* Les enfants mendiant dans la rue sont à 40 % issus de la rue et à 60% en charge de leurs familles. * LAssociation ADIM lance un appel aux populations de cesser de donner laumône aux enfants, car cest leur faciliter laccès aux drogues et au dilio (diluant). * Hamza, Yacine et les autres, des drames devant lesquels on ne peut rester insensible. Un phénomène essentiellement urbain vieux de 20 ans mais de plus en plus recrudescent. Dans les rues, des enfants réclament laumône alors quils devraient être à lécole ou le soir chez eux à labri des dangers qui les guettent. Mais qui sont-ils ? Doù viennent-ils ? Qui les pousse à mendier ? Et où est lintervention de la société pour endiguer ce phénomène qui menace une nouvelle génération danalphabètes et qui seront probablement de futurs délinquants. Une chose est sûre, tous les enfants mendiants ne sont pas des enfants de la rue. «40 % sont des enfants de la rue et les 60 % restants sont des enfants en charge de leurs familles», explique Claude Grandchamp, fondateur dADIM Dar Ida Mohler, une Association marocaine pour la Sauvegarde de lEnfance en Péril créée en 1980. Le choix de cette association nest pas fortuit puisquelle vient de lancer un appel à la population pour arrêter de faire laumône aux enfants. «60 % de ces jeunes enfants de la rue sont des fugueurs et ne sy trouveraient pas sans la complicité irréfléchie de la population. Faire laumône à ces enfants de rue, cest tendre la main au Diable, à la débauche, à la violence, à la déchéance !», explique-t-on. «Avec cette aubaine journalière, lenfant de la rue sachètera avant tout du «dilio» (un litre et plus par jour) et des cigarettes (entre 10 et 25 DH par jour, et plus). Il sapprovisionnera aussi et selon son âge en drogues et en alcools de tous genres. «Ivre et drogué, le monde sécroule sur lui», martèle Claude Grandchamp. Au lieu que la population aide ces enfants à ne pas sombrer dans la perdition, elle participe inconsciemment à la destruction physique et psychique de cette jeunesse en désespérance. Laction de terrain de lassociation a permis de classer les enfants mendiants en quatre catégories distinctes. Tout dabord, les enfants de la rue (ER), âgés entre 6 et 14 ans, délaissés par leurs familles, démunis et abandonnés à leur sort, toxicomanes, trop souvent atteints de maladies graves, ou accidentés. Des enfants principalement victimes de léclatement du noyau familial, avec perte des valeurs traditionnelles, absence de valeurs culturelles, manque déducation et daffection, absence dinstruction Lantichambre de lEnfer, quoi ! La deuxième catégorie identifiée par ADIM est celle des enfants de familles pauvres (EP) qui mendient dans la rue pour subvenir à leurs propres besoins. Le soir ils rentrent dans leurs foyers respectifs. Il y également les enfants hypothéqués par leurs propres parents, les EPM. Ces enfants sont sévèrement punis, sils nassurent pas un minimum pécuniaire le soir venu. Trop souvent, ces enfants abusés et maltraités finiront par rester dans la rue. La quatrième catégorie, et certainement la plus difficile, est celle des enfants fuyards et aventuriers (EFA). Pour eux, la rue est libératrice, généreuse, et pleine daventure. Pour la première fois dans leur vie, ils assurent eux-mêmes leur autosuffisance grâce à une population trop souvent complice. Leur rédemption savère très difficile. Hamza, Yacine et les autres Souvent, la vie des enfants mendiants vire au drame. Cest le cas de le dire pour Hamza Sensabil, 14 ans, et plus connu sous le surnom de Pit Bull. En janvier 2007, Hamza, qui était aussi un protégé de Bayti et de lHeure Joyeuse à Casablanca entre autres, a été victime dun accident de voiture entre 1 h et 2 h du matin. Il avait tellement pris goût à la vie dans la rue quil croyait quelle était un terrain conquis. Et le drame ! La nuit du 1er janvier 2007, entre 01H00 et 02H00, Hamza a été fauché par une voiture qui le traîne sur 300 mètres... Le chauffard labandonne. Il est découvert gisant puis transporté aux urgences dans un état critique. Les médecins trouveront dans sa poche 200 DH, la recette journalière de la mendicité (un enfant de la rue qui aura récupéré entre 80 et 200 Dirhams par jour «gagne» en moyenne entre 2.000 et 3.000 Dirhams par mois). ADIM nen prendra connaissance quune semaine plus tard quand Hamza fut, à lhôpital, en état de prendre contact avec lassociation. Après 24 jours, et plusieurs interventions chirurgicales, Hamza quitte la Réanimation de lHôpital dEnfants de Rabat. Il est pris en charge par lassociation. Mais la tentation de la vie vagabonde finit par avoir le dessus. «Après 4 mois de soins intensifs à lADIM Dar Ida Mohler, lenfant retourne à la rue. La tentation de largent facile à gagner, y compris toutes les accommodations que le passant offre à ces jeunes enfants, est trop grande !», explique Claude Grandchamp. Mais 10 jours plus tard, les efforts de lassociation vont finir par porter. Hamza est actuellement suivi par le psychologue dADIM. Si Hamza a pu sen sortir finalement, ce nest pas le cas de Yacine. Cest un enfant de rue à peine âgé de dix ans. Il est présenté par des passants à ADIM à 2h du matin un 1er avril 2006. Ces passants anonymes confirment quil a été vu depuis plusieurs nuits dans les rues de la ville en compagnie de grands Chemkers. Sale, maigre, un comportement anormal, lassociation juge bon davertir la famille de Yacine. Quand sa mère vient le récupérer, Yacine refuse de laccompagner. Elle revient quelques jours après et, selon ses dires, le père de Yacine est en prison pour trafic d'alcool. Pour elle, Yacine serait une source de revenus en mendiant dans la rue. Elle lui apporte quelques habits mais le petit refuse toujours de laccompagner et passe lAïd du Mouloud au bled dans le cadre du Programme de Familles d'Accueil mis en place par ADIM et reconnu dutilité publique. La mère avertit le commissariat et 3 inspecteurs de la PJ se présentent à l'Association en sa compagnie le 18 avril. Ils demandent à savoir pourquoi lassociation ne veut pas rendre lenfant à sa mère. «La mère n'est apparemment pas en mesure d'assurer la sécurité, l'éducation et le bien-être à son fils. Elle manifeste des troubles psychiques graves. L'enfant est souvent battu! Il en porte des traces sur son crâne et son corps. Il ne veut pas aller à l'école et fuit la maison. Durant l'été, il se promène tout nu sur la plage de l'Oudaya. Il est vu à Bâb Jdid et Bâb Bouiba en compagnie de chemkers - grands et petits en train de fumer des cigarettes, de sniffer des diluants et de mendier. «Nous avons conclu que la meilleure solution pour cet enfant serait d'aviser le Service social du Tribunal de Salé», apprend-t-on auprès dADIM. Devant linsistance des parents pour récupérer leur fils, lassociation finit par céder, mais en juillet 2006, lenfant retourne dans la rue, puis à son domicile et encore dans la rue avant de revenir à lassociation en août. Puis il est récupéré par ses parents avant de retomber dans le vagabondage une fois de plus. Le 20 août, Yacine revient de son plein gré à lassociation. Quand ses parents sont venus le voir, lassociation leur a réitéré son conseil de présenter leur enfant au service social de l'autorité compétente à Salé. Entre-temps, Yacine retourne dans une famille daccueil. Mais cest compter sans le scandale que va provoquer la mère qui veut reprendre un enfant quelle exploite dans la mendicité. Elle menace de tuer sa fille, nourrisson de 24 mois. Elle dépose même plainte contre lassociation auprès du procureur du Roi. Les responsables dADIM rencontrent le commissaire du 4ème arrondissement à Rabat. Ils doivent ramener lenfant à sa famille ! Cest la loi ! Aujourdhui, Yacine est à nouveau dans la rue à mendier et à sniffer de la colle en compagnie de grands chemkers. Aucune autorité judiciaire nintervient ! A croire que lEnfer a bien une porte dentrée ; mais la porte de Sortie, on ne la trouve que rarement !