Mardi dernier, à l'issue d'une séance de travail présidée au Palais Royal de Marrakech, le Roi Mohammed VI lançait le « Programme prioritaire national d'approvisionnement en eau potable et d'irrigation 2020–2027 », dont la convention cadre a été signée ce lundi sous la présidence du Souverain. Doté d'une enveloppe de 115 milliards de DH, le projet s'articule autour de cinq axes principaux. Ces derniers ont été exposés au souverain par les ministres dont les départements sont concernés. Les grandes lignes portent sur l'amélioration de l'offre hydrique notamment par la construction des barrages, la gestion de la demande et la valorisation de l'eau notamment dans le secteur agricole, le renforcement de l'approvisionnement en eau potable en milieu rural, la réutilisation des eaux usées traitées dans l'irrigation des espaces verts et la Communication et la sensibilisation en vue de renforcer la conscience liée à l'importance de la préservation des ressources en eau et la rationalisation de son utilisation. La lutte contre le stress hydrique, une priorité royale Cette priorité royale est d'une importance capitale car elle a dans ses visées de prémunir les Marocains contre le risque de stress hydrique. En effet, au Maroc, la demande en eau dépasse les ressources en eau disponibles. Géographie oblige, les données du World Resources Institute (WRI), placent notre pays à la 23e position du classement mondial des pays qui en souffrent le plus. Les chiffres quant à ce phénomène sont préoccupants à plus d'un titre. Notre disponibilité de l'eau était en 2015 de 645 m3 et on la situe actuellement alentour de 600 m3, soit largement en dessous du seuil de pauvreté de l'eau, établi à 1.000 m3 par personne et par an. Le Maroc à ces petits comptes devrait passer à l'horizon 2050 sous le seuil critique des 500 m3. Cela s'explique par une faible pluviométrie, une augmentation constante de la demande en eau due à une démographie galopante, une forte urbanisation, une surexploitation des nappes phréatiques, aux niveaux des barrages en berne et autres facteurs dont l'homme répond comme par exemple l'activité domestique. Abderrahim Ksiri en parle Cela étant, Hespress.fr a demandé l'avis d'un défenseur invétéré de l'environnement au Maroc, Abderrahim Ksiri, Président de AESVT-Maroc, coordinateur de l'Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCDD) et également membre du CESE. « Le Maroc risque d'avoir une pénurie d'eau qui pourrait s'avérer très sévère, surtout lorsqu'on sait que la surexploitation des ressources hydriques dépasse les capacités de renouvellement de tous les systèmes des ressources hydriques. En 1960 on était à 2500 m3 et on est en train de tomber à moins de 700 m3. Cette déficience coute énormément au royaume, cela représente 6% du Produit intérieur brut (PIB). Normal donc, que les rapports internationaux et nationaux tirent la sonnette d'alarme », met-il en garde. Les nappes phréatiques en péril Dans sa lancée et chiffres à l'appui, Abderrahim Ksiri poursuit dans une analyse peu optimiste quant à la situation hydrique du Maroc: « Ces indicateurs montrent que l'on va droit vers une crise réelle de l'eau. En effet, notre capital eau est très, très limité. La quantité d'eau qui tombe au Maroc (pluviométrie) est estimée à 150 milliards m3 de précipitation chaque année. Seulement 21 milliards m3 représente le potentiel mobilisable et encore, sur cette quantité la consommation avoisine les 14 milliards m3. Par ailleurs, l'accroissement des effets du changement climatique, la démographie, le mode d'exploitation, la mauvaise gouvernance et la non application et interprétation de la loi ont entraîné une baisse nette et rapide des ressources en eau et spécialement des nappes phréatiques ». Pour ces dernières, s'il est dit que mondialement plus de 80 % de la ressource disponible chaque année en surface et dans les nappes phréatiques est pompée pour être consommée pour l'alimentation, l'agriculture ou encore l'industrie, Abderrahim Ksiri nous dresse un tableau sombre quant à cela. « Cela fait plusieurs années que les prélèvements excessifs ont dépassé la norme. Alors que le potentiel naturel renouvelable est de 4 milliards de m3, on surexploite chaque bon an mal an plus du milliard de m3 ce qui a engendré un déséquilibre certain et on peut qualifier cette menace d'être à court d'eau d'+extrêmement élevée+ sur l'échelle d'analyse du WRI qui compte six niveaux. Cela s'est répercuté par une réduction de leur débit voire parfois de l'assèchement total des nappes », détaille-t-il. Souss Massa et MarrakechZagora en alerte « haut risque » Le président de AESVT-Maroc n'y va pas par quatre chemins pour décrier cette situation : « On sait ce qui s'est passé dans plusieurs régions du pays qui se trouvent en alerte +haut risque + ou +extrêmement risquées+, Souss Massa, MarrakechZagora sont les illustrations de ce marasme. A Zagora, la mauvaise gestion est on ne plus évidente. On irrigue des surfaces de plus en plus importantes en y faisant pousser des cultures inappropriées et inadaptées pour les sols de cette région et de surcroît friandes en eau. Au niveau de toutes les régions du Maroc la surexploitation est devenue la règle d'où des répercussions alarmantes sur les sols et mode et niveau de vie des populations et la difficulté d'un retour à la normale pour ainsi dire du système hydrique global », dit l'expert. Puis exposant un à un ces problèmes, Abderrahim Ksiri prône la rigueur pour les résoudre tout en pointant les responsabilités de tout-à-chacun. « Dans tout cela, il y a une grosse part de mauvaise gouvernance. Malgré, la loi 36/15, malgré les contrats de nappes élaborées pour contrôler leurs surexploitations et en l'absence du plan national de l'eau, et d'une réunion du Conseil supérieur de l'eau qui doit fixer et arbitrer les politiques de l'eau au niveau national, on remarque que la loi (non adaptée) n'est pas appliquée et que la police de l'eau n'a pas le pouvoir de s'interférer pour régler les litiges. Cela engendre l'aggravation de la situation de par une surexploitation de plus en plus constante et en augmentation », souligne notre interlocuteur. Pollution au nitrate et produits industriels « Les agences de bassins ne nous donnent pas des informations dynamiques et actualisés (pas de publication annuelle) pour avoir une image réelle et forte de tout ce qui touche les ressources hydriques de chaque territoire de chaque région. Ce n'est qu'avec ces indicateurs que l'on pourra avoir une visibilité afin d'apporter des actions correctives. Or on remarque qu'il n'y aucune action ni réaction au niveau des pouvoirs publics et des pouvoirs territoriaux quant à cela », poursuit Ksiri. Le président de l'AESVT-Maroc aborde ensuite la pollution des nappes phréatiques et dénonce le nitrate et certaines industries qui a rendu selon lui la qualité de l'eau de mauvaise à très mauvaise pour 45% à 50% d'entre elles. « Certaines nappes existantes encore ont une très mauvaise qualité d'eau à 80% », ajoute-t-il. Il fait également observer que « quand on n'a pas un système d'information qui n'indique pas qui sont les pollueurs directs comme cela est d'usage dans les autres pays du monde, on ne peut pas agir et exercer une pression sur eux et donc aller vers des solutions ». Et Abderrahim Ksiri de conclure sur une note peu optimiste: « L'action administrative à elle seule ne suffit plus au regard du nombre restreint de ses agents au pouvoir limité et qui opèrent dans les bassins qui s'étendent sur des superficies couvrant des centaines et des centaines de communes. C'est pourquoi les actions de sanctions et de communication sur ces problématiques sont essentielles. Donc, l'information, l'évaluation et la communication à chaque territoire et enfin l'intervention des pouvoirs publics et des acteurs concernés sont de rigueur. Tout ceci ne se fait pas c'est pourquoi la surexploitation des nappes phréatiques a encore de beaux jours devant elle ».