C'est une nouvelle découverte dans l'étude du comportement social des animaux. Des chercheurs de l'Université de Cadi Ayyad de Marrakech, en collaboration avec une équipe de scientifiques français, ont découvert au Maroc la plus ancienne organisation collective et sociale datée de 480 Millions d'années. Leurs travaux ont montré que certaines espèces ont acquis au cours de l'évolution et ce depuis 480 Millions d'années d'étonnants comportements collectifs voire sociaux indispensables à leur survie. Khadija El Hariri fait partie de l'équipe de recherche de ce projet. Elle nous en parle. Entretien. Comment vous est née l'idée de mener cette étude en partenariat notamment avec vos homologues français? En 2002, une collaboration entre les Universités de Cadi-Ayyad (Marrakech) et Bourgogne (Dijon) était initiée par Bertrand Lefebvre et moi-même. Parmi les principaux objectifs de ce projet figurait la collecte in situ, (dans les couches qui les contenaient), des assemblages d'échinodermes conservés exceptionnellement dans les Schistes de Fezouata (projet CNRS-CNRST ; ANR…) Les campagnes de terrain franco-marocaines (Marrakech et Lyon) se sont poursuivies dans le cadre de ces projets et ont permis la collecte de plusieurs centaines d'échinodermes parfaitement conservés et de nombreux échantillons des fossiles coquilliers.
La découverte d'organismes dont les parties « molles » sont exceptionnellement préservées, et dont la première avait été faite par un vendeur de fossile Benmoula, au sens de l'observation extrêmement développé, a bouleversé tous les scénarios. Nous avons alors décidé d'organiser des fouilles en 2014. Depuis « Fezouata» ne cesse de nous révéler ses secrets. Comment avez-vous découvert que certaines espèces ont acquis au cours de l'évolution et ce depuis des millions d'années d'étonnants comportements collectifs voire sociaux? Premièrement, nous rejetons l'hypothèse selon laquelle ces organismes se seraient accumulés mécaniquement (courants sous-marins) et ceci compte tenu de la très bonne préservation de tous les spécimens. Ces files linéaires représentent très probablement des déplacements avec une orientation vers une même direction et où les individus ont conservé la position initiale au moment de leur mort. Deuxièmement, cette interprétation est fortement étayée par des analyses de la roche (analyses sédimentologiques) qui montrent que les schistes de Fezouata correspondent à des dépôts de tempête qui ont joué en faveur de cette exceptionnelle préservation lors d'un ensevelissement rapide.
Il s'agit donc d'une organisation collective et sociale dans laquelle les individus maintiennent une cohésion tactile entre eux, éventuellement associée à des mécano-récepteurs et/ou à une communication chimique, permettant de maintenir entre eux des contacts étroits grâce à leurs très long processus épineux qui leur permet de rester unis pour échapper à des conditions de vie devenant défavorables. Durant ces recherches, quelle a été la découverte ou la révélation qui vous a le plus marquée en tant que scientifique ? Sur les bancs de l'université, on nous a enseigné l'explosion de la vie animale au Cambrien et les célèbres schistes de Burgess au Canada. C'était très fascinant de découvrir qu'au Maroc et plus particulièrement dans la région de Zagora, un nouveau chapitre dans l'histoire allait s'ouvrir sur une période jusque là non ou insuffisamment documentée à savoir la période ordovicienne, période de la grande biodiversification animale. D'ailleurs les schistes de Fezouata offrent une meilleure perspective sur les communautés animales pendant cette période. Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches? Y'a t il selon vous d'autres pistes à explorer ? La complexité des systèmes biologiques actuels, quel que soit leur niveau d'organisation (organismes, communautés, écosystèmes) est le résultat d'une longue histoire évolutive. La poursuite des travaux de recherche sur les assemblages fauniques des schistes de Fezouata est fondamentale sachant qu'ils constituent le chaînon manquant, entre la faune caractéristique de l'explosion cambrienne et la grande biodiversification ordovicienne.