Le Project Finance est un mécanisme de financement hors bilan et sans recours, où les emprunts sont remboursés strictement par les cash-flows libérés par les projets mis en place, à partir du moment où ceux-ci sont opérationnels. La taille moyenne du Project Finance se situe entre US$ 100 et 500 millions bien que les projets qui dépassent US$ 1 milliard ne soient pas rares. Le Project Finance est utilisé pour financer des investissements dans plusieurs secteurs d'activité tels que les mines, l'électricité, le pétrole, le gaz naturel, l'eau, le transport et les télécommunications. Selon la Banque mondiale, une croissance dans l'investissement en infrastructure de 1% se traduit par une croissance de 1% du PIB. Plusieurs projets d'envergure ont vu le jour grâce au Project Finance : US$ 4 milliards Chad-Cameroun Pipeline, US$ 3,4 milliards LNG Ras Laffan I à Qatar, US$ 2,4 milliards Petrozuata au Venezuela et US$ 1,7 milliard Alba à Bahrein. A l'échelle mondiale, US$ 234 milliards ont été investis dans le Project Finance en 2004. En 1994, cette somme égalait US$ 41 milliards, soit une croissance de 471% en l'espace de dix ans. De 1994 à 2004, l'investissement global dans le Project Finance a connu une croissance continue sauf en 1998 (à cause de la crise financière en Asie) et en 2002 (à cause de la récession mondiale). Les Project Finance sont financés en moyenne par plus de 70% d'endettement. La majeure partie de cette dette provient des banques, le reste provenant essentiellement du marché obligataire, des Bilateral Development Agencies (BDA), des Multilateral Development Agencies (MDA) et des Export Credit Agencies (ECAs). Les principes d'Equateur La Société Financière Internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, s'est réunie avec un ensemble de banques à Londres en 2002 pour discuter du Project Finance et de son impact sur l'environnement et la société. A l'issue de cette réunion, les banques présentes ont décidé de développer une approche commune pour contrecarrer l'impact néfaste que peut avoir le Project Finance sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel. Ceci a abouti à la rédaction des principes d'Equateur (PE). Les PE sont un ensemble de lignes directrices facultatives pour gérer les questions sociales et environnementales se rapportant au Project Finance. Ces principes se fondent sur les directives et recommandations de la Banque mondiale et de la SFI. En date du 1er mars 2006, 40 banques de renom adhéraient aux principes d'Equateur. Citigroup, ABN AMRO Bank, Barclays, Royal Bank of Scotland et Crédit Suisse First Boston, font partie des dix premières banques à avoir adopté les principes d'Equateur en juin 2003. En adoptant ces principes, les banques s'engagent à attribuer des prêts uniquement à des projets dont les promoteurs peuvent démontrer, d'une manière satisfaisante, leur adhésion à un ensemble de procédures et de directives en ce qui concerne la responsabilité sociale et le respect de pratiques saines de gestion de l'environnement. Ces banques appliqueront les principes d'Equateur à tous les secteurs d'activité et sur une échelle internationale. Toutefois, seuls les Project Finance dont le coût total est supérieur ou égal à US$ 5O millions sont concernés. Les principes d'Equateur préconisent un procédé de sélection des projets basé sur les normes établies par la SFI en matière de protection sociale et environnementale. Les projets sont classés en catégorie A, B ou C (Risque social ou environnemental élevé, moyen, ou faible) par les banques qui utiliseront une terminologie commune. Pour les projets A et B (risque élevé ou moyen), l'emprunteur doit procéder à une étude dénommée évaluation environnementale ayant trait aux questions sociales et à l'environnement identifiés lors du processus de classement par catégories. Après une consultation appropriée des parties concernées sur le plan local, les responsables des projets de catégories A et B élaboreront si besoin est, des plans de gestion de l'environnement visant à atténuer et contrôler les risques environnementaux et sociaux. L'évaluation environnementale porte notamment sur la prévention de la pollution et la gestion des déchets, l'utilisation des ressources naturelles renouvelables, la protection de la santé et les impacts socio-économiques. Sur le plan juridique, les principes d'Equateur se matérialisent par des covenants dans les contrats de prêt qui incitent les promoteurs à respecter leur engagement envers l'environnement et la société tout au long de la durée du prêt. Les banques de l'Equateur sont tenues de faire preuve de plus de transparence en matière de politiques de financement de projets, un besoin qu'il faut balancer avec la déontologie liée à la confidentialité entre débiteur et créancier. Il est clair que les principes d'Equateur à eux seuls ne peuvent préserver l'intégralité des patrimoines naturel et culturel. Ces principes ne doivent donc pas être considérés comme une fin en soi, mais plutôt un pas dans la bonne voie. Ce que les banques ont à gagner Bien évidemment l'objectif ultime de la banque n'est pas la protection de l'environnement mais la maximisation de la richesse de ses actionnaires. Il faut souligner toutefois que l'adhésion aux principes d'Equateur ne menace pas la rentabilité de la banque. Pour les sceptiques qui pensent que rendement ne rime pas avec environnement, ils n'ont qu'à observer le cas de Citigroup. Ce groupe bancaire adopte depuis juin 2003 les principes d'Equateur sans répercussions négatives sur sa capacité à financer des projets. En 2004, Citigroup s'est hissé au premier rang mondial dans le Project Finance en contribuant avec US$ 6 milliards, soit 5.5% de la part du marché mondial. L'adhésion aux principes d'Equateur permet aussi à la banque de maximiser son capital réputation. La banque qui ne veut pas être associée au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes, ne devrait pas non plus financer des projets nuisibles à l'environnement et à la société. C'est ainsi que plusieurs banques de premier ordre telles que la Bank of America et la Wells Fargo ont choisi d'adhérer à ces principes. L'adoption des principes d'Equateur permet aussi un rapprochement des politiques d'octroi de crédit du groupe Banque mondiale. Cet établissement exerce une très grande influence sur le Project Finance. A titre d'exemple, le projet Jorf Lasfar Energy Company (JLEC) de US$ 1,5 milliard au Maroc qui satisfait présentement plus de 55% des besoins en électricité du pays, n'aurait pas vu le jour sans l'intervention de la Banque mondiale. La simple signature de la Banque mondiale a non seulement convaincu les créanciers du bien-fondé du projet mais a permis aussi aux banques d'augmenter la maturité du crédit de 5 à 15 ans, tout en diminuant la marge d'intérêt de 400 à 200 points de base. Avant l'intervention de la Banque mondiale, les déchets provenant de la combustion du charbon étaient jetés à l'océan sans souci pour les conséquences sur la faune et la flore marines. Depuis l'arrivée du consortium CMS/ABB, près de 30% des cendres sont vendues aux cimentiers et les 70% restantes entreposées dans des locaux spécialement aménagés. Avec la mise en place de Bâle II, le concours de la Banque mondiale deviendra de plus en plus sollicité pour le financement de projets, d'où la nécessité d'adopter une politique de gestion des risques sur l'environnement et la société. Il est à noter que la procédure de mise en place des principes d'Equateur n'est pas aussi exigeante qu'on pourrait le penser. Les banques intéressées ne sont pas tenues de signer un contrat. Il n'y a pas non plus d'agences chargées de la supervision du bon respect des directives en question. La formation du personnel responsable du Project Finance est bien évidemment à l'ordre du jour. La SFI, pour les banques qui le désirent, peut apporter son concours à ce sujet. Les banques à elles seules contribuent actuellement à la moitié des fonds requis pour le financement de projets. Elles sont donc bien placées pour exercer une influence positive sur l'environnement et la société. Selon Mohamed El Yazghi, ministre de l'Aménagement du Territoire, de l'Eau et de l'Environnement, au Maroc « les conséquences économiques et sociales de la dégradation de l'environnement sont évidentes puisque le coût estimé de la dégradation de l'environnement représente annuellement 20 milliards de dirhams, soit environ 8% du PIB national ». Une banque se doit d'adhérer aux principes d'Equateur parce qu'il s'agit d'un véritable enjeu pour l'avenir. L'environnement est l'affaire de tous. Le seul modèle viable de développement est celui du « développement durable », qui consiste à trouver l'équilibre subtil entre la protection de l'environnement, le progrès économique et le développement social. Les principes d'Equateur offrent aux banques l'opportunité de mieux contribuer à l'amélioration de la qualité de vie pour nous et nos enfants. Il suffit d'avoir une vision et une volonté. (*) Cadre bancaire