La période de confinement au Maroc imposée par la pandémie du Covid-19, a donné suite à plusieurs conflits familiaux, notamment conjugaux, comme partout au monde. Plusieurs femmes ont déclaré avoir été violentées à domicile par leur conjoint pendant cette période. ONU Femmes s'est penchée de plus près sur le sujet à travers son rapport intitulé « violences faites aux femmes et aux filles en temps de crise – l'expérience du confinement au Maroc« . Ainsi, une vingtaine d'organisations de la société civile (OSC) ont collaboré à l'élaboration d'un rapport d'analyse qualitative des appels reçus par leurs cellules d'écoute de femmes victimes de violence durant le confinement. La coordination du rapport a été appuyée par ONU Femmes dans le cadre du projet «Prévention, protection et réponse aux violences faites aux femmes et au filles au Maroc», financé par le gouvernement du Canada. ONU Femmes précise que ce rapport repose sur la mise en commun des informations collectées auprès des femmes et des filles ayant contacté les centres d'écoute associatifs entre le 20 mars et le 30 mai 2020. Il porte sur les différentes formes de violences (physique, psychologique, économique, sexuelle, juridique) dans différents contextes (conjugal, familial, numérique, institutionnel, espace public, professionnel) et a pour objectif de dresser un portrait des vécus de ces femmes et des obstacles rencontrés dans leur accès aux services grâce à l'analyse de 2.778 appels sur les 4.768 appels reçus par les OSC. Dans son rapport, ONU femmes évoque les nombreuses avancées constitutionnelles et juridiques réalisées au Maroc pour protéger les femmes en situation de violence. Cela dit, l'organisation relève que malgré toutes ces mesures, la chaîne de prise en charge des femmes victimes de violence et l'offre d'hébergement en cas de danger doivent être améliorés pour permettre aux femmes de sortir du cercle de la violence, notant ainsi que les femmes en situation de violence s'abstiennent encore largement de dénoncer les actes qu'elles subissent auprès des autorités. Le confinement a aggravé le stress économique et social En venant aux violences faites aux femmes pendant la période de confinement mis en place par le gouvernement, pour limiter la propagation du virus fantôme, il ressort des données, encore partielles, collectées par les Nations Unies que, dans la plupart des pays touchés par la Covid-19, les services d'assistance téléphonique, les forces de police et autres services de secours ont constaté une nette augmentation des cas de violence domestique. Les 19 rapports qualitatifs sur lesquels s'appuie l'étude témoignent d'un même constat partagé par l'ensemble des acteur.ice.s de terrain (écoutantes, assistantes sociales, psychologues, etc.), précise l'ONU, notant que la pandémie a exacerbé les facteurs de discrimination, accentué la vulnérabilité des femmes et a eu un impact sur les violences faites aux femmes. Le domicile conjugal et familial, premier foyer de violence Sur ce point, ONU Femmes revient sur l'étude réalisée en 2019 par le HCP dans le cadre d'une enquête nationale sur la violence à l'encontre des femmes, et qui a révélé que 52% des femmes marocaines ont déclaré avoir été en situation de violence dans le contexte conjugal et familial. Elle poursuit que les 19 rapports d'OSC confirment tous le constat du HCP pointant le conjoint ou ex-conjoint comme principal agresseur. En premier lieu, le contexte conjugal représente 44% des contextes de violence reportés parmi six contextes de violence différents. En second lieu, s'ajoute la violence exercée par des membres de la famille (frère, père, fils, membre de la belle-famille), représentant 27% des contextes de violence reportés, et ancrant ainsi la violence conjugale ou familiale comme principale menace à l'encontre des femmes. Les informations collectées ont également mis en lumière les croisements entre les différentes formes de violence, en révélant que toutes les formes de violences faites aux femmes et aux filles sont liées et forment un continuum de violence qui peut regrouper des formes et des fréquences de violences très diverses, avec des actes évidents et d'autres plus subtils, moins faciles à détecter. Certaines des formes de violences analysées sont une conséquence directe de la proximité physique prolongée, dans le cadre du confinement, des femmes avec l'agresseur, comme le cite le rapport. Il s'agit notamment de violences physiques, cachant parfois d'autres violences. Elles s'accompagnent parfois de violences sexuelles, moins rapportées en proportion en raison du caractère intime de ces actes. À ces violences s'ajoutent, de manière quasi-systématique, les violences psychologiques qui renforcent l'état de stress et d'anxiété généralisé, poursuit le rapport. Elles renforcent l'emprise de « l'agresseur » et rendent le processus de sortie de la situation de violence encore plus complexe. En outre, le rapport précise que dans le contexte de la crise économique déclenchée par la pandémie, les violences économiques auxquelles les femmes ont été exposées ont été particulièrement manifestes. Pour les femmes subissant des violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles, la dépendance économique constitue une arme de plus s'ajoutant à l'arsenal de « l'agresseur« . La menace d'expulsion du domicile sans moyens de subsistance est vécue comme une peur justifiant l'« acceptation des violences » par les femmes concernées, indique le rapport. De plus, le rapport indique que la crise a également entraîné une recrudescence des violences dans l'espace numérique. La viralité des violences numériques, le large public auxquelles elles exposent les femmes concernées, et la difficulté de supprimer les traces de ces attaques en font une violence d'un genre unique, précise la même la même source. À ces formes intimes de vécu de la violence, s'ajoutent d'une part les violences institutionnelles relatées par certaines femmes dans leurs rapports avec certains agents d'autorités et liées à l'application de la loi et au rejet social et familial, et d'autre part celles exercées dans l'environnement professionnel. L'entourage, un soutien ou un second bourreau Dans ce volet, le rapport réalisé par ONU Femmes rappelle qu'au Maroc, une femme en situation de violence, même déterminée à demander de l'aide, doit faire face à plusieurs obstacles dont le premier est le regard de la société. La normalisation de cette violence, par sa banalisation, légitimation, minimisation … rend la société complice. En effet, les violences faites aux femmes sont considérées comme le prix à payer pour maintenir la cohésion familiale mais aussi comme une affaire d'ordre privé qu'il vaut mieux garder secrète, comme l'explique le HCP dans sa dernière enquête sur les violences faites aux femmes au Maroc souligne le rapport. Pendant la période du confinement, le rapport fait savoir que plusieurs femmes parmi celles qui ont essayé de trouver de l'aide auprès de leurs proches ont été encouragées par ces derniers à rester ou retourner dans leur foyer. À titre d'exemple, l'Association Al Basma rapporte le cas d'une ouvrière agricole mariée à un homme toxicomane dont la violence physique et sexuelle s'est intensifiée dès le début du confinement. Cette femme a déposé plusieurs plaintes contre son mari, et les a toutes retirées du fait de la pression exercée par sa famille. Cette même association a été contactée par une femme qui présentait une fracture du nez et des hématomes sur tout le corps causés par son conjoint violent. Cette femme était à la recherche d'un refuge pour elle-même et son enfant de moins de 2 ans. L'Association Al Basma a contacté sa famille pour qu'elle l'aide dans ses poursuites judiciaires, mais l'OSC a essuyé le refus de la famille aux motifs que « cela ne relevait pas de leurs coutumes et qu'ils étaient prêts à envisager une réconciliation à l'amiable et à renoncer à tout poursuite contre le mari de leur fille en raison de leur situation financière ». La victime a par la suite été contrainte de retourner vivre au domicile conjugal. Sur la base de ces données, le rapport formule des recommandations concrètes à l'adresse des pouvoirs publics, acteurs associatifs, femmes en situation de violence et du grand public, pour une meilleure protection et prise en charge des femmes en situation de violence en période de crise, en mettant en place de nouveaux services tels qu'un numéro vert gratuit pour signaler les actes de violence, l'ajout dans les autorisations de déplacements exceptionnels d'une mention relative aux déplacements dans les tribunaux ou services liés à la lutte contre la violence, ou encore des dispositifs de signalement d'urgence en coordination avec les forces de l'ordre dans des espaces accessibles et ouverts pendant des circonstances exceptionnelles (pharmacies, supermarchés, épiceries, etc.). Les OSC invitent également dans ce rapport à prendre des mesures qui visent à prévenir les violences par la mise en place de mesures d'éloignement de l'agresseur en cas de violence domestique pendant le confinement, par l'interdiction au recours à la médiation familiale en cas de violence physiques et/ou sexuelles. La sensibilisation de la société joue également un rôle essentiel, souligne le rapport. Les OSC recommandent que celle-ci soit faite en amont, par l'engagement des médias dans la lutte contre la violence basée sur le genre en tant que partenaire clé du changement, mais aussi en éveillant la conscience collective à travers des campagnes de sensibilisation, des programmes scolaires adaptés, des émissions sociétales, ciblant toutes tranches d'âges, toutes catégories sociales et ce, dans l'optique de transformer les mentalités. Le rapport recommande pareillement aux services publics de renforcer et mettre en oeuvre la politique nationale de lutte contre la violence basée sur le genre en alignent les normes internationaux aux normes marocaines, tout en renforçant le cadre législatif et politique de lutte contre la violence à l'égard des femmes.