage. Il est rare que le harceleur n'ait pas déjà sévi, auquel cas il reste certainement des traces qui pourront vous aider à mieux comprendre la situation. Très important : il faut chercher un appui auprès de la hiérarchie. Le harceleur est en effet souvent terrorisé par l'idée d'être découvert ou soumis à une loi. Le fait qu'il apprenne que l'on est prêt à se défendre, que l'on cherche des appuis, peut considérablement freiner son élan. Si le processus est déjà fortement engagé, il vaut mieux agir radicalement, en prenant de la distance. Il est donc préférable de se faire accompagner par un psychothérapeute qui peut aider à faire la part des choses, à sortir de la peur et de la culpabilité, à comprendre comment l'on a été pris au piège et à ne plus s'y laisser prendre. La clé : se faire respecter. Mode d'emploi anti-harcèlement Peut-être faites-vous partie de ces personnes harcelées ? Sans être parano, sachez reconnaître le harcèlement et apprenez à réagir, sans vous laisser déstabiliser. • Analysez la situation Avant tout, faites la part des choses, pour être certain(e) qu'il s'agit bien de harcèlement. Etes-vous sûr(e) de ne pas avoir mal interprété certains propos ou reproches ? Ceux-ci ont-ils concerné uniquement votre travail, ou a-t-on véritablement cherché à vous rabaisser ? Analysez vos sensations profondes face à votre supposé harceleur. • Faites face à l'agresseur Malgré tout, vous avez des doutes ? Vérifiez que ce que vous ressentez est une réalité. Même si cela est très difficile, vous devez affronter directement la personne qui vous ennuie. Allez la voir, demandez lui ce qu'elle vous reproche. Soit ses propos sont strictement professionnels, et vous repartez l'esprit tranquille, soit ses remarques débordent et sont injustifiées (on vous reproche votre accent, vos habits, vos relations, votre personnalité…). En pratique, tout échec de communication démontre que vous avez affaire à un pervers. Réagissez froidement sans montrer que vous souffrez de ses propos. Coupez court. • Restez fort(e) Ne vous laissez pas démolir : vous connaissez vos qualités, n'en doutez pas ! Dédramatisez. Vous avez une famille, des amis, des loisirs, le travail ne doit pas empiéter sur le reste de votre vie. • Entrez en guerre Bien que le harcèlement ne soit pas reconnu juridiquement au Maroc, vous pouvez agir et monter un dossier pour piéger l'agresseur. Notez chaque fait (date et heure), conservez les notes de service, lettres recommandées et messages désagréables qu'on vous envoie. Alertez vos collègues, la direction des ressources humaines de l'entreprise, le supérieur de votre agresseur, les partenaires sociaux (délégués du personnel, syndicat, comité d'entreprise, inspection du travail). Bref, mettez des mots sur ce que vous vivez sans craindre que cela lui revienne aux oreilles. Parlez aussi avec vos proches.