L'Etat contribue efficacement au processus de développement de la région du Nord. C'est dans ce sens que la province de Chefchaouen a pu bénéficier du “Programme rural d'adduction groupé en eau potable” (PAGER) à l'image du douar de Beni M'hamed. Qu'a apporté ce projet à la vie quotidienne de la population et quels ont été les changements qui ont marqué cette expérience? Comment s'est effectué l'articulation entre les contraintes de la modernisation et les us et coutumes de la région ? Autant de questions qui méritent d'être posées et auxquelles nous allons essayer de répondre. Pour se rendre à Chefchouen, le visiteur doit compter une bonne dizaine d'heures de route. À bord de notre véhicule, nous avons repéré le douar de Beni M'hamed situé entre les montagnes qui caractérisent cette région. Les premiers contacts….. Au douar Beni M'hamed, nous avons pris contact avec la population, après avoir partagé, avec les gens du douar, le repas traditionnel du terroir: la fameuse Bissara assaisonnée à l'huile d'olive. “Vous savez, la Bissara de notre région est unique en son genre, vous n‘en trouverez jamais de pareille ailleurs” remarque un sexagénaire du douar. Le village de Beni M'hamed comprend 800 habitants répartis en 163 foyers. Il dépend de la commune rurale de Brikcha (Province Chefchaouen). Dans les années 1950, les foyers ont quitté leur emplacement initial du douar en montagne. Le douar est au bord de la route. Il est à 5 km du siège de la commune et à une cinquantaine de km de la ville de Chefchaouen. “Avec la construction de la route, la population de Beni M'hamed ne trouve aucune difficulté pour se rendre en ville. Avant, le douar était complètement enclavé (…)” indique l'ex- conseiller communal du douar. De quoi vivent les Rifains ? Les principales activités sont l'agriculture et l'élevage. Concernant les ressources agricoles, il n'existe que la culture pluviale. Concernant l'arboriculture, on ne recense que l'olivier (1500 arbres). Le cheptel est trop faible puisqu'on compte seulement 6 ovins, 8 caprins et 3 bovins par foyer en moyenne. L'émigration est forte au village : environ un émigré par foyer. “Même si Chaouen occupe la première place au niveau de la pluviométrie au Maroc, la région est frappée par une crise économique sans précédent. Auparavent, on pouvait compter sur la récolte des olives mais avec la chute des prix, la situation se dégrade de jour en jour. Il est donc, tout à fait normal que l'émigration augmente de plus en plus” remarque le jeune président de l'association du douar. Le m'sid ou l'école ? Le douar est pauvre en biens collectifs. D'un côté, Il dispose d'une école créée en 1978. 53 filles et 104 garçons sont scolarisés. “Nous avons besoin d'équipements modernes pour assurer le bon fonctionnement de l'école. C'est bien de construire une école mais l'important est d'assurer son entretien (fournitures, corps professoral…)” remarque le jeune fqih du douar. De l'autre, le douar possède deux mosquées, une petite et une à minaret. Selon le fqih “le douar a fourni un grand effort en procédant à la rénovation de la mosquée. Maintenant, le douar peut être fier de cette réalisation. Pourtant, il nous manque encore beaucoup de choses (tapis, bibliothèque…)” ajoute le même fqih. Mais, d'après les déclarations de quelques enfants, il semblerait bien que l'école moderne ait pris l'ascendant sur l'école coranique le (m'sid). “Le ‘"m'sid c'est bien. On apprend la religion. Mais, l'école moderne va me permettre de devenir professeur et d'avoir une voiture (…)” nous déclare un charmant enfant du village. La décision tant attendue Après de longues tractations, le 6 octobre 2000, la DPE a signé la convention tripartite visant à réaliser le programme PAGER, avec l'Association des usagers Sidi El Ghazi” et la commune rurale de Brikcha. En effet, le douar de Beni Mhamed, qui figurait sur la liste des régions les plus nécessiteuses, devrait être le premier à profiter de ce programme. C'est en tous cas ce que nous a fait comprendre le responsable du département d'équipement provincial (DPE) : “l'Etat a commencé, depuis les années 90, à mettre en œuvre le PAGER. Dix douars de la région du Nord ont pu profiter de l'adduction en eau potable. Mais beaucoup reste à faire, vu les besoins pressants des populations. Pour ce qui concerne le cas de Beni Mhamed, je crois que ce douar a été choisi, essentiellement, parce que la population souffrait d'une situation des plus catastrophiques à cause de l'insalubrité de l'eau”. Le rêve exaucé La population a accepté les conditions du PAGER et a manifesté une préférence pour le branchement individuel, le préférant aux bornes. “On a expliqué à la population que le PAGER se limite à approcher l'eau du village et que le branchement individuel est une affaire de la communauté concernée et qu'il est soumis à certaines conditions, notamment l'assainissement du village” déclare le technicien en chef de la direction de l'équipement (DEP) La Direction a décidé du nombre de bornes fontaines (BF) selon les normes du PAGER (en moyenne une BF pour 250 personnes). Trois BF sont installées pour le village, une pour l'école et une autre pour la mosquée. “ La localisation des BF est suggérée par la population. Le technicien joue le rôle d'arbitre afin de convaincre les villageois qui sont souvent en désaccord quant à l'emplacement de la BF., le lieu du puits est choisi avec la coordination de la population. Il en est de même pour l'endroit où le château d'eau est construit (capacité de 40 m3) ” remarque le technicien en chef de la (DEP) Les robinets coulent et les compteurs tournent… Le projet a été livré à l'Association des usagers (Sidi El Ghazi) le 8 décembre 2000. La DPE a expliqué aux responsables de l'Association la nécessité d'engager un gardien et de fixer un horaire d'approvisionnement pour éviter le gaspillage d'eau et assurer l'entretien du matériel qui ne doit pas fonctionner toute la journée. “Les gens ne doivent pas gaspiller l'eau potable. En revanche, ils doivent se rappeler que jusqu'à une époque très proche les femmes devaient attendre des heures avant de s'en approvisionner” fait remarquer un membre de l'association. C'est pourquoi l'Association avait fixé le droit d'adhésion à 50 DH plus 10 DH correspondant à la consommation mensuelle de l'eau. Puis, elle a engagé un gardien qui s'occupait du maintien de l'équipement (abri, puits, château, bornes fontaines). “Vu la distance qui sépare les éléments de l'équipement, il m'est très difficile d'assurer l'organisation du tour de rôle à la fontaine et de contrôler les éventuels abus”, nous révèle le gardien. Vous avez bien dit télévision? Récemment, le douar Beni M'hamed a profité du programme d'électrification de l'Office nationale d'électricité (ONE). Pour couvrir une partie des charges de ce projet, l'Association a obtenu un crédit bancaire au profit des foyers dudouar. Désormais, l'installation des compteurs d'électricité est généralisée pour couvrir toute la population. Du coup, presque tous les foyers se sont dotés de postes de télévision et d'appareils électroménagers. “Depuis l'électrification du village, la population est comblée. Désormais, chacun peut allumer son téléviseur pour se rendre compte de ce qui se passe dans le monde. Plus, on a commencé même à se procurer des antennes paraboliques (…)” nous confie joyeusement un quadragénaire du douar L'expérience vécue par la population du douar Beni Mhamed est un exemple à suivre. Dans la mesure où la population a réussi plus ou moins à assimiler l'approche participative dans les projets de développement du monde rural. En réalité, le PAGER n'a été qu'un stimulateur pour que la population rurale prenne d'autres initiatives. Ainsi, au douar Beni Mhamed, l'effet “boule de neige” est plus que perceptible. Pour exemple, l'adduction en eau potable a permis la création de l'association des usagers qui, à son tour, a réalisé l'électrification du douar. Pour l'instant, rien ne semble freiner la dynamique des fils de Si Abdelkrim Khattabi pour réaliser d'autres projets. Le dernier en vue serait la réalisation de branchements individuels en eau potable.