Quelles que soient leurs attributions, les agences ne garantissent pas la fiabilité des notes qu'elles accordent. En dépit des avancées enregistrées, les inégalités sociales et les fractures territoriales restent trop criardes. Le Maroc a plus besoin d'une feuille de route clairement établie, d'un suivi-évalua-tion des programmes ou mesures de réformes en cours ou à venir, d'une réelle gouvernance de ce pro-cessus de réformes... Larabi Jaidi, économiste et professeur universitaire, revient en force sur les quatre vérités de notre économie. Finances News Hebdo : JP Morgan a réi-téré son appréciation positive concernant le Maroc, une position qu'elle avait déjà expri-mée lors de sa dernière visite en novembre 2013. L'agence de notation Standard and Poor's (S&P) vient d'améliorer la perspec-tive du Maroc de «négative» à «stable». Quel crédit accorder à ces notations dans le contexte économique actuel ? D'autant plus que le niveau de la dette publique atteint plus de 76% du PIB ? Larabi Jaidi : Les trois grandes agences de notation financière ont relevé la notation du Maroc, confirmant le redressement des équilibres macro-économiques internes et externes et annonçant une amélioration des perspectives de croissance. Elles appellent à une accélération des réformes économiques et sociales. Chacune de ces agences explique sa notation à sa manière. Standard & Poor's considère que les notes du Maroc sont sou-tenues par un poids modéré de la dette et la stabi-lité économique et sociale par les bonnes perspec-tives de croissance économique (4%, ce qui semble exagéré). Fitch explique que le maintien des notes du Maroc est dû à la stabilité politique dont il jouit et d'une résilience dont a fait preuve son économie dans une conjoncture régionale et internationale difficile. Les analystes de Moody's sont moins opti-mistes sur la croissance économique. Ils prévoient 3,4%. Pour cette agence, le fort taux de chômage et l'inadéquation des compétences limitent la com-pétitivité du Maroc, la croissance restera tributaire des secteurs primaire et tertiaire. Les notations financières délivrées par les agences de notation sont considérées comme des opi-nions indépendantes. Mais, il faut relever que les agences ne garantissent pas la fiabilité absolue des notes qu'elles attribuent. On peut même considérer que les agences de notation font des erreurs sur les perspectives de croissance. Les notes veulent refléter surtout le risque de solvabilité et la capacité de remboursement de la dette. Ces notations sont toutefois importantes, car elles vont servir de référence aux cré-diteurs et aux investisseurs pour juger des opportunités d'investir ainsi que pour évaluer la sécu-rité financière de leurs investis-sements. Ceci a un impact sur les politiques économiques du pays car la menace de voir sa note dégradée provoque souvent la mise en place de politiques libérales, favorables aux investisseurs étrangers, plutôt que l'application de politiques favorables au développement social. Gardons à l'esprit que les agences de notation qui dominent les esprits sont des agences de notation financière. Il est pourtant possible d'ima-giner d'autres «notations» de l'activité privée ou publique. Il y aurait lieu, par exemple, de mesurer les conséquences directes de la croissance sur les personnes et sur l'environnement naturel. Mais les quelques agences de notation sociale et environne-mentale qui existent ne sont guère entendues. F.N.H. : Avec un taux de croissance autour de 2,6%, tel que prévu par les conjonctu-ristes, cette perspective ne se révèle-t-elle pas modeste eu égard aux objectifs visés comme l'accélération des programmes de restructuration économique et de réformes structurelles à même de replacer l'écono-mie sur une trajectoire de compétitivité ? L. J. : Absolument, surtout si l'on prend en consi-dération les besoins en création d'emploi et les déficits sociaux encore pesants et les fractures ter-ritoriales toujours choquantes malgré les progrès enregistrés ces dernières années. Nous continuons de chercher ce sentier de croissance régulière et soutenue, sans pouvoir l'atteindre et créer une irréversibilité d'une croissance soutenue. Le potentiel de croissance est encore insuffisamment inexploité. Quand nous atteignons des taux records, c'est plus sous l'effet de la nature favorable ou de la demande externe pour des produits primaires. Une réalité domine : le processus de réformes a donné des résultats mais nous sommes loin des objectifs maintes fois déclarés. Il y a même un sen-timent dominant : les effets d'annonce priment sur l'effectivité des décisions de réforme. F.N.H. : Alors que certains rapports font état de perspectives favorables de la croissance économique nationale, essentiellement en raison du dynamisme soutenu des activités tertiaires et de la bonne performance des nouvelles industries; d'autres semblent plus modérés à cause entre autres, de la hausse du taux de chômage et du faible dynamisme industriel. Quels sont vos propres pronostics ? L. J. : J'ai une appréciation plus qu'un pronostic. Les prévisions éco-nomiques sont un exercice délicat qui a ses règles, ses hypothèses et ses méthodes. Il est constamment sujet à des ajustements en fonction de l'évolution de l'environnement interne et externe dans lequel se déploie l'activité publique et privée. Preuve en est : les organismes nationaux et internationaux ne produisent pas toujours des prévisions très rappro-chées. Mais c'est une autre question qui mérite un débat national sur les outils de la prévision au Maroc. Toujours est-il que l'on peut conve-nir sans risque de se tromper que la croissance sera tirée plus par les activités de services que par le secteur directement productif. Les bonnes performances de l'automo-bile ou de l'aéronautique sont réelles mais ne peuvent pas encore impacter sensiblement le résultat final de la croissance ou de la balance des opé-rations courantes. Quant au chômage, c'est la grande plaie. On se couvre les yeux sur cette réalité sociale dont le drame n'est atténué que par le rôle de plus en plus prégnant que joue l'informel dans l'absorption des nouveaux arri-vants sur le marché du travail, alors que....l'on ne cesse d'annoncer - à tort peut-être- qu'il faudrait forma-liser l'informel. Il est nécessaire de revoir les chiffres du chômage à la lumière de nouvelles formes de pré-carité et de travail indécent. Christine Lagarde, présidente du FMI, tout en décernant un «satisfécit» macro-économique au Maroc, a longue-ment insisté sur l'état des inégalités au Maroc et sur l'accélération des réformes. F.N.H. : D'aucuns estiment qu'il faut accélérer le train des pro-grammes de restructurations économiques et de réformes structurelles. Plus facile à dire qu'à faire. Aujourd'hui qu'est-ce qui bloque ce «train de réformes» ? L. J. : Il serait fastidieux d'établir la check-list des réformes à accélérer ou à entreprendre. Elle est archi connue. Ce dont on a besoin, c'est d'une feuille de route clairement éta-blie, d'un suivi-évaluation des pro-grammes ou mesures de réforme en cours ou à venir, d'une réelle gouver-nance de ce processus de réformes définissant des objectifs soutenables, mobilisant les moyens adéquats et responsabilisant les acteurs concer-nés. Le Maroc bouge lentement sur le plan économique et il souffre d'un immobilisme politique. Cet immobi-lisme impacte négativement ses per-formances économiques et sociales. Il y a peu de temps, on disait que le Maroc s'était engagé dans une troisième et nouvelle génération de réformes : celle des institutions. La première était celle des réformes macroéconomiques et sociales, la deuxième étant celle de l'environ-nement des affaires et de l'entre-prise. On constate aujourd'hui que les deux premières ne peuvent être pérennes et produire des résultats que si les institutions fonctionnent dans la convergence et la transpa-rence. C'est ce qui garantit l'effi-cacité des résultats. Parce que ces prérequis insufflent la confiance, pré-cisent les responsabilités, libèrent les initiatives dans une démarche de rendre compte.