Conscients que la mondialisation est une menace pour notre économie si des mesures draconiennes ne sont pas prises dans l'immédiat, les pouvoirs publics marocains s'acharnent et mettent en place des instruments indispensables à la réussite de la mise à niveau. Le dernier en liste est la création d'un site portail dédié à la mise à niveau du tissu industriel marocain. L'IRCAM, à quelles fins ? Ce fut un mercredi 17 octobre 2001, à Agadir, que Sa Majesté Le Roi apposa le Sceau chérifien scellant le dahir créant et organisant l'Institut Royal de la culture amazighe. Cet événement a constitué un tournant décisif pour le mouvement amazigh, qui avait dorénavant une institution le représentant. Certains récalcitrants se sont pourtant opposés à une officialisation du mouvement et se sont attaqués aux membres de cet Institut. FNH : Après la création d l'IRCAM, l'enseignement de l'amazigh et un travail acharné au niveau de votre centre de recherche pédagogique, quel bilan faites-vous de ces quelques mois ? MD : Lorsqu'on fait le bilan, aucune des revendications amazighes n'a été réellement satisfaites. Certes l'Institut Royal de la Culture Amazighe est un cadre de recherche qui peut apporter beaucoup à la promotion de la culture amazighe et nous évite de passer par les rouages lents et sclérosés des circuits officiels. Mais la concrétisation sur le terrain n'est pas aussi simple et nous nous heurtons souvent à des résistances hostiles, toujours hantées par le spectre de la division. L'enseignement de l'amazigh a commencé d'une manière très boiteuse et peu sérieuse : les enseignants ont démarré sans avoir eu un minimum de formation pédagogique ... Faisons les comptes : le tamazight n'est toujours pas reconnu par la Constitution ; une refonte des programmes d'histoire n'a toujours pas été faite ; les mass médias continuent toujours à fermer leurs portes (sauf pour les chants et les danses) à des programmes en tamazight ; des fonctionnaires de l'état civil continuent toujours à refuser les prénoms amazighes, l'art amazigh est toujours cantonné dans l'espace folklorique et les artistes amazighes marginalisés ; les noms de lieux ou de régions continuent à être arabisés et les associations amazighes ne bénéficient toujours pas de subventions de l'Etat. Beaucoup de travail de sensibilisation reste à faire pour qu'une fois pour toute les « traumatisés » par tamazight comprennent que la pluralité est une richesse et que tamazight est un patrimoine commun à tous les Marocains. FNH : Sachant que la création de l'IRCAM ne s'est pas faite sans douleur et contestations du mouvement amazigh, quelle relation entretient le mouvement avec l'Institut qui le représente ? MD : Quelques éléments du mouvement amazigh (une minorité) ont décidé de dénoncer l'IRCAM comme étant un instrument de récupération et de domestication du tamazight. Ils sont libres de penser ce qu'ils veulent sauf de nous donner des leçons de militantisme. Nous sommes chercheurs à l'IRCAM mais aussi des militants sincères et convaincus ; et nous sommes persuadés que l'IRCAM, qui permet à des chercheurs de tout le Maroc d'unir leurs capacités et de travailler dans les meilleures conditions, sert énormément le tamazight. Si ces personnes qui nous accusent de trahison proposent autre chose, qu'elles nous le fassent savoir... .Mais je doute fort qu'elles aient une autre alternative. Ces mêmes personnes ont oublié que la majorité des chercheurs faisant partie de cet institut sont issues du mouvement amazigh et que travailler pour la promotion de leur culture et de leur langue est aussi une forme de militantisme. Ils ont un grand défi à relever et le travail fait à l'institut ces derniers temps est un travail de titan. FNH : Le fait de vous engager, en tant que militante, dans un institut « officiel » ne limite pas votre liberté et champ d'action ? MD : Personnellement, j'ai hésité avant de faire partie de cette institution, ayant peur d'y perdre toute liberté. Aujourd'hui, je ne regrette rien. Je travaille au centre de recherche pédagogique et programmation pédagogique. Nous sommes fiers d'élaborer le premier manuel scolaire d'Amazigh et des livres illustrés pour enfants et nous ne rencontrons aucune entrave dans notre travail. Bien que la majorité des militants du mouvement amazigh ait souvent un regard méfiant sur cet institut, elle préfère néanmoins attendre des résultats concrets avant de se prononcer, ce qui est une sage décision. L'IRCAM compte rencontrer incessamment un certain nombre d'associations amazighes pour définir ensemble les actions communes à entreprendre dans l'avenir, et pour que les liens puissent rester solides afin qu'on ne tombe pas dans l'échec du HCA algérien coupé complètement du mouvement amazigh. FNH : La question qui taraude l'esprit du Marocain simple est « que veulent les berbères » ? Finalement, à quoi voulez-vous aboutir ? MD : Tout semble indiquer que malgré les obstacles qu'il peut rencontrer, le mouvement amazigh est appelé à prendre une importance de plus en plus grande dans les années à venir. Il serait vain de croire que quelques concessions mineures suffiront pour y mettre fin. Nous savons que de tout temps, les êtres humains ont une tendance à ne pas comprendre la culture des autres, à la rejeter ; de plus, ils affirment souvent que leur propre culture est la meilleure ou carrément qu'elle est "La Culture". C'est une attitude qu'en anthropologie on nomme "ethnocentrisme", attitude propre à toutes les cultures mais particulièrement marquée chez certaines d'entre elles... Comportement qui se traduira parfois par une attitude de domination et de supériorité qui peut aboutir à l'élimination totale de la culture de l'autre. La nation conçue à l'image de l'Etat n'est qu'une conception purement juridique qui ne tient aucun compte des réalités humaines et devient l'écran derrière lequel peut se poursuivre la négation des populations autochtones. Cet Etat va avoir recours à l'arme la plus efficace dont il dispose : l'Ethnocide. L'ethnocide, c'est la suppression des différences culturelles jugées inférieures et mauvaises. L'ethnocide, c'est la destruction systématique des modes de vie et de pensée de gens différents de ceux qui mènent cette entreprise de destruction. L'ethnocide, c'est la mise en uvre d'un projet de réduction de l'autre. Pour les "décideurs", l'autre, c'est la différence, mais la mauvaise différence. L'autre est mauvais, mais on peut l'améliorer en l'obligeant à se transformer jusqu'à se rendre identique au modèle qu'on lui impose par le biais de l'école, des mass médias et autres. On nous dit que notre langue et notre culture sont condamnées à disparaître du fait qu'elles ne répondent plus aux exigences de la société moderne !!! Comment peut-on avancer de telles absurdités ? Aucune langue, aussi prestigieuse soit-elle, ne peut tenir en vie si elle est bannie de l'école, de l'Administration, des mass médias ... L'école, l'administration, la TV, la radio, imposent la ou les langues de la force dominante et, par ce biais là, son mode de pensée et ses uvres. La langue autochtone qui n'est pas enseignée va perdre progressivement tout contact avec la réalité. Elle sera ainsi dévalorisée aux yeux des jeunes générations auxquelles elle ne peut plus donner accès au Monde. D'autant plus que cette assimilation linguistique est souvent renforcée par les mouvements migratoires (Rif, Souss, Haut Atlas) ; ce qui est la conséquence de déséquilibres économiques entraînant une plus grande situation de domination. FNH : Et comment comptez-vous procéder pour mener à bien votre lutte ? MD : La lutte à laquelle les Imazighens se voient et se verront contraints afin de préserver leur identité est fondamentalement une action de " légitime défense". Un gouvernement dit d'alternance qui avait éveillé un petit espoir et duquel on s'attendait qu'il mît l'intérêt général au-dessus de toutes considérations idéologiques, suscite aujourd'hui une désillusion totale par ses pratiques transgressant la loi et invariablement hostiles à la cause amazighe (en tête le Ministère de la Culture). Il semble que les autorités privilégient une stratégie d'étouffement et une "fermeture" démocratique. Nous condamnons vigoureusement cette politique d'exclusion et de marginalisation et nous affirmons notre volonté de continuer notre combat jusqu'à l'aboutissement de nos revendications justes et légitimes.