La Banque mondiale annonce un projet de 100 millions de dollars pour appuyer l'emploi et l'amélioration des compétences au Maroc. Diagnostic, conditions du prêt, création d'une agence autonome d'évaluation de l'enseignement supérieur et d'un observatoire national pour l'emploi, extension des services de l'Anapec, intégration de l'informel, etc... : les précisions avec Kamel Braham, coordinateur développement humain à la Banque mondiale pour la région MENA. Finances News Hebdo : Quel diagnostic la Banque mondiale fait-elle de la situation de l'embauche et de l'emploi au Maroc ? Quels sont les principaux points problématiques que vous avez identifiés ? Kamel Braham : L'emploi est l'un des principaux sujets de préoccupation au Maroc et le chômage constitue un défi politique et économique majeur pour le gouvernement. La Banque mondiale (BM) partage ce constat et reconnaît la nécessité d'agir pour endiguer ce phénomène. D'après les chiffres du HCP, le taux de chômage au Maroc, qui a diminué au cours des dernières années principalement en raison de la stagnation du volume de la main-d'oeuvre et d'une croissance économique soutenue, est en train de remonter, passant de 9% en 2012 à 9,5% en 2013. Ces mêmes statistiques mettent en évidence que le chômage est plus élevé chez les femmes (10% contre 9,3 % chez les hommes), et les jeunes (19,6% pour les 15-24 ans). La précarité des emplois existants sur le marché représente également une caractéristique préoccupante du marché du travail. En effet, la part du secteur informel est élevée (80%) comparée à la moyenne de la région (67%). La faible qualité de l'éducation est l'une des raisons qui explique les faibles résultats du marché du travail. Selon une étude de la BM sur le climat de l'investissement, réalisée en 2008, environ 31 % des entreprises ayant participé à l'enquête ont identifié la faiblesse des compétences de la main-d'oeuvre comme l'une des contraintes majeures pour faire des affaires au Maroc. La rigidité de la réglementation relative au marché du travail et au coût salarial représente également un frein qui ne favorise pas l'emploi et n'incite pas à la formalisation de l'économie. F.N.H. : Comment la Banque mondiale compte-t-elle piloter son aide et accompagner les efforts du gouvernement en matière de stimulation de l'embauche ? Comment garantir l'efficacité de ce projet ? K. B. : Le partenariat de la BM avec le Maroc sur ce sujet n'est pas nouveau. Déjà, en 2008, elle avait préparé une analyse globale des facteurs qui pèsent sur l'emploi et formulé un ensemble de recommandations. Un premier prêt en 2012 avait appuyé une première série de mesures, notamment la création des centres de formation professionnelle, en cogestion dans les secteurs de l'automobile, l'aéronautique et la mode. Ce second prêt va permettre d'appuyer le renforcement des réformes initiées en 2012 à travers des mesures visant notamment à améliorer l'efficience et la pertinence des programmes de formation. Cela passera par la création d'une agence d'évaluation de l'enseignement supérieur qui aura pour mission de s'assurer de la qualité des formations supérieures. Le prêt aidera également à renforcer l'efficacité des services d'intermédiation, et cela inclut le lancement d'un programme pilote d'extension des services de l'Anapec aux non-diplômés. Par ailleurs, le prêt prévoit la promotion de la formalisation des microentreprises par la création d'un statut avantageux pour l'auto-entrepreneur. Il prévoit également le renforcement du système d'information du marché du travail, notamment par l'établissement d'un observatoire national pour l'emploi. En plus du financement apporté par ce projet, la BM, en collaboration avec d'autres partenaires tels que l'AFD et le GIZ, accompagnera le gouvernement dans la mise en oeuvre de mesures importantes prévues par ce prêt à travers une assistance technique. F.N.H. : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les conditions du prêt et comment sera-t-il utilisé ? K. B. : Il s'agit d'un prêt de politique de développement (PPD) de la BIRD d'un montant de 73,3 millions d'euros (équivalent à 100 millions USD) à un taux variable amortissable en 29 années de maturité, dont une période de grâce de 6,5 ans. Ce sont des conditions standard pour de tels prêts de la BM. Un PPD est, comme vous le savez, un appui budgétaire et n'a donc pas d'affectation spécifique. Toutefois, un tel appui est avant tout destiné à apporter une aide financière au gouvernement dans le cadre d'un accompagnement de réformes mutuellement convenues. F.N.H. : La Banque mondiale a-t-elle déjà conduit un projet similaire dans d'autres pays ayant des niveaux de développement équivalents au Maroc ? Si oui, quels enseignements et quels résultats en avez-vous tirés ? K. B. : Chaque pays a ses spécificités propres, de même qu'il est difficile de trouver des projets identiques appuyés par la BM à travers les régions et les pays. Toutefois, les mesures appuyées par le projet ont déjà démontré leur pertinence dans de nombreux pays. Par exemple, l'existence d'un organe autonome d'évaluation de l'enseignement supérieur est aujourd'hui considérée comme un élément essentiel pour l'amélioration des formations et de l'employabilité des diplômés. La BM a appuyé la mise en place de tels organes d'assurance qualité dans de nombreux pays notamment en Asie et en Amérique latine, et entend faire bénéficier le Maroc de l'expérience internationale dans ce domaine. D'un autre côté, même s'il est un peu tôt pour en faire une évaluation précise, certains indicateurs, notamment les taux de placement après 6 mois, démontrent la pertinence de certaines mesures appuyées par le premier prêt de 2012, telles que le développement des licences professionnelles ou les centres de formation professionnelle en cogestion. F.N.H. : Le projet prévoit un volet dédié à la promotion de la microentreprise et à l'intégration de l'informel dans l'économie réelle. Une initiative primordiale, mais qui ne sera pas aisée étant donné les habitudes bien ancrées du marché du travail marocain. Comment comptez-vous procéder avec le gouvernement marocain pour surmonter ce handicap ? K. B. : Nous savons bien que le taux de l'informalité est élevé au Maroc, comparé à d'autres pays de la région. Il y a donc une grande marge d'amélioration à ce niveau. Il faut noter la rationalité des acteurs économiques qui prennent leurs décisions sur la base des coûts et des avantages qu'ils peuvent en tirer. Le gouvernement voudrait encourager l'entrée progressive dans le secteur formel des microentreprises (celles dont les revenus se situent en deçà de 3 millions de dirhams par an) et améliorer leur productivité et leur capacité à créer des emplois. Il a donc préparé une stratégie nationale pour le développement des très petites entreprises (TPE) en 2013. De plus, en novembre 2013, le Conseil de gouvernement a adopté un projet de loi important qui crée un statut légal, fiscal et social de l'auto-entrepreneur. Ce nouveau statut limite les coûts associés au fait de devenir un auto-entrepreneur dans le secteur formel, simplifie les procédures administratives et fournit une couverture d'assurance sociale à ces derniers. C'est ce type d'incitations qui, si elles sont appliquées de façon effective et suffisamment suivies, devraient encourager un nombre croissant de microentreprises à rejoindre le secteur formel, comme cela a été le cas dans d'autres pays. F.N.H. : Le projet envisage aussi d'améliorer la qualité et la disponibilité des données nécessaires à la prise de décisions sur l'action à mener dans le domaine de l'emploi. Pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste ? K. B. : L'idée est pour le gouvernement de mettre en place un mécanisme d'information et d'analyse systématique du marché du travail afin de disposer des éléments nécessaires pour concevoir des politiques d'emploi mieux informées, donc plus efficaces. Le Gouvernement voudrait, plus précisément, promouvoir l'accès des utilisateurs aux données individuelles, mettre en place un observatoire national de l'emploi et développer un cadre de suivi et d'évaluation des programmes de l'emploi. Il a restructuré le ministère de l'Emploi et créé une direction qui sera chargée de l'observation du marché de l'emploi. Afin d'améliorer l'accès et le partage de données et l'analyse sur le marché du travail, le ministère de l'Emploi est déterminé à favoriser des accords avec diverses entités (CNSS, Anapec, CGEM, HCP) pour pouvoir accéder à leurs données individuelles. En ce qui concerne le système de suivi et d'évaluation, le gouvernement a un cadre clair (assorti d'un budget approprié) permettant de suivre et d'évaluer les programmes pour l'emploi mis en oeuvre par l'Anapec. Enfin, l'observatoire pourrait réaliser une enquête régulière afin de collecter des données nationales représentatives sur l'offre et la demande de compétences .