En deux années d'activité, la BERD a su développer des moyens et des outils de financement et d'accompagnement différenciés des offres déjà existantes. L'un des objectifs de la banque est de développer des financements pérennes en infrastructures. Ses deux années d'activité au Maroc lui ont permis d'affiner ses solutions dédiées aux PME. Notamment, une assistance financière mais aussi et surtout, un accompagnement direct aux PME, par l'équipe Small business support. 50 missions de consultance ont déjà été menées. Forte de cette expérience, la BERD étoffe ses équipes au Maroc, comme le souligne Laurent Chabrier, Directeur de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) au Maroc. Finances News Hebdo : La présence de la BERD au Maroc coïncide avec le lancement de son activité depuis septembre 2012 également en Tunisie, en Egypte et en Jordanie. Quelle est la particularité du Maroc en comparaison aux autres pays de la région Sud – Est de la Méditerranée (SEMED) et aussi la singularité du travail dans cette région relativement à l'Europe de l'Est, votre terrain de prédilection historiquement parlant ? Laurent Chabrier : Il existe de nombreuses similarités entre, non seulement les enjeux, mais aussi les réponses que la BERD peut fournir à ces différentes régions. Il faut reconnaître que le contexte n'est pas celui des années 90 ni celui de notre mandat initial, à savoir l'évolution d'économies dites «planifiées» vers des économies de marché qui est la raison d'être de la BERD. Dans les quatre pays de la région SEMED où la banque intervient aujourd'hui, nous avons constaté une place de l'Etat relativement importante, mais plus encore, sommes-nous en présence de gouvernements qui reconnaissent que le secteur privé peut faire plus. Cette prise de conscience prédate d'ailleurs au Maroc nos premières opérations dans la région en septembre 2012, puisque le pays est l'un des actionnaires d'origine de la BERD depuis 1991. Maroc, Egypte, Jordanie et Tunisie ont ainsi conclu que les moyens et outils que la BERD a utilisés avec succès dans les pays de l'Est de l'Europe sont intéressants et utiles à mettre en place ici. F. N. H. : En termes de thématiques de travail, où se situe la différence dans votre activité au Maroc ? L. C. : Pour mieux décrire notre activité, que ce soit en termes de volume que de thèmes, je décomposerai celle-ci en trois tiers. Le premier tiers concerne l'infrastructure. Dans cette activité, s'il y a des différences entre l'Europe de l'Est et le Maroc, elles se situent au niveau de la population en pleine croissance dans le Royaume et des attentes de cette population à disposer de meilleurs services en termes d'infrastructures, de transport public, d'assainissement de l'eau, de fourniture d'électricité etc. Les similarités se retrouveront au niveau des instruments de financement qui, dans les pays de l'Est, ont servi à la modernisation des infrastructures existantes plutôt qu'à leur construction. Au titre des instruments de financement que nous avons contribué à mettre en place dans le passé, nous pourrions citer la mise en œuvre de partenariats public-privé ou l'ouverture au crédit des municipalités sans recours systématique à l'Etat. F. N. H. : Quelle réponse adéquate pensez-vous apporter aux besoins de financement exprimés dans le Royaume ? L. C. : Les attentes du Royaume et la réponse que nous pouvons fournir consistent en la mise en place de moyens qui assureront un financement pérenne de cette infrastructure. Par pérenne, nous entendons des moyens qui peuvent assurer qu'à terme, tous les acteurs, les collectivités locales par exemple et non pas uniquement l'Etat, soient susceptibles de développer leurs propres projets d'infrastructure. Si je devais faire un constat à partir de l'existant, je pense que l'on pourrait effectivement se féliciter du développement des réseaux d'infrastructure durant ces dix ou quinze dernières années qui a été conduit de façon remarquable dans le Royaume par rapport à d'autres pays de la région. A l'inverse, il reste encore à faire pour que demain un projet de tramway puisse par exemple voir le jour sans que l'Etat n'intervienne de façon massive ou qu'il repose sur des montants de dons que l'on sait être plus rares en temps de crise. C'est ce thème que nous essayons de travailler pour faire en sorte que le développement de l'infrastructure soit pérenne et durable. Un autre exemple sera celui des projets que nous avons déjà signés avec l'ONEE. Autour d'un sujet cher à tous les acteurs impliqués, à savoir la facilitation de l'accès à l'eau et à l'électricité, nous avons conjointement travaillé avec cet office à l'amélioration de sa gouvernance et en l'occurrence la mise en œuvre à terme par ses soins de normes comptables internationales. F. N. H. : Dès le lancement de votre activité au Maroc, comment le secteur bancaire et de la finance en a-t-il profité ? L. C. : Justement, le deuxième tiers de notre activité concerne notre action dans le secteur financier notamment celui des banques mais aussi celui des sociétés d'assurance. Dans ce sens, les banques sont des interlocutrices très intéressantes pour la BERD et ce, à deux titres. Tout d'abord, ce sont des entreprises à part entière qui ont elles-mêmes besoin de capitaux. A cet égard, il faut citer l'émission obligataire à laquelle nous avons souscrit pour la BMCE et qui s'est avérée un succès pour le Royaume. Cette opération a une importance capitale pour le Maroc et son accès au marché des capitaux internationaux. Il s'agit en effet de la première émission obligataire d'une banque commerciale sur le marché international et elle marque, à mon avis, une étape décisive en positionnant le Royaume sur la scène internationale des marchés de capitaux. La BERD a eu un rôle de catalyseur en quelque sorte, en donnant une meilleure visibilité à l'opération mais aussi l'assurance de mener à terme la levée de fonds avec succès. Secundo, les banques sont également des partenaires essentiels dans la mesure où elles disposent d'un réseau d'agences et de cadres sur le terrain. L'objectif est de faciliter notre interaction avec les PME afin de leur permettre l'accès à nos financements, ce qui constitue un des objectifs principaux qui nous a été confié au Maroc. Nous travaillons donc en partenariats avec les banques locales qui se traduisent par exemple par des lignes de crédit. Il y a un large spectre de formules de partenariats mais l'essence reste la même : l'utilisation de compétences et de réseaux que nous n'avons pas vocation à avoir pour être au plus près des attentes des clients tout en restant en ligne avec les objectifs agréés avec le Royaume. Je citerais l'exemple du «Trade facilitation programme» ou TFP, qui consiste à couvrir pour des sociétés exportatrices une partie du risque de non-paiement de leurs clients. A cet effet, nous avons déjà signé des lignes de crédit avec trois banques au Maroc : la BCP, la BMCE et la Société générale. Le troisième tiers des activités de la BERD au Maroc concerne l'investissement direct dans des sociétés. Notre action vise en particulier le financement de celles-ci par le biais de produits innovants qui ne sont pas encore facilement disponibles au Maroc. A titre d'exemple, je mentionnerais le prêt mezzanine signé avec la société Citruma. C'est un instrument de financement qui s'est avéré particulièrement bien adapté aux contraintes imposées par les banques déjà partenaires de la société et les actionnaires de la société. F. N. H. : Qu'en est-il de l'assistance technique et financière aux projets de développement durable et d'énergies renouvelables dans le pays? L. C. : Nous sommes en train de mettre en place un produit qui a très bien fonctionné en Turquie et dans d'autres pays. Ce produit est axé sur le développement durable et l'efficacité énergétique. Il s'agit de lignes de crédit dédiées à l'efficacité énergétique dont deux ou trois pourraient être mises en place bientôt. Ces lignes reposent sur le même principe que les lignes de financements dédiées aux exportations, à savoir être au plus près des besoins des clients, en l'occurrence les consommateurs d'énergie aussi bien les ménages que les entreprises. Dans l'expérience que nous avons menée avec succès en Turquie, l'audit énergétique de maison d'habitation ou d'entreprise pour évaluer les économies possible en énergie et les gains que ceux-ci pourraient faire sur leurs factures d'électricité, était financé par le biais de dons. Des mécanismes financiers d'assistance supplémentaires furent aussi mis en place pour valoriser la contribution du projet à la réduction des émissions de CO2 et ceci sur la base d'une méthode de calcul très similaire à celle employée dans le cadre du protocole de Kyoto. Il s'agit d'un mécanisme vertueux qui permet à nouveau de répondre le plus précisément possible aux besoins aussi bien du résidentiel que des entreprises. F. N. H. : En termes d'investissement direct, quel enseignement tirez-vous après presque deux années d'activité? L. C. : Il s'agit de la démystification du secteur de la PME au Maroc. Nous avons constaté que contrairement aux pays dans lesquels nous travaillions pour l'instant, en l'occurrence les pays de l'Est de l'Europe, l'esprit d'entreprenariat a toujours existé au Maroc. C'est intéressant à noter ! Notre travail donc est de le stimuler et de mettre à sa disposition les bons outils pour capitaliser sur l'existant mais aussi lui permettre de se déployer davantage. C'est probablement ces deux années d'activité qui nous ont permis d'affiner nos solutions dédiées aux PME. Notamment, une assistance financière mais aussi et surtout, un accompagnement direct par l'équipe Small business support. Cet accompagnement qui s'inscrit dans un programme conjointement mené par la BERD, l'Union européenne et de multiples donateurs, apporte une réponse en amont et en aval à nos clients en termes d'expertise technique. Par amont, il s'agit d'assister, sans obligation pour le récipiendaire de travailler avec nous, des sociétés qui n'ont pas les moyens de solliciter l'action d'une banque à monter un projet de financement bancable. En aval, nous aidons à la création de valeur par le biais d'un accompagnement dédié aux sociétés clientes, comme par exemple la labellisation de leurs produits pour les aider ainsi à exporter. Nous avons mené cinquante missions d'accompagnement du genre en 2013, toutes largement financées sous forme de dons. Il y a lieu de noter que nous faisons appel dans ces missions à des experts principalement marocains. De ce fait, nous veillons à structurer le marché de la consultance au Maroc. F. N. H. : En chiffres, si vous deviez résumer les deux ans de la BERD au Maroc ? L. C. : Nous avons investi à ce jour 250 millions d'euros à travers 15 projets. C'est beaucoup et peu à la fois. C'est énorme parce que nous sommes partis de rien, et peu, car nous pouvons contribuer beaucoup plus amplement à l'économie marocaine. Curieusement, je serai tout aussi content des 50 missions de consultance menées par SBS, des neuf collègues qui seront bientôt quinze employés au bureau de Casablanca et de nos futurs bureaux dans lesquels on emménagera dans quelques mois. Si la plupart des collègues sont de jeunes marocains recrutés localement, certains seront détachés de Londres. Je pense que le meilleur reflet des prémices de ce que nous pouvons être, ce sont les moyens humains et autres indicateurs, même si les investissements marquent le plus les esprits.